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AFRIQUE

Alternatives africaines

La palme africaine comme source alternative d’énergie

Mardi 21 novembre 2006, par François Houtart

1. L’état de la question

La crise énergétique se profile, à la fois parce que la demande est en croissance (la production d’électricité a augmenté de 20% entre 1990 et 2000) et parce que l’épuisement des énergies fossiles est prévisible.

Par ailleurs, l’accroissement de la consommation énergétique exerce une influence sur la pollution de l’atmosphère et sur le climat. C’est tout particulièrement le CO² qui est en question. En France, le CO² produit par le transport routier a augmenté de 6,4 fois entre 1960 et 2000. On estime que dans le monde, il faudrait réduire de 25% la production de CO² à l’échéance de 2020, pour retrouver son niveau de 1990. Tout cela se répercute dans les discussions internationales, depuis l’Accord de Kyoto (dont les objectifs prévus ne seront probablement pas respectés), jusqu’à la conférence de Nairobi.

Il en résulte, dans le monde entier, une conscience nouvelle et une recherche d’alternative énergétique. C’est véritablement tous azimuts que ce travail est accompli. Des visions plus ou moins optimistes et parfois contradictoires se développent dans le domaine du nucléaire, dans celui des énergies éoliennes et solaires, en Belgique et dans certains pays d’Europe pour la production de biogaz à partir des anciennes mines de charbon, la production d’hydrogène, etc. Ce n’est pas seulement le fait des sociétés industrielles du Nord, mais même un pays comme l’Inde a décidé de produire 50.000 megawatts au départ d’énergies renouvelable pour 2030.

Il s’avère clairement qu’aucun de ces secteurs particuliers ne constitue un remède miracle, car tous se trouvent confrontés à des obstacles technologiques ou à des effets pervers qui réduisent souvent considérablement leurs avantages comparatifs. C’est dans cette perspective générale que s’inscrit la question de la bioénergie.

2. Production d’énergie biologique

Produire de l’énergie au départ de matériaux biologiques n’est pas une chose totalement nouvelle. Elle se situe dans deux domaines : la production de bioéthanol, pour aboutir à l’essence et celle du biodiesel. Dans le premier cas, le Brésil a joué un rôle moteur, en produisant de l’essence au départ du sucre. Dans le deuxième, on commence à développer en Europe des productions au départ du colza et de la betterave. Sur le plan européen, la disponibilité des terres cultivables et le besoin d’assurer la sécurité alimentaire ne permettent pas d’envisager, malgré les plans ambitieux de l’Union européenne, une autonomie énergétique au départ de la biomasse. Voilà pourquoi, il est prévu d’importer de l’huile produite à l’extérieur, de manière à compléter les besoins de la consommation européenne au départ de matériaux biologiques.

3. La palme africaine

La palme africaine produit de l’huile depuis des temps immémoriaux, pour les besoins alimentaires. Au cours des dernières années, l’utilisation industrielle de l’huile de palme dans de très nombreux produits de l’industrie alimentaire s’est considérablement développée. Il en a été de même dans l’industrie cosmétique, du savon, des détergents, des lubrifiants, suivant en cela une tendance générale du passage du chimique au biologique dans le domaine de l’industrie. Le palmier produit deux types d’huile, celle provenant du fruit et celle provenant de la semence, chacune ayant ses applications pratiques.

L’accroissement de la demande dans ces deux domaines a justifié une énorme pression pour faire croître les extensions de palme africaine dans l’ensemble des régions tropicales du monde. En effet, on assiste à un véritable emballement des extensions plantées, depuis la Colombie (on prévoit de passer à six millions d’hectares), jusqu’à la Papouasie Nouvelle Guinée, en passant par l’Equateur, une partie de l’Amérique centrale, le Cameroun, le Nigeria, la République Démocratique du Congo et tout particulièrement la Malaisie et l’Indonésie, qui produisent environ 80% de l’huile de palme.

Les perspectives d’énergies produites au départ de la biomasse, qui se sont développées au cours des dernières années et qui ont pris une actualité d’autant plus grande que les prix du pétrole explosaient, ont évidemment encouragé l’extension des plantations. C’est ce qui place la palme africaine au coeur même de l’actualité.

4. Les conditions de production

Il faut tout d’abord étudier les effets écologiques et les effets sociaux de ce type de production agricole et ensuite s’interroger sur le modèle agraire et le modèle de développement induit par l’extension de ce type de production agricole. Nous aborderons également le rôle des organisations internationales.

Pour ce qui est des effets écologiques, toutes les études pointent une série de facteurs qui sont la conséquence de ce type de plantation. Il s’agit tout d’abord de la déforestation, destinée à ouvrir des espaces nouveaux à la palme africaine. En Malaisie, on estime que 87% de la déforestation des dernières années est due à l’extension de la palme africaine. De nombreuses études tendent à prouver que les fonctions écologiques des forêts originelles ne sont pas remplies ou moins efficacement remplies par les nouvelles plantations. Par ailleurs, l’utilisation massive d’engrais et de pesticides, souvent par un épandage aérien, détruit de nombreuses espèces naturelles. Ils s’implantent dans les sols et sont nuisibles à la nappe phréatique. Le calcul combiné de l’ensemble de ces effets écologiques permet de mettre en doute très sérieusement la fonction réelle de la production d’huile végétale au départ de la palme africaine comme contribution écologique. Les calculs, en effet, ne doivent pas se limiter à une comparaison entre les productions de CO², mais doivent prendre en considération l’ensemble du coût écologique.

