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Chants de résistance : plaidoyer pour des territoires traditionnels exempts d’extraction d’uranium et de phosphate au Brésil

Lundi 4 janvier 2021, par L'articulation antinucléaire du Ceará

O melhor que a gente faz é ir se organizando,
Fazer um mutirão de paz, uns aos outros ajudando.
Nossa vida ameaçada também precisa viver,
Se a mina for explorada, muita gente vai morrer
[1].
— Chico Paiva

À travers son chant, Chico Paiva, paysan et poète de la communauté de Riacho das Pedras, décrit le sentiment ambiant et la réflexion critique sur la mise en place éventuelle d'un complexe minier et industriel visant à extraire et à traiter de l'uranium et du phosphate à Itataia, Santa Quitéria, Ceará (Brésil).

Le gisement, qui se trouve dans la région au climat semi-aride de l'État du Ceará, dans une zone connue sous le nom de « Sertão Central », est considéré comme la plus grande réserve d'uranium du Brésil et la septième au monde. La région est habitée par des centaines de communautés paysannes qui seront directement touchées par le projet minier, des communautés résilientes qui sont profondément liées à l'environnement et qui fondent leur vie sur la coexistence avec le sertão et ses saisons sèches. Les peuples autochtones, les communautés quilombolas et d'autres communautés traditionnelles vivent également dans les zones touchées par le projet, comme celles situées à proximité des voies de transport et des sites de stockage de l'uranium. Aucun de ces peuples et communautés n'a eu accès à des informations claires sur le projet de la part de l'État ou des entreprises concernées, n'a été consulté au préalable et n'a eu la possibilité de participer aux audiences publiques pour discuter de la viabilité socio-environnementale du projet.

Selon des études techniques multidisciplinaires qui ont été réalisées [2], le projet minier risque de causer de graves répercussions sur la santé, le climat, l'environnement, l'eau, le travail agricole et la production alimentaire, entre autres. Cela est dû à la contamination de l'air, du sol et des bassins hydrographiques par des éléments radioactifs et des métaux lourds provenant des gaz, des poussières et des déchets produits par l'extraction et la transformation de l'uranium et du phosphate. Aux yeux de certains, cela peut s'assimiler à une autre histoire d'injustice environnementale ou bien un autre récit local de résistance contre un projet de « développement ». Or comme pour de nombreux conflits socio-environnementaux dans le monde, ce cas-ci met en évidence l'enchevêtrement des contextes locaux, nationaux et mondiaux qui ont renforcé le capitalisme néo-extractif au détriment des voix natives de ces terres et territoires. Dans le cas qui nous intéresse ici, ce sont les voix de ceux et celles qui vivent là où se trouve le gisement d'uranium. Permettez-nous de vous raconter un peu leur histoire.

Le projet d'exploitation minière n'est pas nouveau : il remonte à 1976, année qui marque la découverte du gisement. La procédure d'autorisation environnementale de ce projet a été annulée par la Cour de justice à deux reprises, en 2012 et 2019. La deuxième fois, le refus par l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis — IBAMA) s'est basé sur des considérations socio-environnementales [3]. En 2020, le consortium d'entreprises impliquées dans le projet minier (Indústrias Nucleares do Brasil — INB et Fosnor Fosfatados do Norte Nordeste S/A — Galvani) a lancé une nouvelle demande de permis environnementaux auprès de l'IBAMA. Le gouverneur du Ceará a quant à lui manifesté son soutien au consortium [4] et s'est engagé à construire un pipeline pour fournir de l'eau pour les besoins de la mine, qui consomme 700 000 litres d'eau par heure.

Le projet Santa Quitéria vise la production de 1 600 tonnes d'uranium par an pour générer de l'énergie nucléaire et 750 000 tonnes de dérivés phosphatés (engrais) pour l'agrobusiness. Cette production dépend de l'installation de centrales nucléaires, notamment sous-marines, et est associée à l'expansion de l'utilisation de pesticides et de semences transgéniques. Rappelons que les industries des pesticides provoquent la dépossession territoriale des peuples et des communautés traditionnels et renforcent les plantations de monocultures dans le Cerrado et l'Amazonie brésilienne, des biomes qui se caractérisent par la richesse de leur biodiversité et qui sont essentiels à la régulation du climat et à la conservation d'importantes réserves d'eau douce sur la planète.

Malgré ce scénario, les populations et les communautés locales sont bien organisées ; elles ont exprimé leurs besoins dans un appel à l'aide et ont reçu le soutien de mouvements sociaux, de chercheur·es et d'organisations populaires [5]. Elles ont repris leur lutte historique pour leur droit à la terre. Auparavant, il y a des décennies de cela, elles avaient contesté les pratiques de travail injustes dans les plantations et, grâce à leur résistance locale, acquis des terres pour être libres et travailler dans de meilleures conditions. Ces populations considèrent l'extraction d'uranium et de phosphate comme une autre forme de captivité et une nouvelle menace pour leur autodétermination, leurs territoires et leurs rêves d'avenir. Elles voient dans le gisement de minerai un dragon endormi, qu'il faut, selon leur interprétation, respecter et laisser poursuivre son sommeil profond.

