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Des carrés rouges mexicains

Mercredi 1er août 2012, par Anne Gabrielle Ducharme

Dans cette vague de printemps mouvementés, nombreux sont les pays à connaître des mouvements sociaux remettant en question l'ordre établi. C'est dans cette même veine que le mouvement étudiant mexicain créé en mai dernier surnommé « yo-soy-132 » (Je suis le 132e ) a pris son envol. Les présidentielles mexicaines du 1er juillet où le Parti Révolutionnaire institutionnel (PRI) a pris le pouvoir ne calment pas la donne. Portrait d'un mouvement guidé par son ras-le-bol.

Bref historique du mouvement étudiant

C'est dans un contexte de campagne électorale que le mouvement s'est déclenché. Le 11 mai dernier, Enrique Pena Nieto, chef du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), était allé faire une conférence à l'Université Ibero-américaine située dans la ville de Mexico. L'histoire du candidat et de son parti n'avaient rien pour se mériter des préjugés favorables. Le PRI a dirigé le Mexique de 1929 à 2000, sans intermission, et ce, de façon aussi autoritaire que violente et fut représentant de l'opposition officielle de 2000 à 2012. C'est donc sans surprise que le contenu de la conférence en provoqua plus d'un.

L'élément déclencheur de l'agitation durant la présentation, a été la question de la ville d'Atenco, ville où la répression face à la population fut extrêmement dure et où Pena Nieto était gouverneur. Les habitants s'opposaient à l'époque à l'expropriation de leurs terres par l'État. Or, le chef du PRI pour justifier l'usage d'une telle violence, a exprimé que l'État mexicain était en droit d'utiliser la violence pour régler un conflit. En d'autres termes, Nieto n'exprimait aucun regret face aux événements d'Atenco. Les questions et les critiques se mirent à pleuvoir sur le candidat. La tension grandissante mit fin à la conférence, sans que les étudiants puissent obtenir réponses à leurs questions.

Suite à cet événement, 131 étudiants alors présents à la conférence, réalisèrent des vidéos qui ont été diffusées partout dans les médias sociaux (youtube, facebook, blogs…) illustrant leur mécontentement face à l'image que les médias de masse ont transmis des événements du 11 mai. Cette couverture médiatique assumait que les responsables de la perturbation de la conférence étaient des membres de groupes isolés, payés par la gauche. C'est pourquoi dans les vidéos, les étudiants confirment leur appartenance à l'Université Ibero-américaine et leur dissociation à tout parti politique. Vladimir, un jeune militant membre de la société bolivarienne et actif dans plusieurs médias sociaux ici au Québec, confirme l'absurdité de la couverture médiatique de cet incident, puisque « les étudiants ne se voient en aucun parti, n'ayant tout simplement pas confiance en leur système électoral. »

De 131 à 132

C'est ainsi qu'est né « yo-soy-132 ». L'addition d'une personne représente tous les autres étudiants et personnes solidaires à la cause. Il rassemble donc les 131 étudiants présents à la conférence et un tout de personnes les supportant et militant à leurs côtés.

Les principaux buts du mouvement sont de lutter contre la prise du pouvoir de Pina Nieto, de dénoncer le monopole des médias télévisuels au Mexique et de renforcer les liens entre les universités publiques et privées. « Yo-soy-132 » se veut rassembleur et englobe aussi d'autres enjeux. Il s'oppose au néo-libéralisme et au système électoral en place, ainsi qu'à la politique traditionnelle en générale.

La question des médias mexicains

La question du monopole des médias télévisuels est devenue la priorité du mouvement. La manipulation de l'opinion a des conséquences sans bornes sur la société mexicaine. L'information journalistique est un élément primordial dans le concept de démocratie et si elle n'est pas accessible et véridique, un système électoral juste n'est pas envisageable. C'est d'ailleurs cette désinformation qui aurait fait gagner le PRI le 1er juillet dernier lors des présidentielles. Yo-soy-132 dénonce l'illégitimité des élections dans la proclamation de sa cinquième assemblée interuniversitaire : « Nous dénonçons le contexte dans lequel se sont déroulées les élections du 1er juillet qui ont été empreintes de pratiques profondément antidémocratiques comme la violence d'État ; l'achat et la contrainte du vote, tirant profit de la condition et des besoins de notre peuple ; la manipulation médiatique ; l'usage d'enquêtes truquées et d'autres pratiques illicites qui ont altéré l'essence de notre suffrage libre, informé, raisonné et critique ».

Comme l'a précisé Alexandre Beaudoin-Duquette, doctorant à l'université de Mexico en science politique et militant, lorsque les membres du mouvement dénoncent la manipulation médiatique, ils dénoncent principalement la relation peu nette entre Televisa, la plus grande chaîne télé hispanophone et Pina Nieto. La chaîne en question a orchestré la campagne électorale de Pina Nieto, tout en amoindrissant celle de Lopez Obrador, chef du Parti Révolutionnaire démocratie (PRD), parti de gauche mexicain.

Cependant, comme l'a précisé Vladimir, le problème que dénonce Yo-soy-132 par rapport aux médias ne se limite pas qu'au contexte de campagne électorale. La programmation de Televisa et de Tv-Azteca (l'autre oligarque des médias télévisuels mexicain), est abrutissante. On y retrouve, majoritairement si ce n'est qu'exclusivement des téléromans à l'eau de rose, des émissions américaines du même genre ainsi que de la publicité. Les quelques émissions d'information tant qu'à elles sont majoritairement constituées de faits divers sensationnalistes pour détourner l'attention des réels enjeux.

Les réussites du mouvement

Yo-soy-132 a rapidement connu une popularité surprenante. Le 30 mai, déjà 35 universités, publiques et privées, se joignent au mouvement. Des personnes de tous les âges ont ensuite apporté leur appui. Achats de vote, fraude, opportunisme politique, manipulation des médias, toutes les accusations se tournent vers le PRI et son chef, et ce, grâce aux étudiants. Ils ont été le son de cloche qui réveilla la population, dévoilant sans gêne les injustices auxquelles les Mexicains font face.

C'est aussi en rendant visible le pouvoir qui se situe derrière les chaînes de télévision et en rendant tangible le rejet de ce monopole médiatique que Yo-Soy-132 s'est jusqu'à maintenant le plus grandement accompli. Pour ce faire, ils ont réussi à faire diffuser un débat des chefs organisé par le mouvement quelques jours avant l'élection du 1er juillet. Les étudiants étaient alors invités à débattre avec les candidats. Tv-Azteca refusa de le diffuser, mais Televisa accepta finalement de le faire. À ce dernier, seulement trois candidats participèrent, Pina Nieto ayant laissé son siège vide, illustrant sa lâcheté et son absence de respect pour la communauté étudiante et globale.

Pour se faire entendre, ce sont des manifestations pacifiques, des actions originales et des vidéos diffusées sur les médias sociaux qui furent leur porte-voix. Vers la fin juin, la « acampada revolución », un campement physique dans la ville, débuta en face du monument de la révolution à Mexico. Puis, suite aux présidentielles, le nombre d'occupation et de manifestation a continué d'augmenter, le mécontentement allant dans le même sens.

Ce vent d'espoir ne doit pas tourner. C'est une occasion de se mobiliser et de se rassembler que les étudiants ont créé. Pourquoi agir seul quand on peut le faire ensemble ? Voilà une question à laquelle les mouvements sociaux printaniers ont su répondre, et ce, brillamment.

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Crédit photo : Munir Hamdan via Flickr