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KENYA

C’est le peuble qui a perdu les élections

Samedi 12 janvier 2008, par Firoze Manji

Le Kenya entre dans une crise qui se prolonge. Personne ne sait réellement qui a remporté l’élection présidentielle. Etant donné l’impressionnant nombre de sièges au parlement remportés par le MDO et le limogeage de quelque 20 anciens ministres ayant perdu leurs sièges, il semble probable que les résultats de l’élection présidentielle en fassent autant. Mais le problème ne se pose réellement plus en termes de qui a remporté ou perdu l’élection. Il y a une seule certitude : le peuple Kenya est le véritable perdant dans cette élection.

Il ne fait aucun doute que les résultats de l’élection ont été truqués. La formation précipitée du gouvernement, l’interdiction totale qui frappe la presse électronique, la présence partout des forces de sécurité par parer à d’éventuelles protestations – tout cela a donné à la période postélectorale l’apparence d’un coup d’Etat. La grande surprise a été la vitesse avec laquelle les choses se sont déroulées.

La déclaration des membres de la commission électorale selon laquelle les résultats ont effectivement été truquées accréditent davantage la thèse du coup d’Etat. Partout dans le pays, les populations sont descendues dans la rue pour protester et ont dû faire face à une riposte disproportionnée des forces de police. La tension était à son comble. Et il est clairement établi que les hommes politiques de tous bords ont profité de l’occasion qui leur est ainsi offerte pour provoquer des violentes attaques contre les circonscriptions électorales adverses. Il y a eu des cas de viol, de circoncision forcée et de mutilations génitales féminines. Les médias occidentaux ont vite fait de qualifier les événements d’”affrontements ethniques” – mais ces derniers sont connus pour leur promptitude à donner une origine tribale à tous les conflits qui éclatent en Afrique. Ce qu’ils ignorent c’est que les forces de sécurité sont responsables de la plupart des tueries.

Ce qui se passe au Kenya est une crise politique qui pourrait dégénérer en une guerre civile si des mesures urgentes ne sont prises. Il n’existe pas de direction politique cohérente de la part du MDO. D’abord, Raila Odinga se proclame ‘président du peuple’ (ce qui rappelle le discours de Blair où il parlait de ‘princesse du peuple’) – dans le premier cas comme une tragédie, et dans le second comme une farce, serait-on tenté de dire – et poursuit en disant qu’il allait faire prendre des dispositions pour son installation officielle. Puis il affirme qu’il n’entendait pas rencontrer Kibaki, avant de se résoudre à le rencontrer à la condition qu’il y ait un médiateur international. Il a également dit qu’il allait former son propre gouvernement, sans que cette promesse ne soit suivie d’effet. Il a ensuite voulu organiser une marche réunissant un million de personnes dans les rues de Nairobi et, devant l’interdiction de la manifestation et la réaction musclée des forces de sécurité, a dû reculer et programmer une autre manifestation pour le lendemain.

Mais que vise cette manifestation ? Des tels évènements ont généralement pour objectif montrer que l’on bénéficie d’un soutien populaire massif ; mais le MDO a déjà fait la preuve de sa popularité en poussant ses adversaires à recourir au truquage pour remporter l’élection. Il n’existe pas d’arguments politiques cohérents pouvant expliquer l’organisation d’un tel évènement et qui soient susceptibles de provoquer le soutien du plus grand nombre qui, sans avoir forcément voté pour le MDO, serait prêt à lui apporter on soutien. Il n’y a réellement aucune stratégie capable de gagner à ses vues la base politique du PNU.

Ce qui est sûr, c’est que les résultats des élections ont été truqués. Mais le fait de n’avoir pas exigé l’ouverture d’une enquête judiciaire ne fait que susciter des soupçons que le MDO n’avait pas réellement l’intention de faire mener des investigations sur les résultats. A présent, il est peut-être trop tard de mener une enquête satisfaisante, puisque les documents originaux peuvent avoir été manipulés – ce qui pourrait expliquer la volonté soudaine du Procureur général de permettre l’inspection des archives du ECK sans recourir aux tribunaux. Les manifestations de masse auraient pu être utilisées pour demander une telle investigation et élever une protestation contre l’interdiction des médias imposée par Kibaki et l’attaquer au plan constitutionnel. Au contraire, cela n’a servi à rien d’autre que ce que certains perçoivent comme une réaction primaire au vol de l’élection.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’appel public adressé aux forces armées et à la police – dont les familles ont sans doute souffert des affrontements violents – leur demandant de ne pas tirer sur les citoyens, ou de défendre et protéger les citoyens contre la violence qui faisait rage ? Kibaki ne peut conserver le pouvoir que par l’usage de la force. Aussi longtemps qu’il peut compter sur la loyauté des forces armées et de la police, il pourra s’accrocher au pouvoir.

Le MDO n’a pas réussi à mettre le gouvernement en place au défi en encourageant toutes les couches sociales à créer une alternative viable. Mais la vraie tragédie que connaît le Kenya est que le conflit politique ne porte pas sur des programmes politiques alternatifs susceptibles d’apporter des réponses aux vieilles revendications de la majorité, notamment la manque de terres, les bas salaires, le chômage, le manque de logements, l’insuffisance des revenus, etc. Il ne s’agit pas de telles ambitions. Il s’agit plutôt d’une bataille autour de la question de savoir qui a accès au pot à miel que constitue l’Etat. Car ceux qui contrôlent les rouages de l’Etat ont toute la latitude de se remplir les poches.

La bataille se réduit ainsi à la question de savoir quel est le groupe qui sera choisi pour se remplir les poches – les honnêtes citoyens se contenteront des miettes. Et l’électorat – la masse des citoyens qui ont été les principales victimes de la violence de ces derniers jours, ainsi que de plusieurs décennies d’incapacité de jouir des fruits de l’indépendance – en sont réduits à l’état de fourrage pour les cochons qui se battent autour de la mangeoire.

Le régime de Kibaki ne semble pas prêt à concéder la moindre parcelle de terrain – car cela confirmerait les soupçons qui pèsent sur la régularité de l’élection. Et plus l’impasse actuelle dure, plus sera forte la probabilité que les gens expriment leur colère et leur frustration par une violence effrénée – une débauche énergie que l’on aurait pu utiliser pour bâtir facilement un nouveau monde.

Que nous réserve donc l’avenir ? Y aura-t-il une enquête indépendante sur les résultats de l’élection ? sur la violence que l’on a connue ? Les parties en conflit accepteront-elles de former un gouvernement intérimaire qui superviserait une reprise de l’élection présidentielle ? Quoiqu’il arrive, la présente crise a démontré qu’il y a un manque cruel de formations politiques pouvant articuler un programme politique cohérent en vue de la transformation sociale. Tant qu’il n’y aura pas d’alternative, la politique tournera à jamais autour de la question de savoir qui va accéder à la mangeoire.


* Firoze Manji est rédacteur adjoint de Pambazuka News et Directeur exécutif de Fahamu.


Voir en ligne : www.pambazuka.org