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QUÉBEC

Bilan du Forum social québécois

Jeudi 8 novembre 2007, par Gabrielle Gérin

Cela fait déjà plus de deux mois que s’est tenu le premier Forum social québécois (FSQ), et l’heure est aux bilans. Bien que le succès de l’événement, en termes organisationnels ait fait l’unanimité, les opinions divergent quant à la nature et l’ampleur de ses impacts et du rôle qu’il doit jouer. Alors que Presse-toi à gauche ! accueille un débat d’importance capitale sur le renouveau et l’unité des mouvements sociaux au Québec, cet article se veut une contribution aux discussions qui ont cours : quels furent les impacts du FSQ sur les mouvements sociaux et la gauche au Québec ? Quel potentiel porte un tel espace de rassemblement dans le contexte socio-politique actuel ?

Bilan de l’événement

Autant en termes quantitatif que qualitatif, le FSQ a généralement dépassé les attentes : plus de 5000 personnes ont participé aux ateliers, conférences et performances artistiques prévues au programme – 2000 de plus que ce que ses organisateurs et organisatrices avaient prévu. La participation fut très diversifiée, d’abord sur les plans géographique et générationnel. Mais les personnes présentes portaient également avec elles des intérêts et expériences très divers, autant de par leur vie militante que personnelle : en plus d’une grande variété de militantEs activement impliquéEs au sein d’un mouvement social au Québec, une certaine partie des participantEs au Forum étaient des personnes avec peu d’expérience militante, mais intéresséEs à y trouver de l’information et à y explorer divers moyens de contribuer à transformer la société.

Le nombre et la diversité des organisations impliquées dans la mobilisation vers le FSQ contribuèrent à en faire un événement historique au Québec. Bien qu’il n’ait pas pu rassembler absolument « tout le monde » au sein d’un même espace, reste que plus de 240 groupes ont inscrit des activités à la programmation : organisations féministes, syndicales, communautaires, étudiantes, écologistes, socialistes, autochtones, groupes de défense de droits… Notons que, malgré le caractère non-partisan du Forum, Québec solidaire a mobilisé ses membres de façon très proactive, et avec un grand succès, à y participer.

Avec plus de 320 ateliers et conférences au programme, les participantEs furent forcéEs de faire des choix parfois difficiles – ils et elles réussirent toutefois à remplir les salles, parfois à craquer, et à participer activement aux discussions. Plusieurs ateliers virent d’intéressantes dynamiques se développer, où des hiérarchies internes aux mouvements sociaux furent remises en question, et une solidarité déterminée et authentique fut exprimée « par la base ». Par exemple, lors d’un panel sur la solidarité entre les mouvements syndical et étudiant, l’assistance (composée d’un grand nombre de syndiquéEs) condamna de façon unanime et véhémente les deux présidences syndicales, membres du panel (Claudette Carbonneau, CSN et Henry Massé, FTQ), pour avoir été si condescendantes et réticentes à exprimer de façon proactive leur solidarité avec le mouvement étudiant en 2005, et les pressa même de suivre son exemple dans la résistance au néolibéralisme.

Cette combinaison d’expériences et d’idées au sein d’un espace qui se voulait ouvert et non-hiérarchique produisit des échanges surprenants et énergiques, et généra un sentiment, électrisant, d’unité dans la diversité et à travers l’action. La nécessité de s’organiser de façon inclusive, combative et unie autour d’une large panoplie d’enjeux en réponse aux avancées néolibérales et conservatrices, et la confiance renouvelée en notre capacité à mener des luttes collectives efficaces étaient palpables lors de l’événement : ceci, en grande partie grâce au fait qu’il réunissait une si grande quantité et diversité de personnes militant à toutes sortes de niveaux.

