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Vers un renouveau pour l’aide au développement du Canada ?

Dimanche 31 janvier 2016, par Gabriel Goyette-Côté

Rarement un changement de gouvernement aura suscité autant d'attentes et d'espoirs au Canada pour le secteur de la coopération internationale. Pourtant, il est intéressant de noter que ces espoirs ne sont pas tant motivés par les engagements du nouveau gouvernement Trudeau que par la volonté de plusieurs dans le milieu de tourner la page sur les politiques, les pratiques et surtout l'attitude du gouvernement Harper. Que peut-on réellement attendre du gouvernement Trudeau en matière d'aide au développement et quels sont les défis auxquels il fait face ?

Disons-le d'entrée de jeu, le ton a déjà fortement changé depuis l'élection de M. Trudeau. Ainsi, le nouveau premier ministre a inclus dans la lettre de mandat du ministre des Finances, M. Morneau, la directive suivante :Travailler avec la ministre du Revenu national afin de permettre aux organismes de bienfaisance de travailler au nom des Canadiens et des Canadiennes sans avoir à subir de harcèlement politique, et de moderniser les règles régissant les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif.

Cela tranche très certainement avec le harcèlement administratif dont plusieurs ONG ont fait l'objet sous le régime Harper comme ce fut le cas pour Alternatives. Par-delà, il sera intéressant de voir le type de relations qu'entretiendra le nouveau gouvernement avec les ONG de coopération ; seront-elles reconnues comme de réels acteurs du développement ou simplement confinées à un simple rôle d'exécutants des politiques et priorités gouvernementales ?

Au titre des autres bonnes nouvelles, notons également la nomination d'une ministre qui n'est pas complètement étrangère aux enjeux du développement international. En effet, Mme Bibeau a débuté sa carrière à l'ACDI et dispose d'une certaine expérience sur le terrain au Maroc et au Bénin. On peut également noter la volonté de contribuer à la lutte et l'adaptation aux changements climatiques dans le Sud exprimée en marge de la COP21, une réalité que ne reconnaissait même pas le gouvernement antérieur, de même qu'un engagement plus robuste en faveur des réfugiés et des organisations multilatérales qui traduisent un rapport différent à l'aide, une vision moins orientée sur la charité.

Le contraste a beau être frappant entre les discours conservateurs et libéraux sur l'aide internationale, on doit demeurer vigilants et exigeants quant aux pratiques et politiques que mettra effectivement en œuvre le nouveau gouvernement. À cet égard, quelques défis attendent la nouvelle ministre.

Un des principaux chantiers du gouvernement sera d'élaborer une véritable politique d'aide internationale pour le Canada. En effet, les pratiques canadiennes ont grandement changés sous les Conservateurs. Au début, les transformations paraissaient être à l'emporte pièce. Puis, une idée, voir une idéologie plus générale a parue relié tous ces changements. Par ricochet, la transparence, l'imputabilité et l'efficacité développementale de l'aide canadienne se sont vues réduites. Si le gouvernement Trudeau promet de se lancer dans une série de réformes à son tour, espérons qu'elles se feront dans la transparence et avec la collaboration de la société civile comme l'exige la loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle adoptée en 2008.

Le second défi de taille sera de remettre le développement au cœur de la politique de développement international du Canada. Tantôt au service de ses intérêts géopolitiques, tantôt au service de ses intérêts commerciaux ou diplomatiques, le Canada a rarement fait du développement l'objectif principal de sa politique de développement. Il sera intéressant de voir l'équilibre qui s'établira au sein d'Affaires mondiales Canada (le nouveau nom du ministère regroupant les affaires étrangères, le commerce international et le développement international) entre les différentes missions du ministère.

Enfin, le gouvernement devra gérer ses nombreux engagements dans un contexte budgétaire rendu difficile par la chute des prix du pétrole, la volatilité des marchés financiers et la faible croissance mondiale. Saura-t-il trouver les fonds nécessaires pour renverser la tendance à la baisse des budgets dédiés à l'aide au développement depuis quelques années ? Assistera-t-on à la fin des sous-décaissements, une pratique devenue récurrente chez les Conservateurs qui consistait à malencontreusement « ne pas être capable de tout dépenser » le budget d'aide dont les « surplus » étaient retournés au fonds consolidé du gouvernement ?

Les attentes sont aujourd'hui très élevées envers le nouveau gouvernement qui aura fort à faire pour ne pas décevoir les espoirs de la société civile canadienne et de l'électorat, pas seulement en matière d'aide au développement. Il devra également éviter de retomber dans les vieux réflexes libéraux. On se souviendra notamment des coupures massives réalisées par le Parti libéral dans les budgets d'aide au milieu des années 1990 pour atteindre l'équilibre budgétaire ou encore la forte prévalence de l'aide liée au bénéfice des entreprises canadiennes. Parions que la société civile les aura à l'œil.

L'auteur est doctorant en science politique, Université de Montréal