La ville de Porto Alegre fut choisie comme siège du premier FSM en raison de sa situation :
à la périphérie du capitalisme, victime privilégiée des politiques néolibérales ;
en Amérique latine où se développaient d’importantes luttes de résistance, comme celles des zapatistes, du Mouvement des sans-terre (MST), des mouvements indigènes, notamment en Bolivie et en Equateur ;
au Brésil, en raison, à l’époque, du poids la gauche, avec des forces comme le PT, la CUT et le MST, entre autres ;
et enfin, dans cette ville, pour ses politiques de budget participatif.
Les Forums se caractérisèrent par l’affirmation qu’ « un autre monde est possible », face aux tentatives de « pensée unique », de « consensus de Washington » et de « fin de l’histoire » visant à faire croire que les alternatives politiques n’avaient plus de sens face à un modèle d’ « ajustement structurel » qui se prétendait incontournable. L’adhésion de nombreuses forces politiques – d’abord de droite, puis nationalistes et social-démocrates – à ce modèle semblait valoir confirmation qu’il n’y avait pas d’autre voie.
Le FSM s’opposa frontalement à cette interprétation réductionniste en se proposant de regrouper toutes les formes d’opposition au néolibéralisme – dont la diversité et l’ampleur avaient été confirmées par les manifestations contre l’OMC, commencées à Seattle en 1999, pour s’étendre ensuite à d’autres villes –, en échangeant leurs expériences et en coordonnant leurs luttes.
Dans une première étape, il s’agissait de luttes de résistance à la « libre circulation des capitaux », à la dictature de l’économie sur la sphère sociale, au monde unipolaire impérial imposé par les Etats-Unis, à la dévastation de l’environnement, au monopole privé des médias, etc. Les mobilisations contre la guerre en Irak constituèrent le point culminant de cette étape, même si les ONG, prédominantes dans l’organisation des Forums, résistèrent constamment à l’inclusion du thème de la guerre et de la paix dans l’agenda principal des rencontres.
Les crises néolibérales successives – de la mexicaine à l’argentine, en passant par la russe et la brésilienne – conduisirent à l’épuisement du modèle néolibéral. Cela au moment où des gouvernements élus sur cette vague commencèrent à apparaître, en commençant par celui de Hugo Chavez, en 1998, suivi par une impressionnante série de présidents latino-américains - Lula, Kirchner, Tabaré Vasquez, Evo Morales, Rafael Correa, Fernando Lugo – qui exprimaient la volonté de conquête de l’hégémonie, devenue centrale dans la lutte contre le néolibéralisme.
Les Forums se trouvèrent confrontés à de nouveaux dilemmes : quelle attitude adopter face à ces gouvernements qui en vinrent à constituer l’élément avancé de la lutte contre le néolibéralisme et pour la construction d’alternatives à ce modèle ? Ils n’y étaient pas préparés car ils s’étaient organisés pour la phase de résistance antérieure, et avaient limité leur action à une prétendue « société civile » excluant la sphère politique et, avec elle, les partis, les gouvernements et la stratégie. Dans ce cadre, les Forums commencèrent à tourner à vide en cessant d’être les pôles majeurs de la lutte anti-libérale, fonction transférée aux gouvernements pratiquant de plus ou moins grandes ruptures avec ce modèle.
Le prochain Forum qui, significativement, aura lieu en Amérique latine – maillon le plus fragile de la chaîne libérale – a la possibilité de surmonter cette perte de repères et de redéfinir son périmètre d’intervention. D’une part en rétablissant d’une autre façon les relations entre les sphères sociale et politique, unique moyen de conquérir une nouvelle hégémonie, de lutter réellement pour la construction d’un « autre monde possible », comme dans le combat contre les guerres impériales des Etats-Unis. Le fait qu’il se tienne en Amérique latine favorisera la forte dimension continentale qu’il doit avoir, avec une analyse et un bilan des dix années écoulées depuis l’élection du premier gouvernement alternatif du continent.
C’est pourquoi seront, entre autres, des thèmes centraux du Forum de Belém : une nouvelle architecture financière mondiale, la définition de plateformes post-néolibérales, la construction de processus de paix justes dans les épicentres de la « guerre sans limites » - Irak, Afghanistan, Palestine, Colombie –, les avancées vers la mise en place d’entreprises publiques alternatives, les voies de la lutte pour un monde multipolaire…
Le moment est venu de construire des alternatives concrètes au néolibéralisme, aux niveaux mondial, régional et local. Pour le Forum, c’est l’occasion de se recycler et de se mettre à la hauteur du plus important défi auquel la gauche doit faire face en ce nouveau siècle. L’Amérique latine a avancé significativement dans cette direction. Il appartient au Forum d’accepter ce défi et de se réincorporer clairement dans la construction d’un « autre monde possible ». Cette construction a déjà commencé dans cette partie du monde, celle, justement, qui fut choisie par le FSM pour accueillir son siège privilégié.