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Un témoignage malien

Constant et immortel renouveau du Che

Mercredi 10 octobre 2007, par Nouhoum Kéita

Ernesto Che Guevara de la Serna est né le 14 juin 1928 à Rosario en Argentine. Il passera son enfance et son adolescence à Buenos Aires et à Cordoba et était d’une famille de la classe moyenne. Il fit des études de médecine, reçut une instruction dans une langue (le français dans son cas). Il a beaucoup lu, en franc tireur de la littérature (de Baudelaire au grand poète et écrivain chilien Pablo Neruda) à la politique, en passant par les philosophes, Spengler et Freud. C’est sûrement Freud qui l’a orienté vers la médeçine. Il milita dans les groupes d’étudiants rebelles sans pour autant avoir de préférence pour une tendance particulière.

Avant même de terminer ses études, il se sentait attiré par autre chose. Il devint photographe ambulant, docker occasionnel, chroniqueur sportif, exerça dans les léproseries. Son esprit de découverte le fit connaître le continent de l’Argentine au Venezuela parcourant des milliers de kilomètres avec un ami à bicyclette.

Il visita Miami d’où il fut réexpédié en Argentine dans un avion transportant des chevaux. Cette expulsion brutale et inhumaine fut un facteur décisif dans la prise de conscience qui naissait dans l’esprit de ce jeune bohémien qui était convaincu de l’unité profonde et indestructible des pays latino-américains telle que le disait José Marti.

Au cours de ces voyages, il découvrit la misère et le dénuement, quitta l’Argentine au prise avec le péronisme, et s’installa en 1954 au Guatemala où il avait été attiré par les possibilités révolutionnaires qui existaient dans ce pays. Ces possibilités seront fauchées brutalement par les troupes de Castillo Armas à la solde du Gouvernement des Etats-Unis. Le Che sera parmi ceux qui, ayant attendu en vain des armes pour se battre contre les putchistes, traverseront la frontière mexicaine.

Au Mexique, il gagne sa vie en faisant de menus travaux, par exemple comme photographe ambulant et parallèlement mène des recherches sur les allergies. Il envisage une carrière universitaire. C’est alors qu’il rencontre un exilé cubain Fidel Castro. Dans ses souvenirs de la guerre révolutionnaire il raconte son entrevue « Celui qui écrit ces lignes, roulé et entraîné par les vagues des mouvements sociaux qui secouent l’Amérique Latine, a eu l’occasion de rencontrer, pour ces raisons mêmes, un autre exilé américain : Fidel Castro. Je fis sa connaissance par une de ces froides nuits mexicaines, et je me souviens que notre première discussion roula sur la politique internationale : aux petites heures du matin, j’étais un des futurs expéditionnaires ». Il valait la peine dira-t-il aussi « de mourir sur une plage étrangère pour un idéal aussi pur ».

A la fin de son entraînement, il se rend à Cuba en 1956. Il est l’un des 82 hommes du Granma. Il ne sera pas seulement l’un des personnages les plus remarquables de cette expédition historique victorieuse dans l’île, mais il sera l’un de ses chroniqueurs le plus profond, le plus complet, retraçant avec une précision admirable les échecs et les succès enregistrés par la guérilla contre l’armée de Fulgencio Batista.

En pleine Sierra en 1957, le Che dirige la publication d’El Cubano libre pour donner les nouvelles de la guerre mais aussi pour exprimer la pensée qui animait celle-ci. Dans son discours sous le titre de « Le rôle social de l’armée rebelle » (28 janvier 1959) le Che précise que c’est surtout à partir de l’échec de la grève de 1958, que commencèrent dans l’armée rebelle, les premiers efforts pour donner à la Révolution une doctrine et une théorie. Ces préoccupations ne signifiaient nullement que le Che soit un spéculateur intellectuel féru de formules académiques distillées à l’emporte-pièce, ou un théoricien adepte des incantations magiques. Il dira d’ailleurs dans ce discours que l’une des plus grandes qualités de la révolution qui a pris le pouvoir à Cuba était d’avoir détruit toutes les théories de salon. Pour le Che, sa démarche procédait d’une approche pédagogique faite de rupture avec les formules creuses qui n’ont aucune prise sur la réalité concrète.

Dans les premières pages de la Guerre de Guérilla (1960) il écrit : « théoriser les faits, structurer et généraliser cette expérience pour que les autres en profitent, c’est notre tâche actuelle ». Le Che restera fidèle à cette définition qui emprunte magistralement à la formule d’Althusser : « la pratique théorique ». Son travail s’appuyait sur les expériences concrètes de la révolution cubaine qui a démontré qu’il existait une voie pour vaincre une dictature néocoloniale. Et il était nécessaire d’expliquer en quoi consistait cette voie et d’offrir aux futurs combattants les résultats d’une expérience aussi riche. C’est à cela qu’il consacre une bonne partie de ses efforts intellectuels avec notamment des œuvres comme « Qu’est ce qu’un guérillero ? » ou « La guerre de guérilla une méthode ». Parmi les écrits du Che, le livre sur « souvenirs de la guerre révolutionnaire » est l’un des plus poignants.

