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L’avenir du FSM

Forces et limites des Forums sociaux

Jeudi 11 octobre 2007, par François Houtart

Conclusion et pistes de réflexion élaborées par François Houtart, le directeur du Centre Tricontinental, à l’occasion du premier Forum social congolais.

A la fin de ce premier Forum social congolais, on peut se réjouir du résultat obtenu par une présence diversifiée, des différentes régions du pays et des différents secteurs sociaux. On peut dire que ce Forum social congolais a répondu aux fonctions des Forums sociaux et qu’il correspondait également à une attente. C’est précisément pour cette raison qu’il est important de réfléchir sur les forces et les limites des Forums sociaux.

1. Les forces

Deux aspects fondamentaux, au milieu de beaucoup d’autres, peuvent être soulignés. Tout d’abord, le fait qu’il s’agit d’une convergence de divers secteurs d’activité sociale et ensuite qu’une des principales fonctions est de renforcer une conscience collective.

Le concept de convergence suppose que tous les participants soient mis sur le même pied, une grande ONG ou un mouvement débutant, et que chacun ait la possibilité de s’exprimer. C’est une première caractéristique des Forums sociaux, qui ont toujours mis l’accent sur un fonctionnement démocratique, l’absence d’une hiérarchie constituée par le pouvoir des uns ou des autres et donc la création d’un espace où chacun puisse s’exprimer, expliquer ses objectifs, faire part de ses expériences, échanger sur les difficultés rencontrées et discuter des alternatives et des stratégies.

Bien entendu, il ne s’agit pas dans les Forums sociaux d’un rassemblement de n’importe qui. La charte est tout à fait claire pour établir les critères. Il s’agit de ceux qui luttent contre le néolibéralisme, contre l’hégémonie mondiale du capital, contre toute forme d’impérialisme et qui sont à la recherche d’alternatives. Cela exclut automatiquement un certain nombre d’organisations qui ne peuvent souscrire à un tel objectif : celles qui font partie des groupes dominants ou de ce que l’on pourrait appeler la société civile d’en haut. Mais la charte prévoit également que les organisations politiques n’ont pas une place institutionnelle au sein de Forums, même si leurs membres et éventuellement des dirigeants des partis politiques peuvent y participer à titre personnel ou dans le cadre d’ONG ou de mouvements sociaux ne sont pas représentés comme tels. Les mouvements religieux ou les Eglises qui se définissent en fonction d’objectifs spirituels ou pastoraux. Cela n’empêche nullement des croyants organisés d’être présents, par le biais de mouvements sociaux ou d’organisations non gouvernementales ou comme personnes à condition d’appuyer les objectifs du Forum.

Dans le continent africain, la conscience collective d’une lutte contre le néolibéralisme est relativement récente ou même à ses tout débuts. Le problème fondamental du continent a été au cours des dernières décennies, de se redéfinir nationalement et de créer son identité politique. Sans doute, l’exploitation économique a-t-elle été ressentie, à la fois comme une agression externe et comme une restructuration sociale interne ayant permis l’éclosion d’une classe servant d’intermédiaire à l’exploitation des richesses nationales. Aujourd’hui cependant, dans la plupart des pays africains et notamment au sein des Forums, lorsqu’ils ont pu se dérouler, une conscience objective de ce que signifie la logique même du système économique national et mondial est en train de se développer. Cela ne signifie nullement un abandon des efforts pour construire un Etat national solide et capable d’assurer la souveraineté politique, mais également le contrôle des ressources naturelles et des produits alimentaires. Cela ne signifie pas non plus une attention exclusive aux aspects économiques, mais aussi une mise en valeur des résistances culturelles et éthiques, face à la destruction des deux domaines précités.

L’absence d’une conscience collective abordant le caractère global et mondial des situations, peut conduire à une faiblesse, non seulement dans les perspectives d’analyse, mais surtout dans les formes de l’action. En fait, quoi qu’on en dise, le continent africain est celui qui est le plus intégré dans la mondialisation, en tant qu’objet d’exploitation et non pas en tant qu’acteur. Une telle situation rend les populations africaines très vulnérables, particulièrement susceptibles d’être entraînées dans des conflits aux conséquences très graves et souvent prêtes à se laisser prendre au piège des cooptations. On l’a souvent souligné au cours de ce premier Forum social congolais, la nécessité de changer les mentalités est grande, mais il ne faut pas oublier que ces dernières changent en fonction des pratiques et de la réflexion sur les pratiques. Tout cela indique l’importance de l’introduction de l’Afrique dans le courant altermondialiste qui se construit à l’échelle mondiale.

