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Radicalisation des mouvements sociaux

Jeudi 1er mai 2014, par Gabrielle-Léa Tétrault

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Depuis quelques années, des citoyens et citoyennes, ressaisi-es par une fougue contestataire, se sont positionné-és ouvertement contre un système qui les néglige. À travers les récentes périodes de politisation populaire, tel que le mouvement Occupy et la grève étudiante de 2012, une tranche plus militante en est sortie radicalisée. Retour sur la radicalisation des récents soulèvements populaires au Québec.

Plusieurs définitions du mot « radicalisme » sont données, rendant son utilisation très subjective. Marcos Ancelovici, professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal, indique qu'en termes politiques, la radicalisation est « l'analyse des problèmes sociaux à la racine ». Il ajoute que des modes d'action visant davantage la confrontation y sont généralement associés. Au sein du mouvement étudiant, il y a eu une « radicalisation de l'analyse politique » d'après le professeur. Par exemple, les revendications initiales des étudiants-es concernaient la hausse des frais de scolarité du gouvernement libéral avant de muter vers la gratuité scolaire et une critique radicale du système.

Pourquoi il y a de la radicalisation ?

Selon Marc-André Cyr, chargé de cours en politique à l'UQÀM et chroniqueur des mouvements sociaux pour le site Voir, c'est dans la lutte qu'on comprend mieux le monde qui nous entoure ; c'est un cours de sciences politiques en accéléré, explique-t-il. Les étudiants-es et citoyens-nes, s'appropriant leur droit d'exister et de faire valoir leurs idéaux, ont leur propre vision du sens et du rôle de l'État, des autorités et du droit. Ils obtiennent une « conscience claire au-delà de la politique », croit Marc-André Cyr.

Quant à lui, Marcos Ancelovici signale que c'est à travers les luttes que les gens comprennent le rapport de force de l'État. Le professeur met particulièrement l'accent sur la répression policière comme fondement important de la radicalisation. Il explique que les forces de l'ordre répondent de façon arbitraire aux actes commis lors des démonstrations publiques, ce qui cause un sentiment d'injustice. Les gens discernent ainsi les intérêts privés de l'institution policière et n'ont pas l'impression qu'elle est réellement là pour le peuple.

L'espace médiatique

Les mouvements radicaux sont présentés dans les médias comme des groupes violents, considère Marc-André Cyr. Il ajoute que les actions directes sont difficiles à défendre dans l'espace médiatique et sont présentées comme des actes de vandalisme. « Les journalistes utilisent le langage policier », remarque-t-il également. Il considère cependant que la lutte n'a pas besoin de l'appui médiatique pour exister, qu'elle vit au-delà de celle-ci. L'opinion publique est fabriquée, tient à souligner le chroniqueur : le discours médiatique traite les évènements afin de faire ressortir uniquement les éléments souhaités.

Aux yeux de Marcos Ancelovici, les contestations sont toujours mal présentées. « On se trompe si on croit qu'un événement sans violence obtiendra une bonne couverture médiatique » dit-il. Toutefois, les démonstrations radicales suscitent une plus grande couverture médiatique, ce qui apporte une importante visibilité opportune aux mouvements. Il donne en exemple la manifestation altermondialiste de 1999 à Seattle, où la tactique Black Block fut utilisée pour la première fois avec envergure, faisant par la suite le tour de la planète.

Réappropriation des mouvements

« Le capitalisme se nourrit de tout ce qui le conteste », rappelle Marcos Ancelovici. Les gens utilisent les mouvements sociaux et luttes anticapitalistes à des fins de profit personnel. Il donne en exemple les chandails de Che Guevara portés en dehors du contexte révolutionnaire. Les mouvements et luttes sont pervertis et normalisés par cette marchandisation. Selon Marc-André Cyr, il y a toujours eu de la réappropriation afin de générer du capital mais il est certainement inévitable d'en faire la critique. « Le mouvement est assez fort pour y voir clair et sortir de la dérive commerciale » assure-il. Il dénote en outre que les opportunistes se retrouvent bien souvent victimes de leur récupération, comme Pauline Marois et son utilisation du carré rouge.

Le cycle de la radicalisation de l'analyse politique

Marcos Ancelovici croit qu'il faut sortir de la perspective à moyen terme dans les réflexions sur le radicalisme des mouvements sociaux. Il faut les comprendre dans leur contexte historique. La vitalité des mouvements fluctue et évolue à travers des cycles à durée variable. La radicalisation a un point de départ, un catalyseur. Elle est une des phases du cycle des mouvements sociaux, pas nécessairement la première. Elle est graduelle, précise-t-il, et est le produit de la lutte, en ce sens qu'elle suit souvent une phase d'intensification de la mobilisation.

Pour illustrer ce processus, le professeur attribue l'origine de la grève étudiante de 2012 aux contestations du Sommet des Amériques à Québec en 2001. S'ensuivit à l'époque une redynamisation des mouvements, au sein de la lutte pour l'égalité homme-femme, des revendications altermondialistes, et des groupes étudiants par exemple. C'est aussi durant cette période que l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) fut créée, introduisant un fonctionnement horizontal et une démocratie directe dans leur organisation. Les militants et militantes de 2012, mobilisé-es par des valeurs antiautoritaires et anticapitalistes ainsi que par leur participation au Sommet des Amériques, se sont inspirés d'autres mouvements, notamment celui des Zapatistes au Mexique. Selon Marcos Ancelovici, à la suite de ces évènements, on a pu observer une transmission du savoir, une diffusion des tactiques et une expansion des réseaux militants.

Alors qu'il est difficile de prédire avec précision les conséquences qu'aura la radicalisation récente d'une frange de la population québécoise, Marc-André Cyr est d'avis que la gauche va récolter les fruits de cette nouvelle mobilisation dans les années à venir.

Crédit : Radiopiromania, Openclipart