« Nous, hommes et femmes membres de mouvements, d’organisations sociales et politiques d’Amérique Latine, des Caraïbes et d’Europe, nous nous sommes donné rendez-vous à Vienne du 10 au 13 mai 2006 pour exprimer notre opposition et notre résistance aux politiques néolibérales de libre échange que les gouvernements de ces régions mettent en œuvre dans nos pays et qu’ils proposent comme cadre d’un nouvel Accord d’Association. Nous rejetons la position de l’Union Européenne qui cherche à impulser une Aire de Libre Echange dans toute la zone en 2010, mais aussi sa volonté d’approfondir les accords déjà existants avec le Mexique et le Chili, de concrétiser un accord avec le Mercosur, et de promouvoir des accords similaires avec l’Amérique Centrale et la Région Andine. Nous avons également pris rendez-vous pour avancer dans la construction d’un dialogue politique et social entre les peuples parce que nous revendiquons le droit de proposer des alternatives et que nous croyons dans notre capacité à les formuler.
Face à la politique d’agression et de pillage des Etats-Unis, la résistance populaire se répand en Amérique Latine et aux Caraïbes. Aujourd’hui, s’y ajoute la résistance aux tentatives de l’Union Européenne d’imposer sa politique libérale. Le rejet populaire de la Constitution Européenne néolibérale et militariste par les peuples français et hollandais est un exemple de la résistance des peuples européens aux politiques néolibérales de leurs propres gouvernements et des institutions communautaires qui démantèlent les conquêtes sociales et les systèmes publics de protection sociale. Face à cette croissance de la résistance populaire, les gouvernements répondent par la criminalisation du mouvement social. Nous cherchons donc à mondialiser cette résistance populaire, résistance de tous ceux et de toutes celles qui, dans l’exclusion, le chômage, la marginalisation ou l’oppression, se rassemblent pour proposer un monde différent.
Les préoccupations qui nous avaient réunis à Rio et à Madrid et qui, finalement, avaient donné lieu à la première rencontre « TISSER DES ALTERNATIVES » à Guadalajara en mai 2004 sont encore d’actualité aujourd’hui, en Amérique Latine comme dans l’Union Européenne.
Les enseignements que nous avons accumulés après 10 ans de NAFTA et 6 ans d’Accord d’Association avec l’Union Européenne sont suffisamment clairs pour fonder notre positionnement politique face au Libre Echange basé sur le secret et l’asymétrie des relations entre acteurs riches et pauvres. Les processus de désindustrialisation et de démantèlement des services publics qui ont mis l’Amérique Latine dans une situation chronique de pauvreté et d’exclusion sociale peuvent être cités en exemple. Mais cette même vague néolibérale s’exprime en Europe dans la directive Bolkestein qui impulse la libéralisation des services, dans le nivellement par le bas des règles du travail, la crise de l’Etat social, la menace envers les agriculteurs et la mise en péril de la souveraineté alimentaire. Le développement d’un climat hostile où prolifèrent la désintégration sociale, la xénophobie, la violence de genre, les explosions urbaines et d’autres symptômes sont les résultats les plus visibles d’une crise globale à laquelle nous ont menés ces années du Consensus de Washington.
Nous questionnons le rôle des multinationales européennes en Amérique Latine : Loin d’être un facteur de développement et de paix sociale, elles ont mis en danger l’accès aux services de base (eau, électricité, téléphone) et donné lieu à des conflits massifs entre les usager(e)s des services publics ; Elles ont stimulé le pillage et l’extraction non contrôlée des ressources naturelles causant la dégradation de l’environnement. Les effets négatifs de ce modèle vont se multiplier avec l’application des accords de libéralisation commerciale et les grands projets d’infrastructure comme la IIRSA (Intégration de l’Infrastructure Régionale du Sud de l’Amérique) et le PPP (Plan Puebla Panama).
En ce qui concerne l’Eau, droit de l’Homme et bien commun de l’humanité, les processus de privatisation des systèmes publics dans différents pays et régions d’Amérique Latine représentent pour les multinationales et les entreprises européennes une grande occasion d’augmenter leurs profits et, en même temps, de saper le pouvoir de décision des peuples sur leurs territoires et leurs vies. En Amérique Latine comme en Europe, la privatisation a engendré une énorme augmentation des tarifs, elle a baissé le niveau de vie des citoyen(ne)s et des travailleurs(euses) et détérioré le système hydrique.
