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RDC

De la démocratie au Congo

Mardi 1er mai 2007, par Ernest Wamba dia Wamba

Le Professeur Wamba dia Wamba présente une analyse critique du contexte historique des dernières élections en République Démocratique du Congo, dans lesquelles les influences extérieures ont continué de jouer un grand rôle pour ce qui est du résultat des élections, et il conclut par des réflexions au sujet de l’avenir du projet de démocratie en RDC.

Le projet démocratique importé de la RDC

Y a-t-il un projet congolais de construction de démocratie en RDC ? Il n’y a pas encore eu de débat sérieux qui ait réellement traité cette question. La construction de la démocratie devrait, normalement, mettre l’accent sur la formation des demos, l’habilitation de leurs capacité de faire de bons choix, leur maîtrise des questions cruciales de ce à quoi un bon Etat démocratique devrait ressembler.

Dès le départ, avec l’octroi précipité de l’indépendance le 30 juin 1960 par la Belgique, les Congolais n’ont jamais eu la chance, par eux-mêmes et sans aucune interférence extérieure, de débattre les paramètres de la définition de la crise à laquelle ils avaient longuement fait face puisque les militants des croisades de la Guerre Froide ont démantelé le régime nationaliste et assassiné Patrice Lumumba. Même la soi-disant Conférence Nationale Souveraine (CNS), en pointant singulièrement le doigt sur Mobutu comme la cause de tous les maux, s’est terminée en ne parvenant pas à comprendre la signification de l’impact de la Guerre Froide sur le pays. Elle a finalement adopté une proposition par Herman Cohen — ancien vice-secrétaire d’Etat des Etats –Unis aux Affaires Africaines — de maintenir Mobutu au pouvoir et de seulement réduire ses pouvoirs. Plus tard, une telle solution est devenue une farce.

De nouvelles rébellions n’auraient pas pu être évitées. Ces dernières prétendaient chercher des solutions à la crise. Chaque fois, des propositions de solutions venaient de l’extérieur, souvent offertes comme une nécessité pour le projet démocratique. Une fois au pouvoir, AFDL, par exemple, a continué de reporter la mise en oeuvre de son soi-disant projet démocratique. Une autre rébellion, prétendant être plus engagée à mettre en oeuvre son projet démocratique émergea. Cette fois-ci elle était soutenue par des Etats africains de la région et de grandes personnalités.

Ce qui paraissait jusqu’à la signature de l’Accord de Lusaka (juillet-août 1999) être une initiative exclusivement africaine pour la résolution de la crise qui a souvent conduit à des guerres civiles, des rébellions ou des interventions armées de l’extérieur, fut accaparé par des forces de la communauté internationale. Ces dernières, selon feu Mwalimu Nyerere, étaient responsables d’imposer une mauvaise solution en la personne de Mobutu, qui a fini par détruire le pays. L’ensemble des moyens financiers requis pour mettre en oeuvre une telle “solution”, ne pouvait venir que de la communauté internationale ; les Etats africains ne pouvaient pas la prendre en charge.

Chaque fois qu’une occasion d’affronter une telle crise se présentait, les Congolais étaient amenés à déplacer leur centre d’intérêt, suivant les exigences des intérêts des autres forces : de la nécessité d’une palabre de gens organisée spécialement pour déterrer les racines de la crise, au partage du pouvoir en tant que moyen de réaliser la paix en récompensant de façon proportionnelle ceux ayant une capacité de menacer la paix et de continuer la guerre. Les seigneurs de guerre, étant ainsi récompensés, étaient transformés en démocrates qui répondent aux besoins et aux aspirations des masses rendues victimes et appauvries. Une démocratie construite sur une telle base ne peut que favoriser les mêmes gens.

Ce qui était supposé être un Dialogue Inter-Congolais est devenu pratiquement une résolution de conflit de type onusien dans laquelle le processus de facilitation devient le processus initiateur ou imposteur. Le « Dialogue » devient technique et hiérarchique. Il s’est terminé avec une situation où CIAT obtenait presque le droit de veto sur la transition. Sans cette pression extérieure, aucun objectif de la transition n’aurait pu être réalisé.

Quand la crise s’approfondit et que les personnes qui l’allège ou celles qui soutiennent le changement pour le meilleur et les gens qui veulent que les choses restent inchangées sont placés sur un même pieds d’égalité, il devient difficile d’atteindre le consensus à propos de là où il faut commencer et par où il faut terminer— la tâche principale de la transition. Le manque de confiance parmi les acteurs s’aggravait. Sur les cinq objectifs retenus pour la transition, seuls deux pouvaient être considérés comme ayant été réalisés : la mise sur pied des institutions de la transition, et l’organisation des élections dans la précipitation. Tous les autres étaient soit à moitié accomplis, ou pas du tout accomplis. La vérité et la réconciliation nationales par exemple ont à peine démarré.