Convergence signifie également que l’on accepte de ne pas être d’accord sur tout. C’est une des raisons pour lesquelles les Forums ne produisent pas un document final ni des consignes d’action. En effet, de telles initiatives signifient nécessairement des compromis et exigent de passer un temps considérable à des discussions de procédure ou de rédaction, sans parler de pressions pour faire passer telle ou telle proposition. Ce n’est pas que les Forums ignorent la nécessité de l’action, et nous en reparlerons, mais ce n’est pas leur fonction. Offrir un espace de convergence où tous se sentent à l’aise est déjà en soi un acte politique qui conditionne l’avenir.

En deuxième lieu, parmi les forces des Forums, il faut souligner l’importance de la construction d’une conscience sociale commune. C’est évidemment une première phase dans un processus, mais le fait que des organisations congolaises continentales ou mondiales aussi diverses que celles des femmes, des peuples autochtones, des paysans, des ouvriers, des défenseurs des droits de l’homme, des défenseurs des forêts, de l’action humanitaire, des promoteurs de paix, des défenseurs des consommateurs, puissent dialoguer ensemble sur des problèmes communs, est de la toute première importance dans l’état actuel des mouvements et des organisations sociales.

Cela permet de se rendre compte que l’on est tous dans le même bain, sans doute avec des spécificités, mais aussi avec des problèmes qui concernent tout le monde : par exemple, la destruction des forêts, la piraterie des ressources naturelles, les privatisations sans limite, la corruption de nombreux responsables administratifs et politiques. Tout cela appartient à la même logique et il est important d’en comprendre les mécanismes. Personne, dans une convergence, ne doit abandonner ses objectifs, ni même ses priorités. L’important est de connaître celles des autres et d’essayer de comprendre pourquoi des actions d’appuis mutuels peuvent être nécessaires, de même qu’une lutte commune pour certains objectifs.

On aura tout de suite compris par ailleurs que l’aspect éthique est très important dans la construction d’une conscience collective. C’est là que peuvent intervenir les différentes références religieuses ou philosophiques, auxquelles il ne faut pas renoncer, mais qui au contraire permettent de souligner le lien entre les principes et l’action.

2. Les limites des Forums sociaux

Nous soulignerons aujourd’hui trois limites : le fait qu’ils ne soient pas des organismes d’action ; le danger du développement d’une idéologie de classe moyenne et les stratégies de l’adversaire.

Tout d’abord à propos de l’action. Comme nous l’avons dit, les Forums sont des espaces de rencontres et d’échanges et non pas un mouvement. Ils permettent de dépasser les clivages. De par leur existence, ils sont déjà un fait social en soi, car ils permettent de faire démarrer des réseaux et parfois des expériences communes.

La nécessité de l’action n’en reste pas moins fondamentale. Le risque des Forums c’est qu’on y parle, qu’on y chante, qu’on y danse, mais que pendant ce temps là le système continue à tourner sans être trop éclaboussé par ce qui se passe. Si nous pensons au Congo : au cours des trois jours pendant lesquels nous nous sommes réunis, combien d’arbres ont été coupés dans les forêts de la cuve et du Nord, combien de camions ont passé la frontière de manière illégale remplis de minerais ; combien de kilos d’or et de coltan ont été exportés clandestinement vers des pays voisins ? L’objection que l’on fait alors aux Forums, c’est l’inefficacité. Cela nous rapporte évidemment à leur fonction. Il ne faut pas attendre des Forums ce qu’ils ne peuvent pas donner. La construction d’une convergence est un pas dans un processus, ni le seul, ni le dernier. Mais évidemment pour que l’efficacité soit réelle, il faut que le processus se déroule dans son ensemble. D’où la préoccupation des Forums sociaux pour l’action.

Divers mécanismes ont été envisagés, dont nous ne pouvons donner l’ensemble dans cette réflexion. Mais il en est un qui est directement disponible dans le sein même des Forums et c’est l’Assemblée des mouvements sociaux. N’oublions pas que ce sont les mouvements qui forment la base fondamentale des Forums. Les ONG (bien qu’il soit parfois difficile dans un pays comme le Congo de faire la part des choses) doivent rester des services et des appuis. Il en est de même des intellectuels, dans le sens large du mot, c’est-à-dire tous ceux qui sont capables de prendre une distance critique vis-à-vis de l’action, où qu’ils se trouvent et dont la tâche au sein du Forum est celle d’un service permettant l’apport d’une réflexion systématique, à la fois d’analyse et de prospective.