Les multinationales pétrolières européennes ont exproprié les richesses en hydrocarbures des pays latino-américains depuis des décennies : Elles ont pillé les ressources, détruit les peuples, les communautés et l’environnement. Toute relation entre l’Amérique Latine et l’Europe doit être basée sur le respect de la souveraineté des peuples, le respect de leurs ressources et des processus de renationalisation des hydrocarbures qui ont été entamés dans la région.
L’accès à la Terre est un droit fondamental, de même que la défense de la propriété collective des terres des paysans indigènes menacée aujourd’hui par les programmes de titres individuels de propriété développés par des organismes internationaux. Nous militons pour une mise en œuvre dynamique de la Réforme Agraire. Nous affirmons que les ressources naturelles et les savoirs traditionnels sont le patrimoine des peuples, comme la biodiversité. Ce sont des biens communs qui ne peuvent pas être marchandisés. Nous sommes contre les cultures transgéniques et contre le modèle agro exportateur qui engendre l’expulsion de populations entières et ruine les économies paysannes.
La Banque Européenne d’Investissement (BEI), comme d’autres établissements bancaires européens, montre un intérêt croissant pour le financement d’investissements en Amérique latine. On peut douter de la portée de l’aide financière offerte par ces banques et du bénéfice réel pour les peuples d’Amérique Latine.
C’est sur cette scène stratégique néolibérale favorisée par les gouvernements tant européens que latino-américains et impulsée par leurs assemblées, que se déroule le sommet des Présidents d’Amérique Latine et de l’Union Européenne : Il répète à nouveau son agenda rempli de promesses vides, qui cachent les véritables intentions d’accélérer les accords de libre-échange bi régionaux. Par ailleurs, l’Union Européenne poursuit son processus d’élargissement à de nouveaux états membres, processus basé sur une orientation néolibérale qui ne peut que se traduire par de nouvelles crises, encore plus aigües, en son sein.
En ce qui concerne la possibilité d’un Accord d’Association entre nos régions, nous affirmons que, pour qu’il soit juste et qu’il apporte un bénéfice à nos peuples, il doit sortir du modèle et des règles du libre échange : Nous ne voulons pas de « Libre échange » entre l’Europe et l’Amérique Latine. Nous voulons des relations commerciales et des espaces de coopération entre nos régions qui favorisent le bien-être de nos peuples, la souveraineté de nos pays, le respect de la diversité culturelle et qui ne soient pas dévastateurs de notre environnement. Nous nous opposons à un agenda du libre échange au service des intérêts des compagnies multinationales européennes et des élites exportatrices d’Amérique Latine.
Nous considérons que le dialogue politique et la coopération proposés au sommet des chefs d’Etats sont vides de sens. La confluence d’intérêt entre la majorité des gouvernements d’Amérique Latine ou de l’Union Européenne et les multinationales y est apparue clairement, avec la tenue du forum des entreprises pendant le sommet et les relations privilégiées qui s’y sont affichées. Dans l’étape actuelle de l’Europe, les gouvernements européens ne sont pas les plus indiqués pour parler de cohésion sociale. Pour parler de dialogue politique, les conditions d’une participation réelle des mouvements sociaux doivent être créées et ne peuvent être limitées simplement à des espaces de consultation. La coopération doit être un instrument qui apporte du bien à nos peuples alors que, actuellement, c’est un instrument agressif basé sur une rhétorique marchande qui facilite le pillage et le contrôle de nos territoires, nos ressources et nos services publics.
La séance du Tribunal Permanent des Peuples sur les politiques néolibérales et les multinationales européennes en Amérique Latine a fait apparaître clairement la nature systémique de l’attitude des multinationales, leur lobbying quant à la création de lois qui les protègent et le rôle stimulant des organismes internationaux comme l’OMC, le FMI et la Banque Mondiale pour faciliter et garantir leurs profits. Alors que, du côté des usagers, consommateurs, travailleurs, du côté du public en général, on se trouve sans défense et que la violation des droits est la logique dominante. Nous considérons donc qu’il est d’une importance primordiale de promouvoir la création d’un espace bi régional de surveillance, de dénonciation et de lutte contre les compagnies multinationales, afin de stopper leurs procédés arbitraires, fruit de leur pouvoir globalisé.
