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Guatemala : Après le génocide ?

Jeudi 1er mai 2014, par Sébastien Lavoie

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Le Guatemala a connu trente-six ans de conflit armé dont quatre ans de génocide entre 1979 et 1983 et les échos des massacres se font entendre jusqu'au Québec. Le Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG) diffuse ici la parole des victimes et aide la société civile guatémaltèque à émerger. Portrait d'un organisme qui tente de perpétuer le souvenir d'un conflit oublié et qui prend aujourd'hui de nouvelles formes.

Blanca Quíroa López, comme beaucoup d'autres, a vu son fils s'évaporer dans la dictature guatémaltèque il y a maintenant plus de trente ans. « C'est très difficile pour nous, les familles, parce que nos êtres aimés ne sont ni parmi les morts, ni parmi les vivants. Nos blessures ne se referment pas parce que nous n'avons jamais revu leurs dépouilles » racontait-elle lors d'une conférence organisée par le PAQG à la fin mars.
Blanca Quíroa López est une des représentantes de L'association des Familles des personnes détenues-disparues du Guatemala (FAMDEGUA), un regroupement guatémaltèque destiné à donner une voix aux victimes du génocide et à retrouver les dépouilles des victimes. C'est entre autres pour porter au Québec la parole des victimes des exactions commises pendant le génocide qu'existe depuis 1994 le PAQG.

Sa coordonnatrice générale, Laurence Guénette, affirme que la parole agit comme un baume sur les victimes. Celles-ci sont heureuses de pouvoir partager leurs expériences avec des étrangers solidaires qui vont chez eux afin de les écouter et de partager leurs histoires. Créer des liens de solidarité, c'est une partie du mandat du PAQG.

L'origine d'une mission politique

À ses débuts, le PAQG avait pour vocation de raccompagner les populations déplacées par les crimes de la dictature, crimes qui se sont échelonnés du début des années soixante jusqu'au milieu des années 90 et qui ont touché principalement des autochtones. Le bilan officiel fait état de 200 000 morts ainsi que d'un million et demi de déplacés, dont le tiers vers des pays limitrophes, principalement le Mexique. Dans sa genèse, les bénévoles du PAQG se rendaient au Mexique et raccompagnaient les réfugiés jusque dans leurs villages. 25 000 personnes ont ainsi pu revenir à leurs terres. La présence des bénévoles de l'organisme servait de bouclier aux populations locales encore craintives vis-à-vis des autorités de leur pays.

Aujourd'hui, l'époque des retours est révolue et la mission de l'organisme s'est modifiée. Le besoin d'accompagnement est toujours présent et il est encore une fois suscité par les membres d'une société civile parfois craintive de faire valoir ses droits face à un pouvoir toujours menaçant. Désormais la mission du PAQG consiste à « mener des actions de soutien à l'attention des défenseurs guatémaltèques des droits civils, politiques, sociaux, culturels et économiques, victimes d'exactions. Leurs bénévoles accompagnent ces militants dans leur lutte en faveur de la justice et observent la situation des droits de la personne dans le pays », peut-on lire sur le site internet.

Les membres du PAQG se déplacent à la stricte invitation des Guatémaltèques. Laurence Guénette clarifie ainsi le mandat de l'organisme : « On n'amène aucune ressource financière. C'est purement et simplement un accompagnement politique que l'on fait en tant que militants-e-s des droits humains et du respect des droits de la personne. On ne s'en va pas là leur dire comment mener leur lutte. On n'intervient jamais directement. On est là pour diffuser leurs actions à l'international. On ne fait pas de l'aide humanitaire, ni du développement. »

La genèse du génocide

Les ennuis des Guatémaltèques ont commencé avec l'implantation d'une réforme agraire en 1944. Celle-ci avait entre autres pour but de nationaliser des terres appartenant à la United Fruit Company qui comptait parmi ses actionnaires les frères Dulles, Allan et John Foster, respectivement chef de la CIA et secrétaire d'État. S'en est suivi, à partir de 1954, une série de coups d'État et d'actes de résistance, le tout sous un couvert idéologique qui cachait un conflit ethnique. Le Guatemala a ainsi été le premier terrain d'essai de la guerre froide en Amérique latine et ce génocide s'est fait à l'abri des caméras de télévision.