L'État et les sociétés minières ont ignoré et délégitimé les revendications des communautés locales, les qualifiant de pauvres et d'arriérés. Pendant ce temps, ils ont continué à faire la publicité de l'exploitation minière comme un symbole de richesse et de technologie tout en cachant ses impacts et risques potentiels. De plus, ces exploiteurs potentiels ont essayé d'imposer un seul récit — comme s'ils pouvaient contrôler et homogénéiser la vie dans la région — alors que les paysans, les peuples autochtones, les quilombolas et d'autres peuples et communautés traditionnelles cousent des histoires plurielles et une diversité de grammaires et d'écritures propres aux peuples de ces terres. Ces communautés démontrent la richesse des techniques locales de production alimentaire, la domestication des petits animaux, la préservation des semences indigènes et la culture des plantes médicinales. Elles construisent également, collectivement, des technologies sociales pour capter et stocker l'eau de pluie dans les zones arides où ils vivent. De cette façon, ces communautés partagent avec soin et gratitude, reconnaissant la nature comme faisant partie de leurs identités collectives.

Les communautés locales ont une réponse claire au projet minier : elles disent non à la menace de contamination du sol, de leur corps et de leur esprit. Elles disent non aux quelques emplois précaires que l'entreprise entend créer aux dépens de l'exploitation de leurs terres souterraines, de leurs montagnes et jardins. Elles disent non à un projet minier censé durer 26 ans et qui vise à réveiller le dragon endormi pour le transformer en business, en cauchemars et en mort. En revendiquant leurs territoires traditionnels et en s'opposant à l'extraction d'uranium et de phosphate, les populations locales rappellent à l'État que, grâce à des investissements dans l'agroécologie et d'autres productions familiales, elles ont elles aussi des propositions pour un travail décent. Ces propositions ont le potentiel de générer des emplois et des opportunités de travail de qualité.

Ces communautés estiment que leur mode de production agricole n'a jamais mis en péril la santé de l'environnement dans lequel elles vivent. Sur leur territoire, leur corps, leurs connaissances et leurs réseaux de solidarité ont cultivé des existences ancestrales. Elles s'engagent collectivement à garder et à protéger ces terres en l'honneur de leur histoire et pour les générations futures qui oseront soutenir la vie et les voix de la Terre [6].

Photo : Gracieuseté de l'articulation antinucléaire du Ceará

Traduction : Journal des Alternatives

Notes :

[1] Poème chanté par Chico Paiva, paysan octogénaire et figure respectée dans le village Riacho das Pedras, à Santa Quitéria, Ceará. Extrait du documentaire « O Tesouro de Itataia - O que faremos ». Disponible à l'adresse suivante (à la minute 5:15')
: <https://www.youtube.com/watch?v=3CR...> . Consulté le 12 décembre 2020.
Traduction libre :
« La meilleure chose à faire est de nous organiser, rassembler des groupes de personnes pour un effort de paix et pour s'entraider. En dépit de notre vie menacée, la vie doit être défendue, si la mine est exploitée, de nombreuses personnes vont mourir ».

[2] L'une de ces études est l'avis technique « Analyse des omissions et des insuffisances du mandat actuel de l'étude d'impact environnemental et du rapport d'impact environnemental du projet de Santa Quitéria », préparé par le « Panel académique sur les risques de l'exploitation minière de l'uranium et du phosphate », en novembre 2020. [non publié]

[3] IBAMA. Avis nº 02001.003419/2016-12 COMOC/IBAMA. Analyse technique des compléments de l'étude environnementale du projet Santa Quitéria - Extraction de phosphate et d'uranium. Numéro de processus IBAMA 02001.005454/2004-24. Brasilia, 8 septembre 2016. [non accessible en ligne].

[4] Pimentel, Samuel. Le gouvernement du Ceará signe un mémorandum pour l'usine d'uranium de Santa Quitéria. O Povo online, Fortaleza, 28 septembre 2020. Disponible à l'adresse suivante : <https://www.opovo.com.br/noticias/e...> . Consulté le 13 décembre 2020.

[5] Mouvement pour la souveraineté populaire dans les mines ; Ceará antinucléaire. Note de positionnement sur la reprise du projet d'exploitation minière d'uranium et de phosphate à Santa Quitéria, Ceará : Santa Quitéria est un territoire exempt d'exploitation minière d'uranium et de phosphate. Ceará, Brésil, 24 octobre 2020. Disponible à l'adresse suivante <http://www.tramas.ufc.br/wp-content...> . Consulté le 13 décembre 2020.

[6] Macy, Joanna et Johnstone, Chris. Active Hope : how to face the chaos we live in without going crazy, 1ere edition, Rio de Janeiro : Bambual Editora, 2020.