Ce n’est pas seulement des considérations d’ordre intellectuelle qui le pousse à l’écrire dans un style vivant, familier, concis et de belle facture. Mais, il s’agit de montrer la guerre telle qu’elle est réellement, avec sa violence, sa grandeur, sa douleur et son perpétuel affrontement entre la vie et la mort, il s’agit surtout de souligner toujours les principes qui animent cette guerre, ainsi que la transformation que les hommes subissent au fond d’eux- mêmes, au contact profond des uns et des autres, qui fait des combattants de la Sierra et leurs appuis en ville une seule et unique avant-garde.

Le Che s’est soucié d’autres aspects de la révolution et il les a exprimés tantôt sous forme de discours, tantôt sous forme d’articles et d’essais. La révolution cubaine à peine victorieuse devait résoudre plusieurs questions fondamentales.

Il fallait nationaliser les industries, répondre aux agressions américaines, organiser la production, approvisionner le peuple, maintenir le pays debout et en état de marche. Pour le Che, la première loi de la reforme agraire a probablement été la seule mesure prise directement sans qu’elle soit la réponse à une agression des Etats-Unis. Par la suite, ce qui a commencé sous la forme d’une campagne de presse virulente, s’est transformée en une agression physique puis au blocus à travers l’achat de sucre et le refus de raffiner du pétrole acheté par Cuba hors de la sphère nord-américaine. Pendant ce temps, la révolution cubaine se tourna vers l’Union Soviétique, trouva un soutien accru des classes populaires en Amérique Latine et dans plusieurs autres pays du monde.

Placée devant l’alternative de périr des mains des Etats-Unis ou se radicaliser d’avantage, la révolution cubaine choisit la radicalisation. Le 28 juillet 1960, au Congrès de la jeunesse réunit à la Havane, le Che déclara : « Si on l’on me demandait si cette révolution que vous avez sous les yeux est une révolution communiste…nous en viendrions à dire que cette révolution au cas où elle serait marxiste-et je dis bien marxiste-le serait parce qu’elle a découvert aussi, par ses propres méthodes, les voies qu’a indiquées Marx »

Le 2 septembre 1960 Fidel Castro en réplique au blocus imposé à Cuba lit la Première Déclaration de la Havane qui proclama le caractère socialiste de la révolution. Un mois plus tard, le 8 octobre 1960 le Che publie ses « notes pour l’étude de l’idéologie cubaine » : « Il conviendrait de dire que la théorie révolutionnaire comme expression d’une vérité sociale, est au dessus de tout énoncé ; autrement dit, que la révolution peut se faire si l’on interprète correctement la réalité historique et si l’on utilise convenablement les forces qui interviennent dans cette réalité, sans connaître la théorie… On doit être « marxiste » avec le même naturel avec lequel on n’est « newtonien »en physique, « pasteurien » en biologie ; considérant que de nouveaux faits déterminent de nouvelles notions, on n’enlèvera jamais leur part de vérité à celles-la qui sont passées… C’est-à-dire, et il faut le souligner encore une fois, que les lois du marxisme sont présentes dans les évènements de la révolution cubaine, indépendamment du fait que ses dirigeants professent ou connaissent à fond ces lois d’un point de vue théorique » Ces citations expriment clairement le cheminement de la Révolution cubaine qui s’est préparée progressivement, sans schémas pré-établis, sans crainte des étiquettes. Dans son discours d’Alger en février 1965, le Che évoquera de nouveau ce cheminement : « Nous ne sommes pas engagés sur la voie du communisme en prévoyant toutes les étapes comme le produit logique d’un développement idéologique qui progressera vers un but déterminé. Les vérités socialistes jointes aux dures vérités de l’impérialisme ont forgé notre peuple et lui ont montré la voie que nous avons adoptée ensuite en toute conscience ».

Dans un texte essentiel « Cuba cas exceptionnel ou avant-garde de la lutte anticolonialiste » publié le 9 avril 1961, il expliquera l’originalité de cette révolution, mouvement qui, bien que « largement hétérodoxe dans ses formes et dans ces manifestations, a cependant suivi- et il ne pouvait en être autrement-la ligne générale de tous les grands évènements historiques du siècle, caractérisés par les luttes anticoloniales et la transition vers le socialisme ». Le Che reconnaît les rares facteurs exceptionnels de la Révolution cubaine « parmi lesquels, le premier, le plus important peut-être et le plus original, est cette force de la nature appelée Fidel Castro Ruz » et, aussi que « l’impérialisme nord-américain était désorienté et qu’il n’a jamais su mesurer les véritables dimensions de la Révolution cubaine », mais il signale surtout « les racines permanentes de tous les phénomènes sociaux d’Amérique, les contradictions qui, mûrissant au sein des sociétés actuelles, provoquent des transformations qui peuvent acquérir l’ampleur d’une révolution comme la révolution cubaine ».