Dans les balbutiements du conflit, l'État ciblait ses victimes. Elles étaient d'abord des chefs syndicalistes et des leaders étudiants. Le conflit a culminé sous Efrain Rios Montt, qui a autorisé la création de patrouilles d'autodéfense civiles (PAC), des miliciens recrutés de force par l'armée (l'alternative au recrutement forcé était la mort) afin de combattre la guérilla. C'est à cette époque qu'a été instituée une politique de « terre brûlée » qui a conduit à l'éradication de quelque 440 villages. Et l'armée guatémaltèque, les patrouilles d'autodéfense ainsi que d'autres forces de sécurité étatiques comme la police, ne se contentaient pas de raser les villages. Elles tuaient le bétail et mélangeaient du sel à la terre afin que rien ne puisse plus jamais être cultivé.

Outre les 200 000 morts, le conflit a mené à la disparition forcée de 45 000 personnes. En 1996, des accords de paix ont été signés, mettant fin au conflit, et le génocide a été reconnu par l'ONU dans les années subséquentes avec la parution d'un rapport de la Commission pour l'éclaircissement historique (CEH).

Un affrontement qui se transforme

Cependant, les traces du génocide restent très présentes dans l'esprit de la population. « Le problème, au Guatemala, c'est qu'on n'a encore rien réglé, ou si peu », commentait Mateo Pablo, un survivant du génocide réfugié à Montréal, lors de la conférence organisée à l'UQAM.

Selon l'organisme, la culture d'impunité qui règne toujours dans le pays fait qu'environ 98% des crimes graves ne sont jamais punis par la loi et ne font même pas l'objet d'enquête. L'impunité règne aussi pour les anciens dirigeants génocidaires, notamment pour le chef Rios Montt, président en 1982 et 1983, condamné à 80 ans de prison pour génocide et crimes contre l'humanité. Il a vu ensuite sa sentence cassée par les tribunaux, et il n'a passé jusqu'à maintenant que deux nuits en prison.

Depuis quelques années, le PAQG mène une campagne de désinvestissement auprès de leurs actionnaires canadiens des entreprises minières canadiennes Goldcorp et Tahoe Resources. Ces compagnies investissent massivement au Guatemala où des mines sont ouvertes et opérées sans égard au respect de l'environnement et aux droits des populations locales.

Sur le terrain, la société civile se mobilise afin de bloquer certains projets de ces minières, mais leur parole est muselée par l'armée, responsable des génocides, qui garde les installations minières. Chaque année compte son lot d'assassinats de militants. Et les violences sont en hausse. Selon le PAQG, les attaques contre le défenseurs n'ont cessé d'augmenter depuis 2000 ; elles représentaient, en 2013, 657 cas.

Quand on demande à Laurence Guénette de quoi le Guatemala a besoin, elle hésite à parler à la place des citoyens, mais elle croit tout de même ceci : « Que cesse la répression brutale des mouvements de défense des droits. Que cesse l'impunité. Les Guatémaltèques ont besoin d'avoir la liberté d'organiser leur vie politique et économique comme ils l'entendent. De s'organiser en faveur de leur bien-être et non de leur persécution et de l'exploitation économique. Mais les populations guatémaltèques le savent. C'est pour ça qu'on les accompagne. »

Crédit photo : CC. Flickr. Suriza. 2008. (Description tirée de la source : A man lifts a poster demanding justice for genocide. In the poster are photographs of Germán Chupina, Benedicto Lucas García, Efraín Ríos Montt, Oscar Humberto Mejía Victores, Romeo Lucas García, Angel Anibal Guevara, Pedro García Arredondo y Donaldo Alvarez Ruíz.)