Le processus de rédaction du projet de constitution fut fondamentalement gardé loin de ceux qui seraient les demos congolais. Des consultations au niveau du Sénat avec des catégories sociales ciblées furent soit précipitées ou très abstraites — demander aux gens de faire des choix sur des concepts qu’ils comprennent à peine – forme d’Etat, régime semi-présidentiel, fédéralisme. Les sénateurs se sont abstenus d’expliquer les choses, on suppose, pour ne pas influencer les résultats. Deux jours avant le vote du référendum, seules 500.000 copies de la constitution avaient été imprimées pour les 25.000.000 ou à peu près électeurs. Parmi celles réellement en circulation, quatre versions de textes de la constitution pouvaient être identifiées. Ceci explique les frustrations de la dame qui demandait la photo de « Monsieur Référendum » pour l’aider à décider comment donner son vote.

Un débat éducationnel nécessaire sur la rédaction du projet de constitution n’a pas eu lieu. Les questions élémentaires qui doivent être traitées par la constitution furent à peine débattues, à savoir : dans quelle sorte d’Etat sommes-nous, et que voulons-nous qu’il soit dans l’avenir ? Quelles sortes de rapports voulons-nous avoir avec le monde extérieur ? Comment le pouvoir devrait-il organisé pour qu’il réponde aux besoins et aux aspirations élémentaires de la grande majorité de gens, présentement, et dans l’avenir ? Comment pouvons-nous habiliter les gens pour qu’ils contrôlent les institutions ? Des débats sur les diverses expériences de constitutionalisme ne furent pas tenus, sauf pour ce qui est du désir de copier les constitutions des autres, sous l’argument comme quoi la modernité ne peut venir que d’ailleurs. Les expériences les plus créatives furent à peine identifiées ou discutées pour nous aider à rédiger un meilleur projet de constitution.

A cause de la rareté des débats fondamentaux impliquant toutes les couches de la société, les lois ont tendance à être tissées selon les candidats potentiels connus plutôt que selon l’ensemble de l’avenir prédictible. Des éléments cruciaux, tels que les niveaux d’éducation, l’intégrité morale, la capacité de diriger, ne furent pas tenus en considération dans un pays déchiré par des valeurs négatives et l’exclusion de la compétence et le sens du travail. Des pilleurs et des gens qui sont devenus riches au point d’être comparables à la trésorerie ont dominé les institutions. Des sommes d’argent élevés furent exigées, par la loi, de la part des candidats aux élections, ce qui a exclu les types honnêtes et décents, qui n’ont pas eu la chance de piller.

Malgré que les lois exigeaient que les débats fassent partie des campagnes électorales, aucun débat sérieux n’a eu lieu. Un consensus national sur la situation dans laquelle notre pays se situait, sur ce qui doit être fait pour l’en sortir, avec qui travailler, et le genre de capacités de direction qu’il faut promouvoir, ne fut pas réalisé. Le fait que notre pays se trouve dans une situation catastrophique et d’urgence, une situation exceptionnelle qui en appelle à une réponse exceptionnelle, ne fut jamais traité. Les élections furent une occasion pour que chaque personne fasse voir autant que possible sa capacité financière pour obtenir un poste dans un programme de partage du pouvoir. Certaines gens qui pouvaient se le payer se sont faits élire à différents postes. Plus adéquatement, ils se sont achetés différents postes, et ils ont placé des gens de leurs familles ou leurs clients à ces postes.

Ce n’était possible, en raison de la façon dont la transition s’est déroulée, pour la formation et le développement d’une Coalition Démocratique Nationale Populaire (PNDC) qui doit être créée. Une telle coalition aurait été le vecteur de promotion des débats nécessaires sur les questions pertinentes. L’UDPS d’Etienne Tshisekedi, qui souffre toujours de la politique d’opposition — « ce que font ceux qui sont au pouvoir n’est pas bon, quand nous serons au pouvoir, les choses seront meilleures » -, n’est pas parvenu à aider à organiser une telle coalition. Pour son propre compte, il a lancé un appel en faveur de la nécessité d’avoir des consultations au sommet pour se mettre d’accord sur la meilleure façon d’organiser les élections à la satisfaction de tout le monde. Mais rien n’en est sorti, et l’UDPS ne participa pas aux élections.

Les élections furent organisées surtout sur base du financement extérieur. Ceci a donné aux forces extérieures l’influence quitte à contrôler le processus, sa vitesse, son domaine et son ordre de priorités. L’ascendance envers leurs préférences s’est moquée de la souveraineté nationale pendant les élections : du projet démocratique en tant que tout. Il n’y a eu presque aucun financement destiné à la tâche cruciale d’éducation civique pour l’électorat. La diaspora congolaise, qui est parmi les plus informés, et dans certains cas les gens qui vivent dans des pays démocratiques, furent exclus du processus, sous des arguments douteux de coûts.