Dans le monde de la post-guerre froide, la sécurité ne se limite pas à appeler vainement à opposer uni polarité et multipolarité. Cette opposition cache un jeu pervers qui combine la condescendance implicite envers les politiques guerrières avec un appui ouvert ou un rejet qui pacte avec elle. Le résultat de cette pratique unipolaire a laissé des milliers de victimes dans le monde entier, elle a amené la faillite de la promesse de paix avec la guerre illégale contre l’Irak et la possibilité imminente d’une guerre à plus grande échelle avec l’Iran. L’Amérique Latine ne peut pas accepter les politiques néocoloniales présentes dans les accords proposés par l’Union Européenne sous prétexte de calculs géopolitiques où nos pays ne comptent même pas.
Nous défendons un système économique multilatéral qui régule les flux de capitaux, qui stimule la complémentarité des économies, qui favorise des règles claires et justes d’échange commercial, qui laisse les biens publics en dehors de la marchandisation, qui permette de réduire les écarts économiques Nord/Sud aggravés par une dette externe en augmentation constante. Nous parlons donc d’un système multilatéral qui, évidemment, n’est pas l’Organisation Mondiale du Commerce.
L’approfondissement des actuelles asymétries économiques nous préoccupe car elles portent nos régions vers des scénarios où la perte d’emploi engendre d’un côté la migration mais d’un autre côté la rejette. Ce sont ces scénarios, stimulés par la paranoïa terroriste alimentée et provoquée par certains gouvernements européens, qui conduisent à la désintégration et à la violence sociale, à la criminalisation des travailleurs et travailleuses migrant(e)s d’une part et à la perte de la solidarité sociale d’autre part. Nous exigeons le respect des travailleurs et travailleuses migrant(e)s, la reconnaissance immédiate de leurs droits civiques, sociaux et politiques ainsi que la fermeture de tous les centres où ils sont détenus.
Nous exigeons le respect des droits humains économiques, sociaux et culturels mais aussi les droits des femmes et des jeunes contre l’exclusion sociale : Nous considérons qu’il est d’une primordiale importance de mettre fin à la féminisation de la pauvreté. Nous militons pour une justice qui ne favorise pas l’impunité de ceux qui ont commis des délits contre les droits fondamentaux. Nous condamnons l’ethnocide et la militarisation des territoires indigènes. Nous exigeons la reconnaissance des droits des peuples indigènes à l’autodétermination, parce que seul le respect de leur autonomie et de leurs cultures permettra que la planète continue à jouir dans le futur des trésors dont ils sont les gardiens.
Nous plaidons pour la démilitarisation de la lutte contre le narcotrafic utilisée en de nombreuses occasions comme une excuse pour réprimer les luttes populaires, et nous appuyons la légalisation de la culture de la feuille de coca et de ses dérivés pour des usages non narcotiques.
Nous dénonçons et nous condamnons les positions de l’Union Européenne qui se met au service de la politique agressive des Etats-Unis contre Cuba, nous condamnons les lois extraterritoriales comme la loi Helms Burton et nous exigeons la reconnaissance et le respect de l’autodétermination du peuple cubain dans la construction de son propre modèle politique, économique et social.
Nous nous prononçons contre la privatisation des médias et pour leur démocratisation. Nous appelons à une articulation et à un développement de nos propres médias solidaires, qui construisent la citoyenneté et garantissent la diversité et le pluralisme. En cela, nous saluons la création et la consolidation de TELESUR.
Nous nous prononçons pour la fin du mandat de la force de l’ONU en Haïti, qui renforce la militarisation de la région au lieu de contribuer à son développement.
En Colombie, nous réclamons un accord politique pour résoudre le conflit armé interne et l’instauration d’une paix dans la justice sociale. Nous condamnons l’impunité et les lois récentes de réinsertion des paramilitaires qui la généralisent, comme la loi mal nommée « Justice et Paix ». A ce propos, nous réclamons l’application des recommandations des Nations Unies et le respect des droits des victimes à la vérité, à la justice et à la réparation.
