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Regard sur Hochelaga

Vendredi 6 décembre 2013, par Andrienne Surprenant, Emmanuel Cree

Une image d'Hochelaga tend à s'imposer depuis quelques années : celle du trou paumé aux problématiques multiples, mais soudainement ouvert et propice aux investissements. Des nouveaux commerces, des artères commerciales rafraichies, une clientèle plus friquée, etc. Les agents économiques importants et les autorités politiques parlent d'une « revitalisation économique ».

Du moins, c'est ce que le discours public et officieux soutient. Un projet à peine étudié que déjà on consomme le mariage du quartier ouvrier et des occasions d'affaires. Un second souffle dont tous vont bénéficier, dit-on.

Par contre, à bien disséquer ces propos feutrés, les résidents de longue date ne semblent pas inclus dans le portrait. Bien au contraire, c'est une certaine violence et un désaveu à son égard, que ressent cette population que l'on s'acharne à marginaliser.
Comprenons, pour ces résidents d'origine, un facteur important demeure : l'accessibilité à des services, et ce, autant physiquement qu'économiquement.

La rue Ontario, par exemple. Les jeunes familles et les habitués ne profitent pas uniquement des commerces et épiceries abordables qu'on y trouve, mais aussi de leur proximité. Des gens plus pauvres, souffrant parfois d'un handicap, sans cette distance restreinte et raisonnable, se verraient forcés d'effectuer des déplacements longs et coûteux. Et ce, uniquement pour subvenir à leurs besoins de base.

Ils trouvent également un environnement social qui leur offre la possibilité de vivre un sentiment de communauté plutôt que d'isolement. Non sans compter l'apport des groupes et organismes communautaires qui encouragent ces repères.

Dans une société où les relations sociales sont souvent relatives au cadre du travail, la part de la population exclue du marché de l'emploi puise dans cette vie de quartier une forme particulière de solidarité autrement introuvable.

Une vie de quartier qui naît, justement, de l'occupation à long terme de ces espaces.
Mais voilà, dans le contexte actuel, dans l'effervescence qui gagne la mairie et la chambre des commerces, nouveaux arrivants et habitants d'origine se côtoient. Cette cohabitation, entre plus et moins nantis, est désignée par ses promoteurs de « mixité sociale ». Ses défenseurs vantent les opportunités de s'enrichir mutuellement, d'un développement important dans la vie culturelle du quartier, de sensibiliser les uns aux réalités des autres, et vice versa.

Idyllique comme vision. Et surtout, épargnée de toute critique.

Car, ce « bon voisinage », cette promiscuité entre deux groupes aux revenus et aux intérêts forts différents, traîne dans ses sillons de graves conséquences. En important des cafés coquets, des petits restos au goût du jour, mais aussi en créant une demande pour des logements plus dispendieux, on bouleverse invariablement l'économie du secteur.

Si de surcroît, ce nouveau marché n'est pas encadré, ce sont les résidents de longue date qui en paient les frais. Et sévère. Des évaluations foncières revues à la hausse, des taxes municipales qui grimpent, donc, immanquablement, une augmentation du coût des denrées et des loyers.

En date de 2006, selon le Conseil pour le développement local et communautaire d'Hochelaga-Maisonneuve, 81% des résidents étaient locataires de logements privés. À la précarité de leur situation, on imagine facilement les risques potentiels. Une statistique qui met en lumière les inquiétudes qu'engendre cette « revitalisation économique », mais aussi, pourquoi elles sont si vives.

Les habitants d'origine doivent désormais composer avec l'incertitude de pouvoir conserver leur lieu de vie. La peur de devoir quitter leur quartier, celui dont ils arpentent les rues depuis de nombreuses années, connaissent les recoins, les gens qui y vivent. Cela affecte la cohésion sociale, à savoir la possibilité de vivre pleinement l'esprit d'appartenance au quartier, qui souffre de cette impression d'instabilité vécue par les résidents.

Laissons tomber les masques et appelons cette « revitalisation » par son nom réel : la gentrification. Ou mieux, le remplacement de la population d'un quartier populaire par une plus nantie. De l'embourgeoisement.

Étonnement, si au Plateau Mont-Royal ou dans Rosemont, le phénomène fut relativement lent, plus pernicieux et ses instigateurs moins aisément identifiables, c'est tout autre dans Hochelaga. Un véritable branle-bas de combat semble occuper les autorités économiques et politiques locales. Publicités, appel aux investisseurs, incitatifs économiques, des élus collaborant à l'appareil, etc.

Sur la réalité d'Hochelaga, une projection nommée HoMa s'appose donc peu à peu. Une vision du quartier basée sur un développement économique et l'accroissement de la richesse relative, et non collective.

Le changement de nom en soi est un indice, une preuve d'intention. Une représentation que l'on substitue aux réalités fondatrices d'Hochelaga. Du quartier populaire, on glisse vers une forme encore inachevée.

En cela, HoMa, en s'imposant comme symbole aseptisé, cherche à influencer la perception collective et citoyenne du quartier. Altérant par le fait même les réactions de la population aux changements en cours.

Une revitalisation en surface de l'image du quartier qui, d'ouvrier, est devenu celui des prostitués, des chômeurs, des clochards et des voyous dans l'imaginaire collectif de Montréal.

Un quartier que l'on doit stériliser coûte que coûte. Quitte à le sécuriser à coups de matraque de ses propres habitants. Quitte à provoquer l'exclusion économique, voire l'expulsion physique de ses résidents les plus pauvres, ceux qui jurent dans ce décor appelé HoMa.

Crédit photo : Impression d'écran du vidéo d'Adrienne Surprenant