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Les mineurs espagnols à l’assaut de l’austérité européenne

Mercredi 1er août 2012, par Christophe Jasmin

On les croyait disparues ces figures d'un autre temps. Emportées par une certaine idée du Progrès, par ces vagues successives de désindustrialisation. Enfouies dans un passé aussi creux que leurs mines et, surtout, rendues impuissantes par leur isolement et leur appauvrissement. C'est pourtant eux, les mineurs, qui aujourd'hui montrent la voie, lampe frontale à la tête, aux Indignados et autres protestataires espagnols dans la lutte contre l'austérité du gouvernement de Mariano Rajoy. Un symbole fort à l'ère de la contestation 2.0.

Après une grève de quatre semaines restée sans effet, les 8000 mineurs du nord de l'Espagne ont décidé de prendre les choses en main. Partis le 22 juin dernier de Castilla y León, des Asturies ou d'Aragon, un peu plus de 200 d'entre eux ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres à pied avant d'atteindre la Puerta del Sol, place emblématique du centre de Madrid, le mercredi 11 juillet. Une « marche noire » dont l'objectif était de dénoncer les coupes dans les subventions au secteur du charbon, qui survit grâce aux aides de Bruxelles.

Tout au long de leur route, ils ont été reçus chaleureusement dans les bourgades et villages espagnols où on leur offrait de bon gré un toit pour dormir et de quoi manger. À leur arrivée à Madrid, toutefois, les mineurs ont été accueillis de deux façons bien différentes. D'une part, plus de 25 000 sympathisants ont joint leurs rangs pour manifester devant le ministère de l'Industrie - portant des t-shirts où il était écrit « Nous soutenons la lutte des mineurs » ou encore « SOS mineurs en danger d'extinction ». De l'autre, les forces de l'ordre ont brutalement réprimé la manifestation, tirant des balles de caoutchouc dans la foule, blessant 76 personnes et en arrêtant 18 autres dont deux mineurs.

De plus, alors que ces heurts avaient lieu dans les rues de la capitale, le gouvernement de droite annonçait de nouvelles mesures d'austérité pour réduire le déficit de l'État de 65 milliards d'euros en deux ans et demi. La taxe de vente passera ainsi de 18 % à 21 %, a notamment annoncé le premier ministre Rajoy ; lui qui avait pourtant été élu en novembre dernier en promettant de ne pas augmenter cette taxe. Une importante volte-face qui fait dire à plusieurs analystes que le pays est d'ores et déjà sous la supervision de l'Union européenne, avant même d'avoir demandé un sauvetage à l'instar de la Grèce.

Des promesses brisées

Plus encore que pour leurs emplois, les mineurs se battent pour l'honneur et le respect. L'honneur, c'est celui de travailleurs acharnés qui, de père en fils, se tuent à l'ouvrage, parfois littéralement, au fond de ces mines. C'est aussi celui d'ouvriers qui ont été à la source de bon nombre de luttes sociales en Espagne, notamment sous la dictature franquiste. Et qui ont déjà servi d'important détonateur à celle-ci.

Le respect, c'est d'abord celui des engagements qu'on leur a faits. Or, selon une lettre d'un mineur publié sur libcom.org, le gouvernement espagnol n'a pas tenu sa parole sur au moins deux points particulièrement importants. Le premier étant d'assurer la survie du secteur minier via des subventions européennes jusqu'en 2018, tel que prévu dans l'entente signée l'an dernier entre les syndicats miniers et le ministère de l'Industrie. Cet accord, dit de transition, prévoyait en effet de garder en vie ce secteur, pourtant en grande difficulté face à ses concurrents africains et asiatiques. Or, en mai dernier le gouvernement Rajoy brisait unilatéralement l'entente, se permettant dès lors disposer de cet argent comme bon lui semble.

Quant au second, il s'agissait, grâce à un fonds de développement régional, de créer des industries alternatives qui auraient permis aux mineurs de trouver un emploi une fois les subventions écoulées et donc, fort probablement, les mines fermées. Des industries qui auraient également représenté des perspectives d'emplois viables pour les générations futures, dans un pays où le taux de chômage des jeunes frôle les 50%.

Toutefois, plusieurs politiciens ont préféré piger dans ce « Fonds Mineurs » (Fondos Mineros) pour investir dans les infrastructures publiques et miser sur un secteur immobilier qui, à l'époque, était en pleine ébullition. L'ancien maire d'Olviedo, capitale des Asturies, a ainsi remplacé les lampadaires de la ville avec une partie de ce fonds, en plus de construire plusieurs projets d'envergure, dont le Palais des Expositions et des Congrès, immense édifice érigé à coup de plusieurs centaines de millions d'euros.

Enfin, c'est aussi le contexte dans lequel se font ces coupes qui enrage les mineurs. Alors que le gouvernement espagnol vient d'accorder une aide de 23 milliards au conglomérat banquier Bankia, on leur refuse 190 millions d'euros pourtant déjà promis.

Une lutte de classes ?

Il n'en fallait pas tant pour réveiller la fibre militante de ces travailleurs de l'ombre. Avant même que la « marche noire » n'atteigne Madrid, des groupes de mineurs avaient décidé d'employer les grands moyens pour se faire entendre. Quelques-uns se sont enfermés dans leur mine plusieurs jours, d'autres ont bloqué des axes routiers pendant de longues heures alors que certains ont même organisé une sorte de guérilla populaire, utilisant des armes artisanales contre les antiémeutes et la Guardia Civil, la gendarmerie espagnole.

Malgré cette violence, une grande majorité d'habitants des régions minières et une bonne partie du pays tout entier continuent de supporter les mineurs dans leur lutte pour protéger leurs régions et leurs communautés qui seraient sans doute condamnés à de très durs lendemains si les mines fermaient de sitôt.

Toutefois, au-delà des enjeux impliqués ici, c'est la lutte elle-même qui devrait faire réfléchir. Ces mineurs coriaces représentent un des derniers pans de ce qu'on appelait autrefois la « classe ouvrière » ; ce concept que l'on a oublié en même temps que la conscience de son existence, au plus grand plaisir des élites économiques.

Leur lutte redonne tout leur sens aux mots « résistance » et « contestation ». Ils prennent littéralement les armes pour exprimer leur désaccord au lieu de le tweeter. Ils mettent en feu des barricades sur les routes au lieu d'incendier leurs dirigeants sur Facebook. Ils affrontent de front la Guardia Civil, sans pancarte ni banderole, au lieu de se mettre au pas des matraques. Ils montrent, enfin, que la solidarité d'un groupe, voire d'une classe, est bien plus forte que tous les hashtags et statuts de ce monde.

À peine trois semaines après leur arrivée triomphale à Madrid, leur mouvement montre déjà des signes d'essoufflement. Leur lutte, ils vont sans doute la perdre. Ce qu'ils nous auront fait gagner, par contre, c'est la chance de voir les derniers soubresauts d'une fraternité malheureusement révolue.

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Crédit photo : Popicinio_01 via Getty Images