Les Congolais se trouvant au sein des forces de sécurité ne furent pas autorisés d’exercer leur droit démocratique, en tant que partie de l’électorat, pour des « raisons de sécurité ». La violation de la constitution, sous le prétexte de la sécurité, est de manière discutable l’équivalent d’un coup d’Etat. De l’ICD, à travers la transition, jusqu’aux élections, aucun consensus national ne fut atteint à propos de ce qui constitue la cause nationale. Il fut tiré des suggestions des forces extérieures que l’organisation d’élections libres, justes et crédibles pouvait être une telle cause. Pourtant il n’y a pas eu de véritable processus social interne de l’auto-organisation populaire afin de s’assurer que ces élections seraient en réalité libres et justes.

La tentative, par l’Eglise Catholique, de le faire s’est avérée impuissante. L’Union pour la Nation Congolaise (ONU), formée autour du candidat lors second tour des présidentielles, Jean-Pierre Bemba, n’est pas parvenue à donner correctement une direction nationale pour rassembler toutes les forces nationales intéressées par un processus électoral transparent. Le processus de suivi qu’elle a mis sur pied était affaibli à partir de l’intérieur- donnant l’impression de son manque d’engagement ou de vision claire.

Un espace politique important s’est ouvert lorsqu’il est devenu évident que les résultats du second tour des élections présidentielles avaient été dictés par des fraudes. Au lieu d’organiser une grande manifestation contre une telle fraude conduisant vers un grand rassemblement autour de la Cour Suprême de Justice, et réclamant justice auprès de cette dernière, la direction a vacillé et finalement accepté, avec des arguments de sauver la vie humaine et préserver la paix — une paix injuste et la sauvegarde d’une vie humaine qui meurt (à peu près 1800 Congolais meurent chaque jour).

Il n’y a pas eu d’espace pour la montée d’une transformation radicale. Ceci pourrait être une question de vision, de buts et de style de direction. Cette dernière semblait avoir été piégée dans des politiques de partage du pouvoir après la victoire électorale, sans s’accrocher sur les deux exigences des masses de gens : libérer le pays du contrôle trop élevé par des forces extérieures, et mettre en place un régime qui serait responsable devant les gens et qui répond à leurs besoins et aspirations. Il reste à voir si oui ou non la promesse d’organiser une opposition rigoureuse et républicaine, faite par J-P.Bemba, va réaliser ces exigences.

Six provinces sur onze ont voté contre le président élu parce qu’elles sentaient qu’il était trop dépendant des forces extérieures. Il était également accusé de vendre le pays. Il ne répondait pas, pour la plupart, aux besoins élémentaires de la majorité de la population appauvrie. Le programme du MLC de Bemba, trop las pour ce qui est du libéralisme à l’époque de la mondialisation ultra-libéraliste, n’aurait pas non plus réalisé ces exigences. Ceci pourrait expliquer pourquoi le MLC fut incapable de conduire réellement les masses de gens qui gravitaient autour de l’ONU. Encore une fois, la question de relation entre les changements fondamentaux et la direction a pris le devant. Ce sont les actions et les idées des masses de gens en rébellion qui apportent le changement ; pourtant les masses populaires comptent sur la direction pour les changements. Leur foi aveugle dans la direction est, très souvent, finalement trahie.

La même foi fait que les gens manquent de vigilance, et en fait doivent s’occuper de la tâche de voir comment contrôler la direction afin qu’elle ne les trahisse pas. Il n’y avait aucun moyen ni aucune structure au sein de l’ ONU pour contrôler Bemba, par exemple, dans ses transactions avec les gens divers — y compris sa réunion avec le Président élu, à un moment critique. Le plus souvent, le soi-disant “ Conseil Politique” de l’ONU qu’il a présidé, dont il était le seul à convoquer les réunions, ne s’est pas réuni.

L’argent et les promesses ou espoirs des grands postes institutionnels étaient les seuls raisons de motivation de la soi-disant Alliance de la Famille Présidentielle. Sa victoire, qui souligne le fait que nous sommes dans une « corruptocratie » plutôt que dans une démocratie, a fait que ce camp souffre de ce que l’on pourrait appeler « ivresse politique » qui le rend aveugle pour voir que la légitimité n’est pas juste une question de victoire juridique, mais, par-dessus tout, la capacité de rassembler tout le monde et ainsi créer l’enthousiasme de la masse pour le nouveau régime.

