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Noam Chomsky et La Fabrication du consentement

Lundi 30 septembre 2013, par François Grégoire

Noam Chomsky sera à Montréal le 26 octobre prochain pour participer à un événement bénéfice qui se tiendra à l'Université de Montréal pour la revue Canadian Dimension. Reconnu comme étant l'un des intellectuels les plus importants de notre époque, Noam Chomsky est également un militant qui a constamment remis en question le discours dominant des élites politiques et économiques.

Son travail d'analyse a entre autres porté sur le fonctionnement des médias de masse. Les critiques qu'il a formulées à l'endroit de l'industrie des médias ont été présentées dans Manufacturing consent –The Political Economy of the Mass Media, un ouvrage rédigé en collaboration avec Edward Herman en 1988. Noam Chomsky a repris et développé ces critiques à maintes reprises dans des entrevues qu'il a accordées et dans de nombreux écrits.

Manufacturing consent

La Fabrication du consentement est un ouvrage qui amène le lecteur à réfléchir sur le véritable rôle des médias dans la société. L'ouvrage critique vivement les rapports que les entreprises médiatiques entretiennent avec les pouvoirs politiques et économiques. Dès la première phrase du livre, la table est mise : « Des années de recherches consacrées aux médias nous ont convaincu que les médias sont utilisés pour mobiliser un vaste soutient aux intérêts particuliers qui dominent les sphères de l'État et le secteur privé. »

Chomsky et Herman s'en prennent aux médias qui se prétendent indépendants et qui se décrivent comme étant « le quatrième pouvoir », c'est-à-dire une forme de contre-pouvoir pouvant faire contrepoids à l'État et ses trois principaux pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Ils blâment également ceux qui se présentent comme des « chiens de garde » de la démocratie en soutenant qu'ils favoriseraient les débats et qu'ils aideraient les citoyen.ne.s à faire des choix fondés sur une connaissance et une compréhension des différents enjeux politiques.

Les auteurs constatent plutôt qu'un système de propagande s'est très bien établi, système visant à assurer la cohésion sociale et à maintenir l'ordre établi. Selon eux, les médias filtrent les informations et livrent un produit conforme aux intérêts de la classe dominante. Les auteurs reconnaissent que les médias expriment parfois des critiques à l'égard du pouvoir politique et du pouvoir économique, mais ils insistent à de nombreuses reprises sur la nature limitée de ces critiques.

Les 5 filtres

La Fabrication du consentement énumère cinq filtres qui assurent le contrôle des médias de masse par la classe dominante. Le premier concerne la propriété de ces médias. Chomsky et Herman soutiennent que la concentration et la convergence permettent un contrôle constamment accru des grands conglomérats sur l'information. À côté de ces machines médiatiques, les petits médias ne font ne font tout simplement pas le poids.

La publicité constitue le second facteur qui permet de filtrer l'information, parce que l'achat de publicité par les entreprises constitue une forme de subvention aux médias. La dépendance croissante des médias aux revenus de publicité s'est accompagnée d'une décroissance de leur indépendance. La publicité contraint donc les médias à l'autocensure.

Le troisième filtre porte sur la nature des sources d'information. Les auteurs dénoncent la place considérable donnée aux sources « officielles », c'est-à-dire les représentants des pouvoirs politique et économique qui disposent d'importants services de relations publiques. Beaucoup de médias se montrent hélas très peu critiques face à leurs déclarations. De plus, on a également recours à ce que les auteurs appellent la « corporation des experts ». Certains d'entre eux sont qualifiés « d'experts à gage », soit parce qu'ils agissent comme consultants pour le gouvernement ou l'entreprise privée, soit parce que leurs recherches sont subventionnées par ces mêmes instances. En contrepartie, les représentants des travailleurs et des groupes sociaux sont nettement sous-représentés.

Le quatrième filtre est l'existence de contre-feux, aussi appelés « flac », qui permettent aux pouvoirs politique et économique de réagir rapidement contre les dérives potentielles des médias : les auteurs décrivent les différents types d'intervention alors utilisés pour rappeler les fautifs à l'ordre. Par exemple, les médias se montrant trop critiques à l'égard de l'armée américaine se font accuser de manquer de patriotisme et de ne pas supporter les troupes.

Le cinquième filtre est l'anticommunisme. Les auteurs expliquent qu'il ne s'agit pas seulement de lutter contre le communisme ; plutôt, « comme le concept est flou, on peut l'utiliser contre tout individu défendant des positions constituant une menace contre les intérêts des possédants ». L'argument de l'anticommunisme prend tout son sens lorsqu'on se rappelle que le livre fut publié en 1988, avant la fin de la Guerre froide, et que pour étayer leurs dires, les auteurs ont procédé à l'analyse de la couverture médiatique américaine de dossiers précis, notamment de la guerre du Vietnam.

Toujours d'actualité

Noam Chomsky est toujours très actif politiquement et il s'implique constamment dans l'actualisation de ses positions politiques. La traduction française de La Fabrication du consentement (2002) fait d'ailleurs une mise à jour de l'édition de 1988 : on peut entre autres y lire que la concentration des médias s'est accrue, et que les médias ont de plus tendance à se transformer en médias d'opinion. La fairness doctrine, voulant que les médias offrent plusieurs points de vue pour justement assurer la connaissance et la compréhension des différents enjeux, est de plus en plus bafouée.

L'ouvrage nous amène à réfléchir sur les médias de masse aux États-Unis, mais aussi sur ce qui se passe au Québec, où la situation n'est pas particulièrement plus reluisante. Chomsky nous a déjà montré la voie en faisant la promotion des médias indépendants et en dénonçant constamment le fait que les grands médias de masse ne présentent fondamentalement que le point de vue des élites. Les problèmes étant identifiés, il nous reste à trouver les moyens à prendre pour développer des outils efficaces permettant de diffuser librement et largement une information alternative.

Toutes les citations sont tirées de La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone, 2008. Première parution New York : Pantheon Books, 1988 (réédition 2002).

François Grégoire est politologue.

Crédit photo : flickr_jeanbaptisteparis