L’Assemblée des mouvements sociaux peut donc proposer des objectifs d’action, des stratégies ou des campagnes. Cela s’est passé à plusieurs reprises dans des Forums sociaux mondiaux, continentaux et nationaux. Ce fut le cas par exemple en 2003, de la campagne contre la guerre de l’Irak, proposé au Forum européen de Florence et qui réunit le 15 février de cette année plus de 15 millions de personnes dans les rues de plus de 600 villes. Ce fut le cas aussi de la lutte contre l’ALCA en Amérique latine, qui fut victorieuse et dont l’initiative a été proposée au cours des Forums en Amérique latine. Nous voyons donc que ce ne sont pas les Forums, ni leur Conseil national ou international qui prennent l’initiative de l’action. Mais ils forment un cadre qui permet aux mouvements sociaux de faire des propositions.

Cela nous permet de poser un autre problème, celui du rapport au politique. Au départ des Forums, il y eut une forte méfiance vis-à-vis du monde politique. Ce n’était pas toujours sans raison. En effet, bien souvent les organisations politiques ont instrumentalisé les mouvements sociaux ou ont essayé de les soumettre à la logique électorale, alors que les fonctions sont très différentes. Cependant, la crainte du politique a parfois amené à adopter des attitudes anti-politiques, particulièrement irréalistes. Cela explique le succès qu’a pu avoir la théorie de John Holloway, développée dans son ouvrage : Comment transformer les sociétés sans prendre le pouvoir ? Sans doute, la prise du pouvoir gouvernemental ou présidentiel ne constituent-t-elles pas la totalité des instruments pour changer une société. De ce point de vue, la position est correcte. Mais comment réaliser une réforme agraire, une campagne d’alphabétisation, la récupération de la souveraineté sur les ressources naturelles, sans exercer un pouvoir politique ?

Les logiques sont différentes. Il est important que l’on comprenne et que l’on respecte les autonomies. Les acteurs politiques sont obligés de réaliser des compromis en fonction des rapports de force. Les mouvements sociaux ne peuvent abandonner leurs objectifs et la radicalité de ces derniers pour se soumettre à des impératifs politiques et alors conquérir le pouvoir dans ce domaine ? C’est donc une question que l’on peut éluder et qui d’ailleurs dans un continent comme l’Amérique latine a pris une nouvelle dimension. L’établissement de gouvernements désireux de mettre en pratique un certain nombre des objectifs des Mouvements résistant contre le néolibéralisme et la création de nouveaux organes d’intégration économique, sociale ou culturelle, place les mouvements et les ONG face à de nouvelles responsabilités.

La deuxième limite se situe sur un plan culturel et il s’agit de la mentalité de classe moyenne qui domine souvent les responsables des ONG et de certains mouvements sociaux, car de fait ils appartiennent à ce milieu social. Ce ne sont pas les plus pauvres qui sont présents dans les Forums, mais ceux qui parlent au nom des pauvres. Il s’agit de le reconnaître. C’est un fait social et il faut chercher les parades aux déviations possibles. L’idéologie de la classe moyenne est généralement peu radicale, accommodante, forte en paroles plus qu’en actes et risque donc de se détacher des objectifs populaires réels et de ce qu’est une véritable société civile d’en bas. Il y a là un obstacle réel, mais pas insurmontable. La conscience du phénomène permet de développer une autocritique permanente et de se faire interpeller par les bases.

Il faut ajouter à cette réalité, le fait que la toute grande majorité des victimes du système économique mondial ne sont pas représentées dans les Forums, parce qu’elles ne sont pas organisées. Dans le monde entier, on connaît des résistances, souvent radicales et même parfois victorieuses, de groupes locaux, qui s’élèvent contre la construction d’un barrage, la privatisation de l’eau ou de l’électricité, l’achat par des compagnies transnationales de forêts, etc., mais qui pour autant ne constituent pas des mouvements. C’est un des défis importants des Forums sociaux, mais également des mouvements sociaux, de réunir dans une force plus cohérente l’ensemble de ces initiatives. Un mouvement comme MONLAR (Mouvement pour la réforme agraire) au Sri Lanka, a permis de rassembler pour des actions communes, à la fois des mouvements organisés et des initiatives locales qui n’avaient pas nécessairement abouti à une organisation permanente. A Mumbai, lors du quatrième Forum social mondial, la présence physique de personnes des classes populaires a permis d’être mieux conscient de cette situation. L’institutionnalisation nécessaire des luttes crée évidemment une distance objective entre les bases et organisations, mais il est possible de surmonter cet obstacle.

