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L’agitation au Moyen-Orient mise en contexte

Lundi 1er octobre 2012, par Stephen Zunes

Pourquoi les commentateurs de droite sont si prompts à s'emparer des récentes manifestations arabes anti-états-uniennes pour affirmer que les États-Unis devraient s'opposer à l'expansion démocratique au Moyen-Orient ? La plupart de ces manifestations impliquent tout au plus quelques centaines de personnes et jamais plus de deux ou trois milles, à l'exception d'une marche pacifique organisée par le Hezbollah libanais. Il y a de quoi sourciller quand les commentateurs critiquent les Arabes pour leur « ingratitude » envers l'appui états-unien aux mouvements pro-démocratie. Ce pays s'est pourtant d'abord opposé aux mouvements populaires qui ont chassé des despotes financés par l'Occident en Tunisie, en Égypte et au Yémen et il demeure un appui majeur de plusieurs autres dictatures dans la région. […]

Les manifestations sont provoquées par un film islamophobe incroyablement offensant produit par des extrémistes chrétiens de Californie, mais il y a bien plus derrière ces manifestations que cet élément déclencheur.

Montée de la haine

Les droites chrétienne et islamique cherchent depuis des années à attiser l'extrémisme et la haine chez l'autre partie afin de valider leurs stéréotypes respectifs. Ainsi que l'a remarqué Hani Shukrallah dans le quotidien égyptien Al Ahram, « l'objectif direct de ce genre de tentatives n'est pas difficile à établir. Il s'agit de montrer les musulmans sous leur jour le plus irrationnel, violent, intolérant et barbare, qualificatifs omniprésents dans les discours racistes et islamophobes qu'on rencontre en Occident. Et il y a fort à parier qu'il y aura des musulmans qui se feront un plaisir de nous présenter exactement tels quels. »

Les attaques contre les bureaux consulaires états-uniens de Benghazi qui ont mené à la mort de l'ambassadeur et de trois autres personnes sont beaucoup plus significatives, et ceci même si elles semblent être l'œuvre de Ansar al-Sharia, une milice extrémiste islamiste qui a profité de l'agitation pour lancer leur attaque armée vengeant la mort d'un militant libyen d'Al-Qaïda tué par un drone au Pakistan. Ironiquement, il s'agit d'un des groupes avec lesquels les États-Unis se sont alliés au cours de l'insurrection anti-Kadhafi au printemps 2011.

De fait, ces événements tragiques devraient soulever des questions quant à savoir si l'appui à de tels groupes, même en opposition à une dictature brutale, est une bonne idée. En Égypte et au Yémen, c'est à des actions de masse non violentes et sans l'appui de Washington qu'on doit la chute des régimes. Les protestataires n'ont pu faire mieux que de s'emparer du terrain consulaire et d'y brûler le drapeau états-unien.

En Libye, c'est une révolution armée et à laquelle Washington a collaboré qui a mené à cette chute, deux bâtiments consulaires ont été détruits et quatre personnes tuées au cours d'un assaut avec des armes automatiques, des mortiers et des lance-roquettes. L'histoire nous apprend que les régimes autocratiques renversés par la guerre sont beaucoup plus à risque de retomber dans la violence et le chaos, voire dans une nouvelle dictature, que ceux qui s'achèvent par des moyens essentiellement non violents.

Dans un pays dont la population n'excède pas six millions de personnes, plus de 200 000 Libyens sont miliciens, armés et échappe au contrôle du gouvernement. Bien que les récentes élections remportées par des modérés ouverts à la démocratie semblent avoir été libres et équitables, la guerre et l'intervention qu'y fit l'OTAN auront des conséquences à long terme.

Signe de la faiblesse des islamistes d'extrême droite ?

À travers la région, partout où les insurrections prirent la forme de manifestations non violentes, les islamistes ont vu leur pouvoir s'affaiblir considérablement. Ces révoltes ont démontré qu'il n'était pas nécessaire d'endosser le terrorisme ou l'extrémisme pour renverser des régimes ayant l'appui des États-uniens. La nécessité de manipuler une réaction hystérique contre un film obscur, mais insultant démontre bien à quel point les islamistes d'extrême droite sont désespérés de prouver leur pertinence. Ces extrémistes ont été à même d'ameuter les foules dans les villes de plus d'une douzaine de pays musulmans sur la base d'affirmations mensongères selon lesquelles le film était une production hollywoodienne majeure qui, à l'instar des films en Égypte, avait forcément subi l'examen et l'approbation du gouvernement avant de devenir accessible au public. […]

Bref, le but des forces antidémocratiques aux États-Unis autant que dans les pays arabes est de jeter le discrédit sur les luttes pro-démocratie. D'un côté, les républicains et autres nationalistes appuient inconditionnellement les dictatures pro-occidentales, l'interventionnisme et l'occupation israélienne. De l'autre, les extrémistes islamistes cherchent à contrer leur marginalisation croissante. Heureusement, ces réactions xénophobes tiennent plus de la relique passéiste qu'elles ne sont représentatives de ce qui est à venir.

Il est important de ne pas répéter les erreurs récentes. Autant les républicains que les démocrates ont appuyé pendant des décennies l'occupation israélienne, les dictatures, l'invasion et l'occupation de l'Irak ainsi que les frappes militaires incessantes en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Faut-il donc s'étonner de la violence dans les manifestations ? De fait, les entrevues avec les protestataires du Yémen et d'ailleurs révèlent des problèmes qui vont bien au-delà du film en tant que tel.

Vendetta personnelle ?

Il faut aussi remarquer que le producteur du film problématique semble être un chrétien copte immigré aux États-Unis et qui doit vraisemblablement sa haine extrême des musulmans aux persécutions que ses coreligionnaires subissent en Égypte. Ces persécutions sont elles-mêmes une conséquence directe des efforts du régime Mubarak, avec l'appui des États-Unis, pour fomenter la haine et la division entre musulmans et chrétiens égyptiens. Malgré la discrimination et les persécutions gouvernementales visant les Coptes, dont le fameux attentat de 2010 contre une église copte d'Alexandrie par des agents du ministère de l'Intérieur qui a provoqué la mort de dizaines de personnes, les États-Unis ont financé et armé le régime Mubarak à coups de dizaines de milliards de dollars.

Il est donc d'autant plus tragique qu'une des victimes de cette nouvelle montée de violence soit l'ambassadeur Christopher Stevens, un des diplomates états-uniens les plus compétents et respectés. L'avalanche de condoléances et de regrets exprimés en Libye et ailleurs montre bien que la majorité des Arabes, malgré un ressentiment compréhensible envers la politique étrangère états-unienne, reconnaissent que des hommes bons peuvent représenter les intérêts de ce pays à l'étranger.

La meilleure chose qu'on puisse faire pour honorer la mémoire de Stevens et des autres victimes est donc de redoubler les efforts pour mettre fin à l'appui états-unien aux dictatures arabes et à l'occupation militaire israélienne. De fait, la meilleure défense contre l'extrémisme, c'est d'accepter les exigences de justice et de liberté.

Traduction par Jean-Sébastien Girard.

Article et photo tirés du site Foreign Policy in Focus.