|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > Loi 78 : Quand l’exception devient règle de droit

Loi 78 : Quand l’exception devient règle de droit

Vendredi 1er juin 2012, par Arij Riahi, Sara E. Levac

La loi spéciale adoptée sous bâillon par l'Assemblée nationale le 18 mai dernier a entraîné son lot de contestations. Depuis, le débat fait rage et les opinions se polarisent. Certains dénoncent une loi matraque qui impose des limites à la liberté d'expression et la liberté d'association. D'autres, plus résignés, doutent de la bonne foi du gouvernement à dénouer l'impasse. Dans la tempête, il ne faudrait pas perdre de vue certains aspects de la loi qui soulèvent des questions quant à la primauté du droit, et ce, indépendamment de la position de chacun sur les frais de scolarité.

Faciliter les poursuites

L'article 25 de la loi modifie les règles du jeu en matière de recours collectifs, cette procédure spéciale qui permet à un individu d'intenter des poursuites au nom d'un groupe de personne.

Selon le Code de procédure civile, une personne qui entend exercer ce recours doit d'abord demander l'autorisation du tribunal. Plusieurs critères doivent être respectés. Il faut notamment que les membres du recours soient tous dans une situation qui soulève des questions juridiques communes et qu'un recours collectif soit le moyen le plus approprié d'obtenir réparation.

Le projet de loi 78 évacue ces critères pour n'en garder qu'un seul. Le tribunal recevant une demande d'autorisation d'un recours collectif doit maintenant se contenter de vérifier si le représentant des membres du recours collectif est en mesure de s'acquitter adéquatement de ses tâches.

De plus, le changement ne s'applique pas à tous les citoyens, mais vise plutôt deux groupes de personnes. D'abord, il s'applique aux professeurs qui ne donnent pas de cours, qui ralentissent leurs activités d'enseignement ou qui vont autrement « entraver le droit d'un étudiant de recevoir l'enseignement ».

Le changement vise aussi toute personne qui cherche à « nuire à la prise ou au maintien » des cours ou à « entraver l'accès d'une personne à un lieu » où des cours sont dispensés. A priori, la loi semble ne viser que des individus. Toutefois, son article 22 stipule que les associations étudiantes sont responsables du tort causé par leurs membres en contravention avec la loi. À cela s'ajoute le fait que dans l'éventualité d'un recours collectif, il y a fort à parier que c'est une association, et non pas un seul étudiant, qui sera poursuivie.

Le résultat de ces changements est un l'assouplissement des exigences en matière de recours collectifs contre les professeurs et les associations étudiantes. Il est donc difficile de voir dans cette initiative autre chose qu'une volonté de judiciariser la crise ou, à tout le moins, de faciliter les recours contre les carrés rouges.

Le choix dans l'application du droit

La loi spéciale accorde au gouvernement le loisir de décider quand et de quelle façon il appliquera le droit. En effet, l'article 9 lui permet de « prévoir les dispositions législatives et réglementaires qui ne s'appliquent pas » pour assurer la continuité des services d'enseignement. En d'autres termes, le gouvernement s'autorise à s'immiscer dans la gestion des établissements scolaires et à leur imposer des directives particulières.

Le gouvernement se permet aussi d'outrepasser, à sa guise, sa propre loi spéciale. Il s'arroge le droit de « prévoir toute autre adaptation nécessaire aux dispositions de la présente loi ».

Le mythe du droit à l'éducation

Depuis son adoption, le gouvernement n'a cessé de présenter sa loi spéciale comme une protection du droit à l'éducation en ce sens qu'elle garantit à tous les étudiants qui désiraient retourner en classe de le faire. Toutefois, cette interprétation du droit à l'éducation est grossièrement erronée.

Les articles 13 et 14 visent respectivement à prévenir toute levée de cours et à interdire tout piquetage devant les établissements d'enseignement postsecondaire. Ainsi, le droit à l'éducation défendu par le gouvernement est présenté comme un droit à l'accès physique au lieu où l'enseignement est dispensé. Or, il n'en est rien.

Le concept du droit à l'éducation est un droit de type « économique, social et culturel ». Il est présent dans la Charte des droits et libertés de la personne à son article 40. Celui-ci prévoit que « toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite ». Selon cette disposition, l'éducation doit donc être généralisée, et ce, par l'instauration de la gratuité. Au Québec, cet article s'incarne par l'éducation primaire et secondaire gratuite.

Le droit à l'éducation est également présenté à l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Outre l'instauration de l'enseignement primaire et secondaire gratuit celui-ci prévoit que « l'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité […] notamment par l'instauration progressive de la gratuité ».

Les frais comme freins

Au sujet de cette instauration progressive de la gratuité, un organe de l'ONU chargé de vérifier l'application du Pacte international a déclaré que l'expression signifie aussi que les États doivent « prendre des mesures concrètes en vue d'assurer à terme la gratuité de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur ».

Encore plus intéressant, ce même comité avait affirmé ceci concernant le droit à l'éducation : « les frais d'inscription imposés par le Gouvernement […] sont un frein à l'exercice du droit et risquent de nuire à sa réalisation. Ils entrainent aussi souvent un net recul de ce droit ».

Il va sans dire que cette lecture du droit à l'éducation s'éloigne grandement du simple accès physique à l'établissement d'étude et vise plutôt à ce que le milieu socioéconomique dont est issu un étudiant ne mine pas sa capacité à avoir accès à l'éducation. Le gouvernement libéral tente donc de se présenter comme le défenseur d'un droit qu'il entrave pourtant lui-même avec sa hausse annoncée de 1778$ sur les droits de scolarité échelonnée sur 7 ans.

Dans ce contexte, la loi spéciale n'apparaît pas comme une mesure permettant de véritablement protéger le droit à l'éducation, mais plutôt de couper court à la mobilisation. En utilisant ce droit pour justifier des mesures d'exception, le gouvernement brouille les cartes.

Il en présente une version déformée pour mieux servir ses intérêts politiques. Non seulement la loi spéciale s'éloigne de la substance réelle du droit à l'éducation, mais elle est utilisée pour restreindre ceux dont les revendications se basent sur la véritable essence de ce droit collectif.

<script type="text/javascript" src="http://s7.addthis.com/js/250/addthis_widget.js#pubid=ra-4f3545f17f389489"></script>

Crédit photo : Ariane Pamart