Au lieu de travailler sur une politique concrète d’affronter ceux qui ont voté contre le camp présidentiel, en les rassemblant autour d’un programme convaincant, le camp a eu tendance à faire de la discrimination contre eux ; en fait, une attitude revanchard a caractérisé le camp présidentiel. Cette attitude explique aussi pourquoi les affaires politiques ont été de plus en plus assignées aux forces de la police et de l’armée pour être traitées.

Des arrestations arbitraires et même le massacre au centre du Congo (Kongo Central) (entre le 31 janvier 2007 et le 13 février 2007) pourraient en être la raison pour une grande part. Les rumeurs selon lesquelles le Président avait dit qu’il n’allait réserver que deux places – la prison et le cimetière – aux Bakongo qui n’ont pas voté pour lui, paraissait a posteriori être crédible.

Très brièvement, le soi-disant projet démocratique a été, en RDC, un autre processus de greffer une expérience occidentale de la démocratie, réduite à un « modèle universel », sur un sol politique congolais mal préparé et non-participant, justifiée, a posteriori, en tant que conséquence nécessaire de la mondialisation. Aucune leçon ne semble avoir été apprise à propos du processus de greffer à partir de l’histoire de l’Etat colonial au Congo ; qui bien qu’il soit maintenant décomposé et fragmenté, opère toujours comme un cheval de Troie occidental. Un tel Etat réprime vite les gens plutôt que de répondre positivement à leurs besoins et aspirations élémentaires.

Le Président qui vient d’être « élu » s’entoure toujours d’une milice qui est à peine consciente du fait que dans une démocratie, l’armée est supposée être au service des gens, et non prendre plaisir à les harceler pour les harceler. Les experts de la démocratie occidentale – nos enseignants de démocratie – viennent et s’en vont, et la démocratie ne semble pas pousser de racines plus profondes. Souvent, on trouve que la bonne foi laisse à désirer.

Le paradoxe permanent auquel fait face la soi-disant élite congolaise reste. Ils veulent diriger les gens à partir desquels ils sont culturellement et socialement détachés. Ils prétendent « libérer » le pays du contrôle exagéré des forces extérieures, auxquelles ils sont culturellement et socialement attachés. Alors qu’ils sont capables de produire une constitution et une loi sur la nationalité qui interdit d’avoir une double nationalité de façon concurrente, certains membres de l’élite ont en réalité une double nationalité. Ceux qui croient réellement qu’ils peuvent résoudre les problèmes fondamentaux qu’affronte le peuple congolais — et qui prétendent avoir abouti à certaines solutions — passent la plupart de leur temps en luttant pour survivre en consacrant leur temps à renforcer le système –même qui cause ces problèmes. Le changement est toujours une tâche du lendemain.

Quel est l’avenir de la démocratie en RDC ?

Le pays reste divisé sur la question : certains ont voté avec enthousiasme en faveur du camp présidentiel qui les a attirés financièrement pour voter, et ils sont maintenant marqués par un sens de cri victorieux — en oubliant que l’aspect stratégique de la démocratie est la protection et la défense des droits de la minorité. Ceux qui, autour de l’UDPS, n’ont pas participé au processus électoral, et ceux qui jusqu’à présent ne sont pas sûrs de quel type de position de l’ opposition ils vont assumer. Ceux qui ont soutenu le camp de l’ONU ont été pour la plupart déçus avec J-P. Bemba, frustré par le tour des événements. Le massacre des gens au Centre du Kongo, le seul endroit où il y a eu une opposition très active contre la corruption du processus démocratique, n’a pas galvanisé les différente forces de l’opposition en un mouvement. Si c’est le cas que la nation Bakongo consistait en l’ensemble des anti-colonialistes consistants depuis les années 1921 (avec Kintwadi de Kimbangu) jusqu’en 1959 (la révolte du 4 janvier), le fondement de la nation congolaise qui luttait pour l’indépendance nationale, comme l’ont affirmé F. Fanon et A. Cabral, on ne devrait pas être surpris que certains de leurs descendants soient en train de diriger la lutte contre la corruption de la démocratie.

L’usage de la force ou de la menace va-t-il réussir à faire taire les protestations ? La stabilité du cimetière ne peut pas conduire à une véritable construction de la démocratie. La résolution de la situation catastrophique et d’urgence par la répression ne va durer pas aussi longtemps qu’elle n’a duré sous Mobutu. Il y aura non seulement davantage de protestations, mais aussi il est probable qu’il y ait implosion politique. A voir la façon dont les chose se passent, les cinq prochaines années pourraient s’avérer très dures effectivement.

* Le Professeur Ernest Wamba dia Wamba est Sénateur, et il fut Vice-Président de la Commission Permanente du Sénat chargée des Affaires Juridiques et Administratives de l’administration intérimaire de la République Démocratique du Congo.


Voir en ligne : www.panbazuka.org