Le Che démontrera la perspicacité de cette vision qui montre sa grande maturité politique et son idéal tiers-mondiste. Et dans toutes les grandes rencontres internationales comme celle de Punta Del Este (Uruguay), de Genève, des Nations Unies ou d’Alger, il s’afficha comme le porte-parole extraordinaire du Tiers-monde.

Si la révolution cubaine a trouvé par ses propres démarches une pensée originale, et affronté les problèmes nouveaux qui se posaient à lui au fur et à mesure de son approfondissement, le Che en fut un acteur et un témoins exceptionnel.

Ce médecin errant que Fidel a persuadé de l’accompagner pour libérer son pays, ce guérillero plein d’audace, ce théorisant lucide, ce Robin des Bois au caractère trempé a assumé de hautes responsabilités à la tête de l’Etat révolutionnaire : D’abord la présidence de la Banque Nationale pour stabiliser la situation des devises, plus tard, le Ministère de l’Industrie. Pour accomplir ces nouvelles tâches, il doit aborder les problèmes concrets d’économie. Ces problèmes doivent être traitées avec beaucoup de créativité ce qui l’amène à voir la situation concrète de Cuba en rapport dynamique avec le monde entier. Il abordera la nature de la planification socialiste insistera sur la prépondérance -non pas l’exclusivité- qu’il faut accorder au stimulant moral sur le stimulant matériel si l’on veut vraiment édifier une société socialiste.

Le Che au milieu de son action n’oublie pas la finalité véritable d’une révolution : La construction d’un être humain meilleur, de « l’homme nouveau » selon sa propre expression. Le Che discute de la loi de la valeur, du danger du bureaucratisme, des qualités du jeune communiste, du cadre révolutionnaire, de la construction du parti. Ces questions occuperont une place centrale dans les réflexions qu’il développera tout au long des années de lutte de la révolution cubaine.

Cette attitude atteindra son expression la plus articulée dans le dernier texte qu’il écrit avant son départ de Cuba au Directeur de l’hebdomadaire Marcha, Carlos Quijano « Le socialisme et l’homme à Cuba ».

Pour si extraordinaire que fût et que demeure l’exemple du Che, il importe de ne pas oublier plusieurs choses : que le Che était vraiment un latino américain, comme le vénézuélien Simon Bolivar, comme l’argentin José de San Martin, comme le dominicain Maximo Gomez ou comme le martiniquais Frantz Fanon tous hommes qui se battirent pour d’autres pays ; que Cuba n’est que l’un des nombreux pays où a vécu le Che et que la révolution cubaine n’est qu’une des deux révolutions auxquelles il a participé ; qu’en Amérique Latine comme dans l’ensemble des pays sous-développés, il reste beaucoup de révolution à faire, que les peuples réclament de toute urgence et qui ne sont, comme la révolution cubaine, qu’un chapitre d’une seule et même révolution. C’est au non de cette mission sacrée qu’il parcourra le monde en sa qualité de dirigeant.

L’Afrique représentait un intérêt certain pour le Che. Il considérait le Congo comme le nouveau « Viêt-Nam africain ». Malheureusement, ce fût une grande déception.

Le manque discipline, d’une direction ferme dans l’organisation et la préparation des hommes au combat, l’absence d’une collaboration franche entre cubains et combattants congolais et rwandais afin de poursuivre le combat de Lumumba contre le Gouvernement de Moïse Tchombé, ont été la cause de cet échec.

Le Che rendra visite à plusieurs dirigeants panafricanistes pour tisser des liens. IL visita le Mali le 26 Décembre 1964, le Congo-Brazaville le 2 janvier 1965, y rencontra Massemba Deba, les dirigeants de la lutte d’indépendance de l’Angola comme Agostino Neto. Le 7 janvier, il est à Conakry chez le Président Ahmed Sékou Touré, le 14 janvier 1965 il se rend chez NKrumah au Ghana… Le 24 Janvier de la même année, il retourne à Alger avant de continuer sur la Chine, la France, puis la Tanzanie….