Il faut ajouter que les effets sociaux s’avèrent également très graves. L’utilisation des terres de forêts n’a pas seulement des effets écologiques, sur la biodiversité, mais exige également l’expulsion des populations indigènes qui vivaient dans ces lieux ou pour le moins la destruction de l’environnement dont ils tiraient la plus grande partie de leurs sources de nourriture et d’habitat. Dans tous les endroits du monde où se développe rapidement la palme africaine, on signale de graves violations des droits de l’homme, à la fois par les expulsions violentes, souvent appuyées par des pouvoirs officiels ou para-officiels, des populations locales, en grande partie des peuples indigènes et par les problèmes de nutrition posés aux populations qui vivaient dans ou aux alentours des forêts tropicales. Ce sont généralement des facteurs passés sous silence et qui dépassent évidemment les possibilités de quantification, lorsqu’il s’agit de calculs purement économiques.

Il faut aussi s’interroger sur le type de modèle agraire qui se développe avec l’extension rapide de la palme africaine, sur le même modèle d’ailleurs que l’extension de la culture d’eucalyptus au Nord du Brésil, du soja en Argentine, au Paraguay et dans le sud du Brésil et d’autres produits similaires. Le modèle est celui de la monoculture, avec tous leurs inconvénients sur le plan écologique, ne donnant du travail qu’à une minorité des populations locales et éliminant progressivement l’agriculture paysanne. Cela s’inscrit dans un plan général d’évolution mondiale, favorisé par la Banque mondiale, qui veut faire basculer l’agriculture paysanne vers une agriculture productiviste de type capitaliste au cours du prochain quart de siècle. Selon la Banque, il s’agirait là d’une exigence pour l’alimentation mondiale, ce qui est sérieusement mis en doute par de très nombreux agronomes.

L’extension de la palme africaine correspond aussi à un modèle économique. De très nombreuses entreprises locales sont concernées par ce genre de production. Une première enquête a permis de retrouver les noms d’environ 150 entreprises, en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Cependant, presque toutes sont dominées, en tous les cas dans le domaine de la commercialisation, par de grandes entreprises de l’agrobusiness, de caractère transnational. Généralement, en tous les cas pour la question de la palme africaine, ces entreprises n’interviennent qu’indirectement, soit en fournissant le capital, soit en monopolisant la commercialisation du produit. Il s’agit, entre autres, d’entreprises telles que Unilever, Cargill, Monsanto, etc. Il faut y ajouter le financement effectué par un nombre limité de grandes banques, notamment situé au Pays-Bas pour ce qui concerne l’Indonésie.

Les études locales indiquent également un haut niveau de corruption des responsables politiques régionaux ou nationaux, au point que bien souvent les législations existantes restent lettre morte et que l’intérêt économique particulier prévaut sur le bien commun national et international. Tout cela n’est pas spécifique à la palme africaine, mais le développement de cette dernière s’inscrit dans les mêmes logiques.

A cela, il faut ajouter les politiques de certaines organisations internationales mondiales ou régionales. C’est ainsi que la Banque mondiale a encouragé ce genre de plantations, en accordant des prêts. Il en est de même de l’Union européenne dans certaines régions du monde, avant même que l’on mette en lumière l’importance de la palme africaine dans le remplacement des sources fossiles d’énergie.

5. Les résistances sociales

Face à ce phénomène, de nombreuses résistances sociales se font jour. Il s’agit d’abord des peuples autochtones, directement agressés dans leur survie et qui, de la Colombie à l’Indonésie, en passant par la Malaisie et la Papouasie, se sont révoltés contre les pratiques mises en route pour développer les plantations de palmes africaines. Cela a été l’occasion de constituer plusieurs mouvements sociaux. Il en résulta également des conflits, souvent graves et même des luttes armées faisant un nombre important de victimes. C’est le cas notamment en Colombie, avec l’utilisation de paramilitaire et en Indonésie.

Des organisations de défense des droits de l’homme se sont également intéressées au problème et ont manifesté leur opposition aux méthodes utilisées et cela dans les trois continents. Enfin, il faut signaler la réaction d’organisations écologiques, notamment celle de défense des forêts, aussi bien en Europe, qu’en Amérique latine et dans d’autres continents.

Conclusions

En bref, nous pouvons tirer trois conclusions principales concernant la palme africaine. Tout d’abord, le développement des plantations commence à s’inscrire dans la recherche globale de substituts aux énergies fossiles pour les transports. Cependant, la solution reste très partielle, car la production ne pourra satisfaire qu’un pourcentage relativement faible des besoins énergétiques. Cela ne peut donc être en aucun cas un remplacement d’une autre politique d’utilisation de l’énergie.

Deuxièmement, la littérature qui vante les avantages de l’utilisation de cette source d’énergie sur celle qui prévalent aujourd’hui, ne prend généralement pas en compte la totalité du coût écologique, qui doit nécessairement se calculer sur l’ensemble du processus de production et non pas seulement sur l’émission de CO² au moment de l’utilisation. Lorsque l’on introduit cette précision, les données du problème s’avèrent beaucoup plus complexes.

Troisièmement, le coût social actuel de l’extension de la palme africaine est inadmissible. Non seulement il révèle une priorité des avantages économiques sur le bien-être des populations, mais il n’est pratiquement jamais repris dans les calculs généraux, lorsque l’on confronte les avantages comparatifs. La réorganisation de ce secteur devrait, en effet, non seulement tenir compte des situations et des besoins sociaux, mais également introduire le calcul des dommages et leur réparation sur base de la justice sociale. Pour toutes ces raisons, il est important de ne pas rester dans l’abstraction des calculs économiques, mais d’envisager la question de la palme africaine dans toutes ses dimensions, en fonction d’un principe de responsabilité à exercer à tous les niveaux.