L’Assemblée des mouvements sociaux

L’Assemblée des mouvements sociaux (AMS) clôtura, en quelque sorte, le Forum. Organisée par une coalition d’organisations, sous la coordination de la Fédération des Femmes du Québec, la formule fut aussi une première dans l’histoire de la gauche au Québec. Avant de s’aventurer dans une description de l’AMS, il est important de bien souligner que cette activité ne fut pas organisée par le comité organisateur du FSQ, mais bien de façon indépendante de ce dernier. Ainsi, quel que soit le résultat d’une telle assemblée, les recommandations exprimées, le texte voté, etc., ces éléments ne relèvent pas de l’organisation du Forum social québécois en soi mais bien de la coalition organisant l’AMS. Cette distinction a été particulièrement importante à souligner dans le cas des Forums sociaux mondiaux, où les débats font rage autour de la problématique du respect de la diversité et de l’inclusivité, qui sont les pierres angulaires de forums sociaux, par opposition à la dite non-représentativité, la hiérarchisation des enjeux et la concertation des luttes « par en haut » qui auraient lieu au sein de l’AMS. De telles problématiques n’ont toutefois pas surgi au sein de l’AMS québécoise de 2007.

Une ‘batucada féministe’ ouvrit l’assemblée, et amena les près de 600 personnes présentes à se lever en chantant « Contre le capitalisme, je me lève et je résiste ! Contre le patriarcat, … » : une vision un peu surréelle ! Ceci fut suivi par la lecture de l’ « Appel solidaire des mouvements sociaux », un texte plutôt radical et déterminé rendant hommage aux diverses luttes contre le néolibéralisme et l’oppression au Québec et à travers le monde, et les appelant à l’unité et l’action collective. La déclaration fut reçue par une longue ovation, et plus de 150 organisations avaient ajouté leurs signatures au texte à la fin du mois de septembre. La proposition de mener des actions de façon coordonnée à travers le Québec à la fin du mois de janvier 2008 (une réponse à l’appel aux mobilisations à l’échelle mondiale lancé par le comité organisateur du Forum social mondial pour 2008) fut également bien reçue – le dénominateur commun de ces actions devant être d’allumer des feux, afin de jeter de la lumière sur les diverses luttes se menant « dans le froid et long hiver Québécois ».

Il y eut plus d’une centaine d’interventions de la part de l’assistance durant l’ASM – la plupart étant des appels à la solidarité des autres mouvements avec des luttes arrivant à court terme : la lutte étudiante contre le dégel des frais de scolarité, la campagne imminente menée par la Coalition pour un Québec sans pauvreté, la lutte contre la privatisation de la santé, la campagne pour le droit à la syndicalisation des travailleurs et travailleuses migrantEs et sans statut, la lutte contre l’activité des compagnies minières canadiennes à l’intérieur et l’extérieur du Canada, les luttes autochtones… Plusieurs interventions appelèrent à plus d’ouverture de la part des mouvements sociaux institutionnalisés aux nouveaux et nouvelles militantEs, et à un langage et des organisations plus accessibles et inclusifs. Louis Roy, premier vice-président à la CSN, lança un appel fort à la construction de l’unité au sein du mouvement syndical.

L’ASM fut un mélange singulier entre des organisations de toutes tailles et milieux et de militantEs de toutes sortes. À travers cette diversité et ses débats, l’ambiance était résolument ancrée dans la solidarité entre mouvement, l’unité à travers l’action et l’urgence d’une pro-activité renouvelée dans les luttes contre le capitalisme néolibéral et contre toute forme d’oppression. Ceci fut grandement enrichi par le fait que l’assemblée était structurée de façon relativement « informelle » - plus près de la plénière que de l’assemblée décisionnelle – et était ouverte à toutes les organisations, militantEs et personnes intéressées. Les échanges et langages ne furent pas restreints par des procédures lourdes ou par les contraintes de la prise de décision en coalition. On aurait dit que des murs tombaient entre militantEs, alors que leur détermination et leur solidarité se construisaient, encouragées par la force du nombre et du moment. L’expérience fut si intéressante qu’elle pourrait se répéter – on pourrait même dire qu’elle fit un clin d’œil au potentiel que porterait une organisation politique capable d’offrir un espace permanent, ouvert et non contraignant de rassemblement pour les militantEs de tous les mouvements sociaux.