La troisième limite est celle des stratégies de l’adversaire. Il ne faut pas s’attendre à ce que le système économique néolibéral, avec ses instruments institutionnels et son action politique et culturelle reste indifférent face aux initiatives prises au départ des Forums. Déjà maintenant trois stratégies sont développées. La première est la cooptation. Le FMI a organisé un bureau de contact avec les ONG. La Banque mondiale avait mis sur pied une instance réunissant les grandes religions du monde. Le Forum économique mondial de Davos invite des dirigeants syndicalistes, des ONG et même des chefs d’Etat progressistes, pour un "dialogue" dont cependant les conditions minimales ne sont pas réunies.

Par ailleurs, l’utilisation des concepts et des mots est aussi un champ de lutte culturelle. Les organismes financiers internationaux parlent de société civile, de démocratie participative, de lutte contre la pauvreté de décentralisation, mais ils donnent à ces concepts des sens radicalement différents de ceux des mouvements sociaux. Pour la Banque mondiale, donner plus d’espace à la société civile, signifie réduire celui de l’Etat. La lutte contre la pauvreté s’inscrit à l’intérieur de la logique du marché, à l’origine de l’accroissement des inégalités. La décentralisation permet un contrôle plus facile de la part des puissances économiques. Enfin, il faut ajouter l’appareil répressif toujours plus important, soit par le biais de lois sécuritaires qui diminuent les libertés civiques, soit par un renforcement des forces policières, soit encore par l’extension des bases militaires, américaines principalement, pour le contrôle des ressources naturelles.

Il s’agit donc pour l’ensemble des forces altermondialistes, d’être conscient de ces stratégies et d’essayer d’en prévoir les effets, de se défendre et ne pas se laisser piéger. D’où l’importance de l’action pour la paix et contre les bases militaires dans le monde : il faudrait par exemple que l’opinion publique congolaise s’oppose à l’établissement de nouvelles bases américaines dans le Bas Congo et au Katanga. D’où l’importance aussi d’une grande vigilance concernant les législations répressives, qui sous le prétexte de lutter contre le narcotrafic et le terrorisme ou d’assurer la sécurité, ce qui sont des objectifs certainement valables, servent en fait à la répression des mouvements sociaux et à leur criminalisation. D’où également la nécessité de former des réseaux de défense juridique, notamment pour les dirigeants des mouvements sociaux, les avocats, les journalistes qui souvent sont la cible des pouvoirs répressifs.

A la fin de ce premier Forum social congolais, on peut se réjouir du résultat obtenu par une présence diversifiée, des différentes régions du pays et des différents secteurs sociaux. On peut dire que ce Forum social congolais a répondu aux fonctions des Forums sociaux et qu’il correspondait également à une attente. C’est précisément pour cette raison qu’il est important de réfléchir sur les forces et les limites des Forums sociaux.

3. L’avenir

La convergence des mouvements sociaux et des organisations progressistes n’est pas un but en soi. Elle n’est qu’un élément dans un ensemble, qui va de la construction d’une conscience collective à celle d’acteurs collectifs. C’est ainsi que nous pourrons déboucher un jour sur un nouveau sujet historique, c’est-à-dire l’ensemble des porteurs d’un projet post-capitaliste qui permettra d’organiser l’économie mondiale sur d’autres bases que celles de la destruction de la nature et de millions d’êtres humains. Au cours des 19e et 20e siècle, c’est la classe ouvrière des pays industrialisés qui a formé ce sujet historique. Aujourd’hui, il ne pourra qu’être pluriel, certes avec la présence des travailleurs organisés, mais également avec d’autres acteurs, l’ensemble des victimes de la soumission du travail au capital, qui s’est étendu aujourd’hui à l’ensemble du monde et à tous les groupes sociaux subalternes : les paysans, les peuples autochtones, les femmes, etc.

Quant aux objectifs à fixer, afin de construire ce monde post-capitaliste, on peut les résumer en quatre axes fondamentaux, fondements d’une autre mondialisation. Il s’agit tout d’abord de se baser sur des ressources naturelles renouvelables et d’établir un contrôle public sur le non renouvelable. Cela signifie une autre philosophie du rapport entre les êtres humains et la nature. De l’exploitation on doit retrouver la notion de symbiose, telle qu’elle existait dans les sociétés précapitalistes. Les êtres humains font partie de la nature et le respect de cette dernière signifie aussi le respect de l’humanité.

