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PALESTINE

La « solution » de Pinochet

Mardi 29 mai 2007, par Tony KARON

Il y a quelque chose de trompeur et de paresseux dans les compte-rendus des médias qui prétendent décrire les combats inter-palestiniens à Gaza comme le résultat de frictions entre le Hamas et les forces du Fatah ou le personnel de sécurité « fidèle » au Président Mahmoud Abbas.

Cette description suggère d’une façon ou d’une autre que cette guerre civile catastrophique qui a tué plus de 25 Palestiniens depuis dimanche est une démonstration de force entre Abbas et la direction du Hamas - ce qui n’est tout simplement pas vrai même si cette démonstration répond parfaitement aux vœux de ceux qui dirigent la politique américaine au Moyen Orient.

Les hommes armés du Fatah qui sont à l’origine d’après ce que l’on dit, de la remise en cause de l’unité du gouvernement national et qui ont provoqué le dernier combat peuvent juger leur fidélité au Président Abbas, mais ce n’est pas de lui qu’ils reçoivent leurs ordres. Le chef à qui ils obéissent est Mohamed Dahlan, le seigneur de guerre de Gaza qui a longtemps été le favori sanctifié de Washington pour jouer le rôle d’un Pinochet palestinien. Alors qu’il est en principe le subalterne de Abbas et qu’il est censé être son conseiller de Sécurité Nationale, personne ne croit qu’il obéit à Abbas. En fait, on dit que contrarié par la décision du président palestinien d’adhérer à un gouvernement d’unité avec le Hamas, Washington a fait pression pour appointer Dahlan en tant que conseiller.

Si Dahlan devait prendre ses ordres de quelqu’un, ce n’est certainement pas de Abbas qu’il le ferait. Abbas a depuis longtemps reconnu la légitimité et la popularité démocratiques du Hamas, et admis le fait qu’aucun processus de paix n’est possible sans donner aux Islamistes la place qui leur revient dans les structures politiques palestiniennes.

Il a toujours favorisé la négociation et la coopération avec le Hamas au grand dépit de l’administration Bush mais également des seigneurs de guerre du Fatah dont la clientélisme a été menacé par la victoire du Hamas. Il a vu le bien fondé d’un gouvernement d’unité nationale proposé par les Saoudiens contrairement aux américains. En effet, comme le souligne l’indispensable rapport de Robert Malley et Hussein Agha, rien n’a autant nui à la position politique d’Abbas que les efforts malvenus de Washington pour grandir sa position dans l’espoir de miner le gouvernement élu de Hamas.

Il n’est pas inutile de souligner que seule une Administration inconsciente de son incapacité à plier à nouveau les réalités politiques arabes à ses propres fantasmes mais disons-le franchement, une Administration qui méprise la société et la démocratie arabe en mettant en avant des slogans vides de sens, est susceptible d’imaginer qu’à force d’affamer, de combattre et de manipuler les Palestiniens, elle pourrait les amener à choisir les vues de ses politiciens.

C’est exactement ce que les États-Unis ont essayé de faire depuis que Hamas a gagné la dernière élection palestinienne, imposant un blockus financier et économique à une population déjà affligée d’une part et déversant argent et armes sur les forces sous contrôle de Dahlan mais conditionnant son aide à Abbas en fonction de ce qu’il peut gagner auprès des électeurs palestiniens d’autre part. Et comme je le disais, leur mépris pour l’intelligence arabe ne connaît aucune limite.

Mais tandis que le malchanceux Abbas n’est plus qu’un passager rechignant sur la barque américaine - et, je crois toujours, regrettant son exil doré à Qatar, il n’ y a pas si longtemps- Mohamed Dahlan est l’homme providence pour les américains, le seigneur de guerre qui commande les troupes et qui a trempé dans les combats contre les hommes du Hamas depuis qu’ils ont eu la témérité de combattre son organisation devant chez lui.

Les ambitions de Dahlan coincident nettement avec les plans élaborés par le chef de la stratégie américaine au Moyen Orient, Elliot Abrams - le vétéran des guerres sales américaines de l’Administration Reagan -, plans qui consistent à entraîner et armer les loyalistes du Fatah pour les préparer à renverser le gouvernement du Hamas. Si Mahmoud Abbas est peu disposé à accepter la politique de confrontation avec le Hamas prônée par la Maison Blanche, Dahlan n’a pas de tels scrupules mais comme Abbas n’a pas d’assise politique propre, il dépend entièrement de Washington et de Dahlan.

Prenant conscience des implications désastreuses de la politique des États-Unis, les Saoudiens ont semblé avoir contré les plans d’Abrams en poussant Abbas à accepter le principe d’un gouvernement d’unité nationale. Et comme Mark Perry l’a bien détaillé au Conflit Forum dans une excellente analyse, Dahlan était tout à fait le grain de sable nécessaire aux Américains pour faire capoter le gouvernement palestinien d’unité nationale.

Bien que les tentatives de Dahlan de faire avorter l’accord avec le Hamas n’ont pas abouti à la Mecque, les États-Unis semblent l’avoir aidé à battre en retraite tout en lui assurant une place de conseiller à la Sécurité Nationale palestinienne, stratégie calculée pour provoquer le Hamas dont les chefs voient en lui à défaut un tortionnaire sinon un agent d’Israêl.

Dahlan semble avoir décidé d’agir quand il s’est agi de créer une seule force de sécurité en intégrant les forces palestiniennes de sécurité (actuellement dominées par le Fatah) avec les forces de police du Hamas sous la direction d’un ministre d’intérieur neutre politiquement. Dahlan a tout simplement refusé ce principe et il a ordonné à ses forces d’occuper la rue le week end dernier sans être autorisé par le gouvernement dont il est supposé faire partie.

La nouvelle provocation de Dahlan semble se conformer à un nouveau plan des Etats-Unis signalé par Mark Perry et Paul Woodward pour renverser d’urgence le gouvernement d’unité nationale palestinienne. Les deux chercheurs suggèrent que ce plan émane d’Abrams. Ce dernier disent-ils, travaille à contre courant de Condi Rice, qui cherche à calmer les pays arabes modérés en essayant de faire renaître une certaine forme du processus de paix.

Ils notent aussi, par exemple, que des sources américaines juives ont indiqué au Forward et à Haaretz que les républicains juifs ont reçu récemment et clairement l’assurance d’Abrams que les efforts de Rice n’étaient que de la poudre aux yeux pour faire croire aux alliés arabes que les États-Unis « faisaient quelque chose, » mais qu’en fait le Président Bush s’assure bien que rien ne sera fait en ce sens que rien ne sera exigé d’Israel pour faire des concessions.

Quelque que soient les illusions de l’Administration Bush, il est clair que Dahlan, comme Pinochet, un quart de siècle plus tôt ne prendra pas le risque de se confronter à un gouvernement élu sans avoir l’assurance de puissants soutiens à l’étranger. Si la bataille des rues se transforme en une confrontation au sein du gouvernement d’unité nationale, ce sera parce qu’il aura reçu un feu vert de quelque part et certainement pas de Mahmoud Abbas.

Mais la confrontation en cours peut répondre à sa propre dynamique et pourrait échapper aux différentes directions palestiniennes. Cela prouve une chose, c’est que la mauvaise attitude de l’Administration Bush à l’élection du Hamas en 2006, peut transformer Gaza en Mogadiscio. Et il est peu probable d’attendre autre chose de cette Administration quand elle continue à transformer Mogadiscio en Mogadiscio encore une fois.

KARON Tony
*21 mai 2007 - The Electronic Intifada - Traduit de l’anglais par D. Hachilif