Processus organisationnel

L’« Initiative vers un Forum social québécois » fut fondée en 2005, durant les mois qui suivirent le 5ème Forum social mondial à Porto Alegre, par un groupe de militantEs, surtout étudiantEs, sur une base autonome. Son but était d’initier un processus qui mènerait à l’organisation d’un premier Forum social québécois, tout en mettant une emphase particulière sur les caractères pan-régional, horizontal, démocratique et inclusif du processus – un processus qui serait aussi mené par des militantEs autonomes, dévouéEs au projet en soi, plutôt que seulement par des organisations aux intérêts institutionnels particuliers.

Après des mois et des mois de dur labeur, une date et un endroit où tenir le premier FSQ qui contentaient un grand nombre d’organisations et de militantEs furent arrêtés par l’assemblée générale. À partir de ce moment, la liste des organisations et des militantEs appuyant ou participant au processus d’organisation du FSQ ne cessa de s’allonger, tandis qu’une partie du noyau de militantEs qui avaient fondé l’Initiative coordonnaient toujours le processus.

Avec des mouvements sociaux aussi institutionnalisés, faibles et divisés qu’ils le sont au Québec et dans une bonne partie du monde occidental, l’organisation d’un forum social est une tâche bien moins simple qu’elle en a l’air. Dans notre cas, il fallut comprendre et exploiter le potentiel de la diversité des pratiques organisationnelles, principes militants et préoccupations particulières, parfois contradictoires, des mouvements sociaux et populaires du Québec : ceci, tout en trouvant des solutions et un mode de fonctionnement qui permettraient d’atténuer les divisions, de mettre en commun les énergies et de créer un consensus suffisant autour de l’organisation d’un tel événement.

Selon moi, le succès – partiel – de ce processus peut être attribué à deux facteurs principaux. D’abord, par un contexte socio-politique dominé par la droite, au sein duquel mouvements sociaux et militantEs se trouvent dans une impasse et sont encouragéEs à trouver des solutions collectives – dans ce cadre, la volonté politique de plusieurs représentantEs d’organisations militantes de travailler de façon collective autour d’un projet novateur eut un rôle crucial à jouer dans le succès de l’événement. Ensuite, par le rôle “neutre” et dynamisant joué par le noyau de militantEs qui initièrent et coordonnèrent le processus, dans le développement de principes et de solutions organisationnelles qui créèrent un consensus : un processus d’organisation qui ne forçait pas les organisations à travailler en coalition étroite et contraignante, mais plutôt de façon indépendante et autonome, autour d’un projet collectif appartenant à tous et toutes.

Impacts du Forum

Il est bien établi que le FSQ fut un succès sur le plan organisationnel – mais la question reste à poser, à savoir s’il aura de véritables, profonds impacts sur les luttes contre le capitalisme néolibéral et les diverses formes que prend l’oppression au Québec ?

Les FSM sont souvent critiqués sur la base qu’ils n’agissent pas à titre d’espace pour la coordination formelle des luttes sociales : les critiques avancent qu’aucun résultat tangible n’émane de cet espace et que ces impacts ne peuvent être que vagues et limités, puisqu’il ne vise pas l’élaboration de plans d’action concrets. Selon d’autres, les FSM n’agiraient qu’à titre de « festivals de la résistance », vides et axés sur l’auto congratulation des mouvements sociaux plutôt que sur une remise en question constructive à l’interne, en plus d’être organisés de façon centralisée par des institutions généralement molles et réformistes. Ces critiques sont souvent rapidement généralisées à tous les autres forums sociaux, quelle que soit leur échelle et la nature de leur processus d’organisation.

Bien que je considère que ces critiques ont des fondements réels et qu’il serait peu productif de les balayer d’un revers de main, il me semble toutefois important de souligner que c’est à partir d’elles que le mode d’organisation du premier FSQ a été réfléchi, construit, négocié, et qu’il continue de l’être. En ce sens, j’avancerais plutôt que les forums nationaux/locaux peuvent contribuer de façon significative à adresser certain problèmes qui paralysent les mouvements sociaux du monde occidental aujourd’hui, soit : la sur institutionnalisation, la parcellisation et la dépolitisation des mouvements sociaux, leur manque de démocratie et d’inclusivité, décourageant en partie le développement de l’activité combative, créatrice et dynamique de leur base militante, et le sentiment plus général d’impuissance et de résignation provoqué par la domination idéologique et socio-politique de la droite et du conservatisme montant.

