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Le mouvement Idle No More au Québec et les mythes nationalistes

Vendredi 1er février 2013, par Nora Loreto

J'ai récemment assisté à une présentation dans la ville de Québec sur le mouvement Idle No More. C'était la première fois que j'entendais parler de solidarité avec les autochtones dans un contexte québécois.

C'était sur plusieurs points similaires aux autres présentations auxquelles j'ai assisté. L'auditoire posait beaucoup de questions et les présentateurs faisaient de leur mieux pour expliquer la complexité et les difficultés des relations entre les peuples des Premières Nations et la Couronne.

Il y avait toutefois une intervention à laquelle je ne m'attendais pas, non pas parce que je doute de la présence des idées partagées, mais plutôt parce que je ne vois pas comment une personne ayant ces idées puisse s'intéresser à une présentation sur Idle No More. L'homme qui a pris la parole m'a rappelé que le Québec a vécu une relation différente avec les autochtones et en retire parfois une mentalité différente à leur égard.

Cet homme, plus âgé, insistait sur l'idée que l'histoire du colonialisme au Québec n'est pas la même que celle dans le reste du Canada. Si les politiques génocidaires du fédéral ont décimé les langues et cultures, les relations entre autochtones et Québécois dans cette province auraient été convenables, peut-être même mutuellement bénéfiques. Ainsi, les demandes du mouvement Idle No More sont plus l'affaire du Canada que celle du Québec.

En réponse à cette intervention, plusieurs personnes ont exprimé leur désaccord. Toutefois, je me suis demandé à quel point cette idée était répandue.
Mercredi, Lysiane Gagnon a écrit dans le Globe and Mail au sujet d'Idle No More quelque chose d'assez similaire à l'intervention dont j'ai été témoin une semaine avant. Gagnon soutient que le Québec a eu une relation plus « sereine » avec les peuples autochtones que les autres provinces. Elle réussit à inclure cette affirmation dans une phrase qui commence avec la qualification de la crise d'Oka comme étant « l'une des pires impasses de l'histoire canadienne récente entre des militants autochtones et les autorités ».

Son analyse se heurte à toutes les publications d'Idle No More Québec sur Facebook. Elle contredit tout ce dont j'ai été témoin aux danses rondes à la Place Laurier à Ste-Foy et au rassemblement du 11 janvier dernier où quelques centaines de personnes ont marché jusqu'à l'Assemblée nationale.

Les mots de Gagnon ne sont pas nécessairement représentatifs du reste de la population, certes. Une personne sur Facebook l'a comparé à la chroniqueuse du National Post Margaret Wente. Toutefois, Gagnon, à l'instar de Wente, doit être confrontée sur le contenu de ses chroniques.

Il est vrai que le Québec, de par les lieux des premiers contacts, a eu une plus longue relation avec les Premières Nations dans cette région de L'île de la Tortue que la Colombie-Britannique, par exemple. Il est aussi vrai que, comme pour les Premières Nations, la colonisation britannique de la Nouvelle-France a imposé des politiques d'assimilation sur les Québécois, qui ont su résister à la pression coloniale d'une manière telle que la province demeure francophone jusqu'à ce jour.

Il y a des similitudes entre l'expérience coloniale des Québécois et celle des peuples autochtones. Mais il est trompeur de suggérer que les relations entre les deux étaient harmonieuses ou, comme Gagnon l'affirme, que les autochtones du Québec étaient les cofondateurs de la province et non pas des victimes (tant de mots à forte connotation).

En fait, ça masque la vérité.

Le Québec n'est pas à l'abri des politiques génocidaires imposées aux peuples autochtones. Il y a eu des pensionnats ici. Faire semblant que les Premières Nations au Québec sont traitées différemment ignore complètement le fait que la Loi sur les indiens existe encore et dirige toujours la vie des Premières Nations vivant autant dans cette province que dans le reste du Canada.

Oui, le Québec et les peuples autochtones ont le gouvernement fédéral pour ennemi commun. Mais les Québécois, en tant que citoyens du Canada, ont aussi la responsabilité de demander au gouvernement fédéral de changer sa manière d'approcher les relations avec les Premières Nations. Le Québec et les peuples autochtones devraient se soutenir en tant qu'alliés, chacun utilisant les mécanismes de pouvoir qui lui sont accessibles. Des commentateurs québécois comme Gagnon ne devraient pas atténuer l'histoire de ce territoire et argumenter que la colonisation des autochtones s'est arrêtée au Nouveau-Brunswick pour reprendre en Ontario.
L'approche de Gagnon perpétue la colonisation des peuples autochtones, une approche dangereuse pour une province avec un fort mouvement indépendantiste. Bien que le modèle des colonisés-devenus-colonisateurs existe dans plusieurs pays à travers la planète, les Québécois doivent éviter de l'adopter à mesure que la province se développe. Les conversations sur l'indépendance, par exemple, ne devraient pas être articulée autour de la prémisse que les Jésuites ont apporté l'ordre et l'éducation à un territoire sauvage (une des commentaires entendus ici, par exemple) parce que les politiques qui découlent de cette croyance seront coloniales à l'endroit des autochtones.

Sa chronique est une tentative de réduire au silence l'impressionnant travail que les activistes font dans cette province. Des blocus, danses rondes et rassemblements se sont tenus ici de la même façon qu'ils se sont tenus dans d'autres provinces. Gagnon ferme les yeux sur ce fait et met plutôt en relief quelques voix autochtones dissidentes, incluant une lettre d‘opinion adressée aux éditeurs.
Le mouvement des droits civiques qui s'est cristallisé autour de la bannière Idle No More a créé un espace pour des commentateurs blancs à travers le pays, leur permettant de faire ressortir des mythes et des mensonges sur l'histoire canadienne. La chronique de Gagnon (écrite pour un public anglophone, lecteur habitué du Globe and Mail) est une tentative, tout comme le révisionnisme historique de Tom Flanagan, de discréditer un mouvement en affirmant que les problèmes qu'il soulève n'existent pas vraiment.

Heureusement, leurs versions de la vérité ne changent pas les faits : Idle No More permet aux Québécois (et Canadiens) d'être de meilleurs alliés des peuples autochtones, de construire les ponts nécessaires entre les nations et de se battre collectivement pour l'auto-détermination et l'indépendance.

Ça, c'est la force du mouvement, sans égard aux commentaires des éminents colons.

Billet traduit par Arij Riahi, initialement publié le 17 janvier 2013 sur noraloreto.ca