Mais l’Europe ne se limitait pas à ces bonnes intentions. Elle réclamait surtout des efforts « vers des politiques économiques permettant d’assurer un redressement durable et d’améliorer le niveau de vie du peuple cubain ». En un mot, Bruxelles souhaitait que Cuba adopte le système d’économie de marché et ouvre ses portes au capitalisme2.
L’Union européenne proposait même un accord de coopération, mais y intégrait une clause précise : elle se réservait le droit de le suspendre « en cas de violation grave des dispositions relatives aux droits de l’homme », sans plus de précisions. Ainsi, la position commune est unique en son genre dans la mesure où les conditions imposées à Cuba ne s’appliquent pas aux autres nations ayant des relations avec l’Union européenne3.
En juin 2003, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre espagnol, José María Aznar, l’Union européenne a décidé d’imposer des sanctions politiques et diplomatiques à Cuba. Cette décision se justifiait, officiellement, en raison de la « situation des droits de l’homme » et suite à l’arrestation de 75 personnes considérées comme des « agents au service d’une puissance étrangère » par la justice cubaine et comme des « dissidents » par Bruxelles4.
De leur côté, Les Etats-Unis ont présenté à l’ancienne Commission des droits de l’homme des Nations unies qui siégeait à Genève, chaque année, de 1987 à 2006, une résolution contre Cuba dénonçant les « violations des droits de l’homme ». D’ailleurs, discréditée par ses décisions politisées et partiales, celle-ci a été remplacée en mai 2006 par un nouveau Conseil des droits de l’homme. Durant cette période de près de vingt ans, le seul pays pointé du doigt par les différentes administrations étasuniennes sur le continent américain a été Cuba. Désormais, l’Union européenne a emboîté le pas à Washington en imposant également des sanctions à Cuba5.
Tout comme les Etats-Unis, le seul pays du continent américain condamné par l’Union européenne et victime de telles sanctions est Cuba, ce qui rend d’autant plus incompréhensible la position de Bruxelles. Seuls quatre autres pays du monde subissent le même sort : la Birmanie, l’Irak, le Nigeria et le Zimbabwe. De plus, de nombreux soupçons émergent quant aux réels motifs de cette stigmatisation. Pourquoi Cuba ? Et surtout, pourquoi seulement Cuba ? Ce pays a-t-il un statut spécifique au niveau du respect des droits de l’homme ? Viole-t-on les droits de l’homme uniquement à Cuba ? Qu’en est-il de la situation dans les autres pays du monde ?
Pourquoi Bruxelles se range-t-elle de façon si dévote sur la position étasunienne ? Il est en effet difficile de concevoir qu’une puissance aussi importante que l’Europe des 25 s’aligne de manière docile et disciplinée sur la politique étrangère de Washington vis-à-vis du petit archipel des Caraïbes.
Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne adopte ainsi la politique agressive des Etats-Unis contre La Havane. Par exemple, le 14 avril 2005, la résolution présentée par Washington contre Cuba à la Commission des droits de l’homme de Genève avait été co-parrainée par l’Union européenne. Celle-ci a ainsi montré, une fois de plus, qu’elle se trouvait dans l’incapacité d’adopter une position souveraine, préférant s’inféoder aux manœuvres politiciennes étasuniennes6.
Un autre exemple est édifiant. Toujours en avril 2005, à Genève, une autre résolution, adoptée par une grande majorité (35) des 50 membres de la Commission, a été rejetée par l’Union européenne, et bien sûr par Washington. La résolution condamnait « l’utilisation de mercenaires pour violer les droits de l’homme et le droit des peuples à l’autodétermination ». L’UE s’est refusée à adopter un texte condamnant les pratiques de la Maison-Blanche, notamment à l’égard de Cuba7.
Mais au-delà de cet alignement inconditionnel sur Washington, il convient de se questionner sur la légitimité d’imposer des sanctions à Cuba pour violations des droits de l’homme. Ainsi, le 12 juin 2005, le Conseil de l’Europe, réuni alors au Luxembourg, a constaté l’absence « de progrès satisfaisants concernant le respect des droits de l’homme à Cuba ». Le Conseil a insisté sur le fait que « la question des droits de l’homme devra être évoquée par chaque visiteur de haut niveau8 ».
Cette attitude est éminemment discutable. Il ne s’agit pas de soutenir qu’il n’y a aucune violation des droits de l’homme dans la plus grande île antillaise : selon plusieurs organismes internationaux, certaines violations des droits de l’homme persistent à Cuba. Cependant, pour pouvoir s’ériger en père moralisateur, il faut être irréprochable dans ce domaine.
Il existe un moyen relativement simple de se faire une idée de la situation des droits de l’homme à travers le monde, et ce pour n’importe quel pays. Amnesty International, une organisation de défense des droits de l’homme réputée pour son sérieux et son travail remarquable, publie chaque année un rapport sur ce sujet. Il suffit donc de consulter le rapport 2006, qui couvre la période allant de janvier à décembre 2005, pour connaître le degré de respect des droits fondamentaux dans les diverses nations de la planète.
Dans cet ouvrage, la situation des droits de l’homme au sein de l’Union européenne est disséquée et comparée à celle de Cuba. Le continent américain, du Canada jusqu’en Argentine, est également passé à la loupe. Cette étude est intéressante à plusieurs égards. Tout d’abord, elle démontre que la représentation idéologique que l’on se fait de certains pays est souvent différente de la réalité. Ensuite, elle met en question l’autorité morale de l’Union européenne, qui se pose en juge suprême en matière des droits de l’homme. Enfin, elle remet en cause la légitimité des sanctions contre Cuba officiellement dues à la « situation des droits de l’homme » dans ce pays. Le constat est simple : la crédibilité de l’Europe sur cette épineuse question est relativement faible, pour ne pas dire inexistante.