Au triomphe de la révolution à Cuba, le Che fit preuve d’une ténacité inaccessible dans les moments difficiles : le débarquement mercenaire de Playa Giron, le nettoyage de l’Escambrey, la crise des missiles en 1962, les nombreux sabotages de la C.I.A, les plans d’assassinats des dirigeants de la révolution. Ces épreuves douloureuses ont renforcé et enraciné la révolution cubaine dont l’élan devenait contagieux dans toute l’Amérique Latine. Lorsqu’elle s’est suffisamment fortifiée, le Che a estimé que « d’autres terres du monde le réclamaient ». Et dans un geste de renoncement et de sacrifice qui n’a pas son pareil dans l’histoire, il quitte Cuba. Le 3 octobre 1965, Fidel Castro lit au Comité Central du Parti Communiste de Cuba sa lettre d’adieu. Les ennemis de la révolution y verront les résultats « des déchirements » et « des conflits dramatiques » entre les deux hommes au sommet de l’Etat. Cependant, les faits ont démontré l’extrême complémentarité qui existait entre eux. Il était admirable de voir à quel point ils s’accordaient : La vibration volcanique de celui que le Che lui-même définissait comme « cette force de la nature qui s’appelle Fidel Castro », et l’implacable force de conceptualisation du Che. Leur fonction s’interpénétrait à tel point que les deux hommes avaient choisi le style de la pédagogie active et de la démonstration pratique pour dissiper toute confusion.

A son départ de Cuba, le Che est resté totalement conforme à sa pensée. Il disait ce qu’il faisait et faisait ce qu’il disait.

Il était animé de la conviction que la lutte armée était plus que jamais à l’ordre du jour en Amérique Latine, que Cuba n’est pas une exception, on la trouve d’ailleurs dans ses textes les plus importants, « La guerre de Guérilla » 1960 « Cuba cas exceptionnel ou avant-garde de la lutte contre l’impérialisme ? » (1961), et la « guerre de guérilla, une méthode » (1963). Dans ce texte d’une densité politique insoupçonnable il explique : « En fait, l’éclosion de la lutte américaine s’est-elle déjà produite ? Sont-ce ses prémisses au vénézuela, au Guatemala, en Colombie, Pérou, Equateur ? Ou ne sont-ce que des escarmouches, manifestations d’une inquiétude qui n’a pas fructifié ?

Le Résultat des luttes d’aujourd’hui n’est pas important. Il n’est pas important que l’un ou l’autre des mouvements actuels soit vaincu. Le définitif est la décision de lutte qui mûrit jour après jour, la conscience de la nécessité du changement révolutionnaire, la certitude de sa possibilité. C’est une prédiction. Nous la faisons avec la certitude que l’histoire nous donnera raison »

Dans le « socialisme et l’homme à Cuba » qui a pris le caractère d’un testament, il avait écrit : « Le révolutionnaire, au sein de son parti,moteur idéologique de la révolution, se consume dans cette tâche ininterrompue qui ne se termine qu’avec la mort, à moins que la construction du socialisme n’aboutisse dans le monde entier ». Le Pays qu’il voulait aider à se libérer était la Bolivie, l’un des plus pauvres. Il s’y battait lorsqu’il fit connaître son message historique à la Tricontinentale : Il y dressait le tableau de la situation internationale, du chantage économique que l’impérialisme emploie pour paralyser les peuples et les dépecer l’un après l’autre : créer deux, trois, de nombreux Viêt-Nam, voilà le mot d’ordre ! ».

C’est à cette tâche, la plus profonde, la plus noble et la plus courageuse, la plus nécessaire aussi de ce temps qu’il se donnait, quand, il fût encerclé puis capturé, puis blessé, puis assassiné quelques heures plus tard par les troupes boliviennes encadrées et dirigées par les conseillers militaires nord-américains dans la gorge de Yuro le 9 octobre 1967.

La nouvelle de sa mort avait fait le tour du monde. A Cuba, Fidel Castro devant plus d’un million de personnes, prononça le discours le plus triste de sa vie. Celui à qui le Che avait écrit dans sa lettre d’adieu : « si vient pour moi l’heure définitive sous d’autres cieux, ma dernière pensée sera pour ce peuple et particulièrement pour toi » : Le Commandant Fidèle Castro, devait évoquer la vie de cet être exceptionnel , de ce Christ laïc, de ce révolutionnaire martyr, de cet héros universel devant un peuple inconsolable à la place de la révolution où tant de fois ils avaient été ensemble. Pour dire adieux à ses enfants, le Che avait rendu les mots plus doux, plus humble. Il disait : « Si un jour vous devez lire cette lettre, ce sera que votre père n’est plus parmi vous… Votre père a été un homme qui agit comme il pense, et il a été sûrement fidèle à ses convictions… Surtout soyez toujours capables de ressentir très profondément toute injustice commise contre qui que ce soit, dans n’importe quelle partie du monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire. »

Hasta la vista, victoria siempre !


Voir en ligne : www.khayira.org