Au Québec, il faut ajouter à ce portrait le fait que de très dynamiques et récents mouvements comme le mouvement anti/alter mondialiste, la grève étudiante, diverses mobilisations communautaires contre des projets de développement environnementalement et socialement destructeurs, les mobilisations contre la guerre et d’autres, ont formé une panoplie de nouveaux et nouvelles militantEs sans affiliation institutionnelle fixe, mais pleinEs d’un authentique désir de contribuer au changement social progressiste. Dans un tel contexte, il existe un urgent besoin de créer des espaces destinés à redéfinir, élargir, démocratiser, unir et dynamiser la gauche, « par la base ».

Le FSQ visait à créer un tel espace : son processus d’organisation, horizontal, ouvert et régionalement décentralisé, impliqua des centaines de militantEs et d’organisations. Au sein de ses divers comités, collectifs régionaux, et assemblées, d’importants réseaux de solidarité se sont bâtis entre des groupes de toutes tailles et secteurs et des militantEs qui travaillèrent ensemble autour d’un objectif commun : en ce sens, le simple processus organisationnel du FSQ aura sûrement des impacts durables sur la consolidation d’une gauche renouvelée au Québec.

Alors que les FSM sont seulement accessibles aux quelques privilégiéEs qui peuvent quitter leur foyer et leur travail pour une semaine et se permettre un court voyage vers un autre continent, un forum provincial ne pose pas le même problème, ou du moins, à bien moindre échelle : des mesures additionnelles furent prises pour que l’événement soit accessible aux groupes et personnes aux moyens limités ou vivant dans des régions éloignées de Montréal. Ceci permit une participation populaire et organisationnelle massive et diversifiée.

Les participantEs au forum firent l’expérience d’un espace horizontal, participatif et inclusif. Non seulement le processus d’auto programmation des activités fut-il participatif (les activités étant programmées librement et à l’avance par organisations comme individus), mais la forme de la plupart des ateliers, visant à briser avec la verticalité traditionnelle de bien des événements publics, le fut également.

En ce sens, le FSQ contribua à générer une culture, des pratiques et des structures démocratiques et participatives au sein des mouvements sociaux et populaires du Québec. De plus, le FSQ donna à ses participantEs l’opportunité de récolter une énorme quantité d’information tout en pouvant l’adresser de façon critique, d’échanger expériences et analyses avec d’autres militantEs et de construire des solidarités et des perspectives d’action commune – consolidant ainsi les mouvements populaires et sociaux par la base.

Une particularité du FSQ fut son caractère profondément politique. En permettant à divers secteurs et luttes de se rencontrer et d’échanger à la base et à une échelle massive, le FSQ n’a pas seulement aidé ceux et celles qui y ont participé à développer une compréhension plus globale et politisée des enjeux et luttes sociales, mais a aussi su générer un fort sentiment d’unité, de conscience et de confiance politique : une conscience du « nous » (qui nous sommes, ce qui nous unit), du « eux » (qui/ce à quoi nous nous opposons), de l’ « alternative » (ce que nous voulons construire) et du « comment » (quelles stratégies entreprendre).

Il nous faut finalement garder en tête que ceci ne fut que le premier FSQ : son succès aura certainement mis l’événement « sur la carte » pour quantité de militantEs des quatre coins du Québec à l’avenir. Le potentiel d’un tel espace ne sera pleinement développé qu’à travers les luttes et forums à venir, alors qu’organisations et militantEs prépareront l’événement de façon toujours plus constructive – de façon à en faire un espace où les graines d’un mouvement politique de masse, dynamique et démocratique, sont plantées et cultivées – et entre-temps s’engagent pleinement dans la construction des mouvements sociaux, des luttes et de l’activité politique nécessaires à la complétion de ce processus.

Guérin a été active au sein du secrétariat du FSQ