Le deuxième axe est de privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange. En d’autres mots, la production et la distribution des biens et des services doit se réaliser d’abord en fonction des besoins des gens et seulement en second lieu pour des échanges. La logique du capitalisme va exactement dans l’autre sens. Tout doit devenir marchandise, pour pouvoir contribuer à l’accumulation du capital, ce qui aboutit à privilégier une consommation sophistiquée et destructrice sur les besoins globaux de l’humanité. Renverser la perspective signifie également une autre philosophie de l’économie, rétablissant sa fonction essentielle, c’est-à-dire produire les bases nécessaires à la vie matérielle, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.

Le troisième axe constitue à instaurer une démocratie généralisée, c’est-à-dire, dans le domaine politique, non seulement une démocratie représentative mais aussi participative et d’étendre cette dernière à l’ensemble des rapports sociaux, y compris dans l’organisation de l’économie et dans les rapports entre hommes et femmes. Enfin, le dernier axe est l’interculturalité, c’est-à-dire donner la possibilité à toutes les cultures, à tous les savoirs, à toutes les philosophies, à toutes les religions de contribuer à la construction de cette nouvelle logique post-capitaliste, en lui apportant la diversité et les bases éthiques indispensables.

L’altermondialisme et son expression dans les Forums sociaux se trouvent donc face à une tâche très importante à réaliser dans l’avenir. On est au début d’un processus. L’important est de savoir qu’il existe des possibilités d’aboutissement et que même si la lutte est dure et longue, elle peu déboucher. C’est certainement une des leçons que nous avons pu tirer du premier Forum social congolais.

La convergence des mouvements sociaux et des organisations progressistes n’est pas un but en soi. Elle n’est qu’un élément dans un ensemble, qui va de la construction d’une conscience collective à celle d’acteurs collectifs. C’est ainsi que nous pourrons déboucher un jour sur un nouveau sujet historique, c’est-à-dire l’ensemble des porteurs d’un projet post-capitaliste qui permettra d’organiser l’économie mondiale sur d’autres bases que celles de la destruction de la nature et de millions d’êtres humains. Au cours des 19e et 20e siècle, c’est la classe ouvrière des pays industrialisés qui a formé ce sujet historique. Aujourd’hui, il ne pourra qu’être pluriel, certes avec la présence des travailleurs organisés, mais également avec d’autres acteurs, l’ensemble des victimes de la soumission du travail au capital, qui s’est étendu aujourd’hui à l’ensemble du monde et à tous les groupes sociaux subalternes : les paysans, les peuples autochtones, les femmes, etc.

Quant aux objectifs à fixer, afin de construire ce monde post-capitaliste, on peut les résumer en quatre axes fondamentaux, fondements d’une autre mondialisation. Il s’agit tout d’abord de se baser sur des ressources naturelles renouvelables et d’établir un contrôle public sur le non renouvelable. Cela signifie une autre philosophie du rapport entre les êtres humains et la nature. De l’exploitation on doit retrouver la notion de symbiose, telle qu’elle existait dans les sociétés précapitalistes. Les êtres humains font partie de la nature et le respect de cette dernière signifie aussi le respect de l’humanité.

Le deuxième axe est de privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange. En d’autres mots, la production et la distribution des biens et des services doit se réaliser d’abord en fonction des besoins des gens et seulement en second lieu pour des échanges. La logique du capitalisme va exactement dans l’autre sens. Tout doit devenir marchandise, pour pouvoir contribuer à l’accumulation du capital, ce qui aboutit à privilégier une consommation sophistiquée et destructrice sur les besoins globaux de l’humanité. Renverser la perspective signifie également une autre philosophie de l’économie, rétablissant sa fonction essentielle, c’est-à-dire produire les bases nécessaires à la vie matérielle, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.

Le troisième axe constitue à instaurer une démocratie généralisée, c’est-à-dire, dans le domaine politique, non seulement une démocratie représentative mais aussi participative et d’étendre cette dernière à l’ensemble des rapports sociaux, y compris dans l’organisation de l’économie et dans les rapports entre hommes et femmes. Enfin, le dernier axe est l’interculturalité, c’est-à-dire donner la possibilité à toutes les cultures, à tous les savoirs, à toutes les philosophies, à toutes les religions de contribuer à la construction de cette nouvelle logique post-capitaliste, en lui apportant la diversité et les bases éthiques indispensables.

L’altermondialisme et son expression dans les Forums sociaux se trouvent donc face à une tâche très importante à réaliser dans l’avenir. On est au début d’un processus. L’important est de savoir qu’il existe des possibilités d’aboutissement et que même si la lutte est dure et longue, elle peu déboucher. C’est certainement une des leçons que nous avons pu tirer du premier Forum social congolais.