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Pouvoir et contre-pouvoir : la contestation politique est-elle nécessaire ?

Jeudi 1er novembre 2012, par Jacinthe Leblanc

Le 24 octobre dernier, Christian Nadeau, professeur de philosophie à l'Université de Montréal, a donné une conférence sur les concepts de contestation et de délibération dans le cadre des Ateliers de la démocratie, organisé par le Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal (CRÉUM). Intrigué, le Journal des alternatives a rencontré le philosophe pour en apprendre un peu plus sur la contestation politique.

L'idée qu'il existe des mouvements d'opposition, une sorte de contre-pouvoir, au sein d'une société visant à contrer l'ambition des plus puissants remonte à Machiavel. Pour ce penseur italien de la Renaissance, le conflit est partie prenante du dynamisme même des cités. Christian Nadeau utilise les arguments de Machiavel pour réfléchir sur la société contemporaine et faire des parallèles avec des conflits de tout genre, en passant par la grève étudiante de 2012, le Printemps arabe, les négociations syndicales, ou encore la question de l'avortement. Les rapports sociaux de surveillance et d'opposition viennent ainsi entraver la séparation entre le peuple et ceux et celles qui détiennent ou veulent le pouvoir. La résistance devient donc saine pour éviter la domination des uns sur les autres.

Du XVIe au XXIe siècle

Généralement, la contestation est comprise comme l'expression d'un désaccord. Mais dans un contexte politique, cela va bien « au-delà de l'échange d'opinions, précise le philosophe. Ce n'est pas simplement de dire “je ne suis pas d'accord avec vous”. » La contestation vient montrer que l'élément problématique relève d'un choix public et va plus loin que les préférences sociales de chacun-e. Autrement dit, la contestation survient souvent pour relever un enjeu social important quand la position adoptée par le pouvoir est irrecevable. Par exemple, chaque fois que l'État tente de criminaliser l'avortement, les mouvements féministes et sociaux se mettent aussitôt en branle pour l'en empêcher.

La délibération, quant à elle, se veut une discussion ou une confrontation des différents points de vue à propos d'un enjeu ou d'un problème. « Dans une délibération politique, il y a certainement des valeurs qui sont défendues et il peut arriver qu'il y ait des valeurs inconciliables », mentionne M. Nadeau. En découle alors un conflit, ce qui peut conduire à une forme de contestation contre ceux qui imposent leurs valeurs. La grève étudiante du printemps 2012 et la manifestation contre le Salon du Plan Nord en avril dernier en sont deux exemples significatifs.

Il importe aussi de souligner que la contestation et la délibération ne sont pas des concepts linéaires qui s'enfilent l'un après l'autre. Par moment, les discussions se font avant la contestation. Par exemple, il n'est pas rare qu'après l'échec de négociation sur les conditions de travail avec un employeur, les travailleurs choisissent de faire la grève. À d'autres moments, la contestation précède la délibération. Mais il arrive aussi que les deux se produisent en même temps. Dès lors, pour éviter que la contestation perde son sens, elle demande des intermédiaires, des porte-paroles. Christian Nadeau fait le parallèle avec la négociation syndicale, des instances au sein desquelles les représentant-e-s posent « des questions à la base pour être en mesure de vraiment traduire ce que celle-ci souhaite, ce sur quoi elle est prête à s'entendre. » Pendant la négociation, une place doit être accordée pour faire valoir les éléments de contestation, sinon, celle-ci ne cessera pas.

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Contestation et délibération : La preuve d'une démocratie vivante ?

« Lorsqu'on est dans une société non démocratique, un des premiers pas vers la démocratie est justement la contestation et la délibération », note M. Nadeau. Il cite en exemple le Printemps arabe et l'ébullition des mouvements sociaux. Ce cas est particulièrement intéressant parce que ce ne sont pas tous les pays qui ont réussi à passer de la contestation à la délibération à un nouveau régime politique. « On se retrouve avec des situations comme celle, par exemple, que vivent les Tunisiens ou les Égyptiens, où une partie de la population a l'impression d'avoir été dépossédée de la révolution », analyse le professeur. Certains pays au sein desquels la délibération n'a pas fonctionné se retrouvent maintenant dans des guerres civiles qui s'étendent.

Une des difficultés lorsqu'il y a un grand nombre de personnes qui contestent est justement de déterminer les revendications qui vont satisfaire l'ensemble des parties. Les raisons de contester ne sont « pas les mêmes pour tous, alors on se retrouve devant une espèce de clivage entre les groupes. La délibération permet de mieux voir les motivations de chacun à participer à la contestation, explique M. Nadeau. Et s'il n'y a pas de délibération, le risque est grand que tous ces gens qui ont participé à la contestation, et qui finalement avaient très peu à voir les uns avec les autres, demeurent chacun de leur côté. »

Pour une démocratie saine, il importe donc d'écouter tous les pans de la société, même ceux qui revendiquent et contestent le pouvoir établi. Et ce, même si la tentation est forte de minimiser la valeur de certains types de contestations parce qu'elles ne cadrent pas dans l'idée faite de la manifestation. Au Québec, cette conception tend à être représentée par des manifestations pacifiques, festives et ludiques. Mais le Printemps érable a rappelé que la contestation a différents visages, sans pour autant altéré la valeur de ses revendications.

À ce sujet, selon le philosophe, « il serait très dommage qu'il n'y ait pas davantage de discussions sur le rôle public de l'éducation supérieure. » Le temps est aux préparations du Sommet sur l'enseignement supérieur, promesse électorale du gouvernement péquiste maintenant au pouvoir. Un des buts du sommet, qui utilise déjà les médias sociaux comme plateforme d'échange en attendant la vraie structure, est d'arriver à un partage des différentes visions de l'éducation postsecondaire. Christian Nadeau espère que cette réflexion, qui se doit d'être publique et d'émaner de la contestation printanière, ne sera pas confinée à quelques instances. « Là, ça serait une très grave erreur. On ne ferait que remettre à plus tard un débat qui doit avoir lieu », conclut-il.

Crédit photo : Arthur Gauthier, photographe au Journal des alternatives