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Au-delà des seins nus

Dimanche 3 novembre 2013, par Florence Bouchard-Lepage

Le groupe féministe Femen a fait couler beaucoup d'encre dans les dernières semaines. Le 3 octobre dernier, la division québécoise du groupe a bouleversé l'Assemblée nationale à Québec, lorsque trois de ses membres ont enlevé leur chandail en criant « crucifix décâlisse » pour dénoncer la présence de la religion dans les institutions publiques. Au-delà des critiques sur leur prise de position antireligieuse et de la remise en question de leur utilisation de la nudité à des fins contestataires, le Journal des Alternatives s'est intéressé aux autres actions de Femen, qui s'en prend également aux dictatures et à l'exploitation sexuelle. Entrevue avec la fondatrice et porte-parole de la branche québécoise de ce groupe controversé, Xenia Chernyshova.

Historiquement, plusieurs femmes ont montré leurs seins en signe de protestation. Pourquoi est-ce que la nudité féminine semble choquer davantage aujourd'hui ?

C'est drôle, parce qu'en Afrique, les femmes ont toujours manifesté les seins nus. Et il y a beaucoup de pays où les seins, ça n'est pas tellement érotique, c'est maternel. Oui, on s'en sert quand on fait l'amour aussi parce que c'est une zone sensible. Comme tu peux embrasser à l'intérieur du coude et faire réagir.

Selon nous, la bouche est beaucoup plus sexuelle, parce que n'importe qui peut imaginer qu'est-ce qu'on peut faire avec la bouche. Alors voulez-vous qu'on la cache ? C'est ridicule à quel point on érotise une partie du corps plutôt qu'une autre. Ça ne veut pas dire que nous faisons abstraction du potentiel sexuel des seins. Nous disons juste que c'est l'homme, ou plutôt le patriarcat, qui a inventé l'érotisation pour s'en servir à son propre escient.

Vous faites partie d'un des groupes féministes les plus connus à travers le monde et vous utilisez la nudité. Est-ce qu'il n'y a pas là une contradiction qui pourrait vous nuire ?

Non, je ne pense pas. Ce que nous faisons, en lien avec la nudité et la sexualité, c'est propager la vision d'une nouvelle sexualité féminine, qui va à l'encontre de l'érotisme patriarcal et de la pornographie. Le fait de voir le même corps, mais dans une autre position, qui n'est pas lascive ou aguichante, c'est déshabituer l'œil humain.
Femen se demande aussi pourquoi l'exposition du torse d'un homme est acceptée et celle du torse d'une femme, non. Sur Facebook, le contenu de notre page a été supprimé.

On vous censure sur Facebook ?

Il y a une grosse guerre contre Femen. Au début, Facebook prétendait que nous faisions de la pornographie. C'est ridicule, parce qu'il y a plein d'autres photos qu'on peut voir sur Facebook où figure une sexualité malsaine. Par exemple, quand on voit une femme en bikini, les seins refaits et avec de la crème fouettée d'une drôle d'apparence sur le corps, on sait à quoi ça fait référence. Et personne ne le dénonce.

Nous avons respecté la politique de censure de Facebook en nous cachant les mamelons, parce qu'il suffisait de faire. Mais même en faisant cela, Facebook nous a censurées. À partir de quel moment la nudité est-elle tabou ? Quelle est la différence entre un mamelon d'homme et un mamelon de femme ?

Vos actions sont très médiatisées. Est-ce que c'est ce que vous recherchez ?

On ne sait jamais ce que ça va donner. On a fait plusieurs manifs qui n'ont pas été aussi médiatisées, comme au consulat russe ou comme à Toronto contre les viols au Congo. Souvent, quand je parle à des Femen ailleurs dans le monde, elles disent : « ça ne sert à rien que tu fasses une manif s'il n'y a pas de photographe ». C'est préférable d'avoir 5 photographes plutôt que 500 personnes. Comme ça il y a une portée, ça amène les gens à réfléchir.

Je suis très contente de ce que j'ai vu et lu ici au Québec dans les médias. Oui, il y a eu des critiques, mais aussi beaucoup de support. Ce qui me fait plaisir, c'est que je vois qu'il y a beaucoup de gens qui comprennent ce que nous faisons, notre utilisation de l'art et de la provocation. Parce que je le répète : on assume tout ce qu'on fait, et tout est fait pour une raison.

Quelques jours après votre action à l'Assemblée nationale, Pauline Marois a déclaré que le crucifix sera peut-être retiré. Pensez-vous y être pour quelque chose ?

Je ne sais pas. Je ne pensais pas que ça allait être aussi rapide, j'étais certaine que ça allait traîner jusqu'en décembre. On n'a pas besoin de dire que c'est grâce à nous. Mais on a « shaké », et notre but c'est de « shaker ».

Qu'est-ce qui attend Femen Québec dans le futur ?

Mon projet pour Femen, c'est d'écrire. On commence à mettre sur papier toute l'intellectualisation de notre démarche, autant les pours que les contres. On écrit toutes nos stratégies et des réflexions sur ce qui fonctionne ou pas, et ce qui nous aide ou nous nuit.

Il y a aussi les Mini Miss qui s'en viennent. On ne veut pas faire une manifestation seins nus cette fois-ci. Je ne peux pas dire ce qu'on va faire, parce qu'on y réfléchit encore. On fait beaucoup de recherches pour apprendre qui organise ces concours, dans quel but et pourquoi les parents y inscrivent leurs enfants.

Vous utilisez donc d'autres formes de protestation que les seins nus ?

Quand les Femen ont parti le mouvement en Ukraine, elles faisaient des performances, mais elles n'avaient pas les seins nus. Par exemple, pour contester le fait que des professeurs demandaient à leurs étudiantes des fellations contre leurs diplômes, les filles ont fait une performance théâtrale dans la rue. Il y a eu d'autres actions comme ça, avant d'arriver à la version la plus simple qui est le geste d'enlever son chandail. Ce volet-là s'appelle « art-extrémisme ». C'est ce qu'on va essayer de plus développer au Québec, parce que je ne crois pas que le « sextrémisme » - l'utilisation de la nudité pour militer - soit aussi percutante ici qu'ailleurs.