Nous exigeons et travaillons ensemble pour la paix, la démilitarisation des relations internationales, le désarmement, le démantèlement des bases militaires et le retour des personnels militaires dans leurs pays d’origine. Nous rejetons la militarisation et le complexe militaro-industriel qui alimentent le néolibéralisme.
Nous exigeons la suspension des préférences douanières de l’Union Européenne envers les pays d’Amérique Centrale et de la région Andine qui violent les droits du travail et de l’environnement.
En tant que mouvements sociaux d’Amérique Latine, des Caraïbes et de l’Union Européenne, nous réaffirmons notre volonté de renforcer la coopération, la coordination et la solidarité dans toutes les luttes contre la flexibilité du travail, pour un emploi digne et de qualité, pour le contrôle citoyen des corporations et des multinationales, contre les politiques néolibérales des gouvernements, pour la défense et l’approfondissement des conquêtes sociales et laborales, pour la renationalisation de nos ressources, de nos réserves naturelles et des services publics aujourd’hui privatisés.
Face aux pratiques qui instrumentalisent l’application de politiques néolibérales, des preuves concrètes de la volonté d’une vraie relation basée sur l’intégration et la construction d’alternatives voient le jour en Amérique Latine : Les exemples de l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques) impulsée fondamentalement par les gouvernements du Vénézuela et de Cuba, ou du TCP (Traité de Commerce des Peuples) proposé par le gouvernement de la Bolivie en résistance contre les Traités de Libre Commerce sont une nouvelle étape d’initiatives souveraines, une expression de ce courant de transformation et d’ouverture basé sur la coopération et la solidarité. Nous saluons également les tentatives de transformation du MERCOSUR en espace d’intégration viable et la création de la Communauté Sud américaine des Nations. Nous, mouvements sociaux latino américains, caribéens et européens, reconnaissons ces efforts et nous engageons à contribuer au développement de ces initiatives tout en gardant notre indépendance et notre identité de mouvements populaires. Nous comptons sur la construction d’un véritable dialogue politique, favorisé par l’échange ouvert et conséquent avec ces gouvernements.
Nous sommes certains que la nouvelle donne qui s’exprime à travers une forte mobilisation sociale en Europe et en Amérique Latine, avec l’arrivée de gouvernements de transformation comme celui du Vénézuela et de la Bolivie, et d’autres gouvernements qui prennent leurs distances avec les politiques de libre échange, contribuera à contrer les actuelles politiques néolibérales et à commencer la route vers un nouveau processus d’intégration à partir des peuples.
Le plus grand succès de notre 2ème contre sommet « TISSER DES ALTERNATIVES » a été de mettre en évidence la convergence de nos analyses et de nos actions contre les politiques néolibérales et les gouvernements qui les mettent en œuvre. Nous, hommes et femmes des mouvements et des organisations sociales en Europe, en Amérique Latine et dans les Caraîbes, nous nous engageons à continuer d’articuler des initiatives pour créer ensemble les conditions d’un monde plus juste et solidaire.
1. Non aux accords de Libre échange entre l’Union Européenne, l’Amérique Latine et les Caraïbes. Non à cet ALCA européen et à la création de clauses de sécurité qui défendent les intérêts du capitalisme.
2. Non à l’approfondissement des accords de libre échange avec le Mexique et le Chili et à la concrétisation des accords de libre échange avec l’Amérique Centrale, la région andine et le Mercosur
3. Oui à la suppression de la dette externe de l’Amérique Latine et des Caraïbes envers l’Union Européenne et à la reconnaissance de la dette historique. Nous ne devons rien, nous ne paierons rien. Nous ne sommes pas débiteurs mais créditeurs.
4. Non à la Constitution Européenne. Non à la répression des migrant(e)s. Non à l’Europe Forteresse. Non à la directive Bolkestein et à la privatisation des services publics dans l’Union Européenne
5. Oui au renforcement de l’unité et de la convergence bi régionale des mouvements sociaux de nos deux continents pour un autre monde possible, juste et équitable, anti patriarcal et en paix avec la planète
Enlazando Alternativas