Au lieu de souder les rangs des Libanais, la guerre de 33 jours déclenchée par Israël après la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah, le 12 juillet dernier, a creusé le fossé entre les différentes composantes politiques du pays. La coalition pro-occidentale du 14 mars qui est au pouvoir accuse le parti chiite d’avoir entraîné le Liban dans une guerre dévastatrice, une « véritable catastrophe ». De son côté, le Hezbollah soupçonne le gouvernement de connivence avec les Israéliens et les Américains. Il l’accuse aussi de retarder sciemment la reconstruction des régions dévastées afin de « punir la population pour son soutien à la Résistance ».
Le Hezbollah veut peser sur les décisions
Cette crise de confiance entre les deux parties a poussé le Hezbollah à réclamer la formation d’un cabinet d’union nationale pour remplacer l’équipe actuelle au sein de laquelle, pourtant, il dispose avec son allié, le mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry, de 5 ministres sur 24. « Nous ne voulons plus faire de la figuration, nous faisons partie du gouvernement mais nous ne pesons pas dans les décisions », a cependant expliqué Hassan Nasrallah, secrétaire général de la seule formation libanaise qui dispose encore d’une branche armée, lors d’une interview de trois heures diffusée, mardi soir, par la chaîne de télévision du parti, al-Manar.
Le Hezbollah veut faire entrer dans le gouvernement son principal allié, le Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun, qui dirige le plus important bloc parlementaire chrétien (21 député sur 128). Cet ancien opposant anti-syrien, exilé en France pendant 15 ans, s’est rapproché du Hezbollah avec qui il a conclu un document d’entente, en février dernier, après avoir été écarté du gouvernement par la coalition anti-syrienne du 14 mars, essentiellement composée d’anciens alliés et amis de Damas.
Vers la mi-septembre, le Hezbollah s’est résolument rangé aux côtés du CPL qui réclame la formation d’un gouvernement d’union nationale depuis des mois. Michel Aoun et Hassan Nasrallah ont menacé de recourir à des manifestations si le dialogue prévu dès lundi prochain sur la formation d’un tel gouvernement échouait. Ferme et déterminé, Hassan Nasrallah a insisté sur le caractère pacifique d’un éventuel recours à la rue pour obtenir gain de cause. « Nous avons le droit de manifester quand nous le souhaitons et où nous voulons », a-t-il dit, rappelant que c’est grâce aux manifestations « qui n’ont pas été réprimées » que la coalition au pouvoir a renversé, en février 2005, le gouvernement pro-syrien d’Omar Karamé.
Le chef du Hezbollah a donné une semaine à la coalition au pouvoir pour accepter l’élargissement de l’actuel gouvernement ou la formation d’un nouveau cabinet. « Nous obtiendrons un gouvernement d’union nationale par tous les moyens pacifiques et démocratiques », a-t-il souligné. « Ces manifestations ne seront pas seulement l’occasion de réclamer un cabinet d’union mais aussi des élections anticipées », a-t-il lancé.
Nasrallah dénonce une mise sous « tutelle israélo-américaine »
D’habitude courtois et diplomate, Hassan Nasrallah n’a jamais été aussi dur et direct dans son discours politique. Il a dit vouloir empêcher le pouvoir actuel de poursuivre son mode de gestion des affaires du pays qui risque, selon lui, de conduire à « une guerre civile ». Accusant le pouvoir de mettre le pays sous « tutelle israélo-américaine », le chef du Hezbollah a consacré une grande partie de son intervention à dénoncer l’action du gouvernement qui cherche, selon lui, à transformer la Force intérimaire des Nations unies (Finul) en force d’« occupation », sur le modèle de l’Irak ou de l’Afghanistan. « En un an et demi de gestion, ce gouvernement a lamentablement échoué, accuse-t-il. La corruption bat son plein, les réformes attendent toujours, la crise politique s’amplifie, et le quotidien des gens devient de plus en plus dur ».
Quant au fameux cabinet d’union nationale, la coalition du 14 mars l’estime destiné à torpiller la formation d’un tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Elle accuse les détracteurs du gouvernement de faire le jeu de Damas qu’elle soupçonne d’avoir organisé l’attentat contre Hariri. « Il n’est pas question de voir le retour de la Syrie au sein du gouvernement », à travers le Hezbollah et ses alliés, a déclaré mercredi le ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé, lui-même victime d’une tentative d’assassinat imputée à la Syrie, en octobre 2004.
Pour Walid Joumblatt, un cabinet d’union nationale renforcerait le Hezbollah et le courant du général Michel Aoun, et conduirait à la « paralysie de la vie politique ». Le chef druze, une des principales figures du 14 mars, s’est rendu à Washington pour des discussions sur la situation au Liban avec le vice-président Dick Cheney, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld. De son côté, le Premier ministre Fouad Siniora a vivement réagi aux propos de Hassan Nasrallah. « Ce sont des accusations injustes alors que le gouvernement a déployé d’intenses efforts diplomatiques et politiques pour mettre fin à l’agression [israélienne] et pour obtenir le retrait israélien du Liban ».
Un médiateur de l’Onu entre Israël et Hezbollah
Par ailleurs, Hassan Nasrallah a affirmé que des « négociations sérieuses » étaient en cours sur le sort des deux soldats israéliens capturés par ses combattants, le 12 juillet. Le chef du Hezbollah a révélé qu’un médiateur nommé par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avait rencontré, à plusieurs reprises, des responsables israéliens et des représentants de son parti.
« Nous avons atteint le stade de l’échange des idées, des propositions ou des conditions », indique Nasrallah, refusant de donner de plus amples détails, en poursuivant : « Pour garantir la réussite des pourparlers, il vaut mieux ne pas médiatiser l’affaire. Nous progressons. Combien de temps cela prendra-t-il ? Cela dépend de la nature des négociations ».