Ce jour-là, le terminal d’Erez, permettant le passage d’Israël à la bande de Gaza, est désespérément vide. Une partie des centaines de Palestiniens, dont des femmes et des enfants mais aussi des blessés, qui s’étaient entassés dans le corridor menant devant les grilles du portail donnant accès aux postes de contrôle israéliens, pour échapper aux miliciens islamistes, ont été évacués vers l’Égypte. Faute de pouvoir aller en Cisjordanie, les moins chanceux ont choisi de retourner à Gaza. Pour la plupart jeunes, ils ont attendu la nuit pour y retourner, afin d’échapper à la traque des combattants du Hamas qui ont établi des points de contrôle non loin du terminal, côté palestinien. Seuls les blessés graves et des enfants malades ont été évacués vers les hôpitaux israéliens. Pendant ce temps, trois chasseurs F16 survolent la région. En fait, ils couvraient une incursion de l’armée israélienne dans la bande de Gaza contre les activistes du Hamas, qui a fait selon des sources hospitalières 12 morts, une incursion que Mahmoud Abbas a qualifiée depuis Ramallah d’« actes criminels ».
interruption de l’aide alimentaire
Le terminal de Karni, par lequel transite le transport des marchandises d’Israël vers Gaza, plus de 1 000 tonnes par jour, avant le « putsch » du Hamas, est fermé, « faute de personnel palestinien » de l’autre côté de la frontière, explique sans rire un officier israélien. En fait, il a été fermé en même temps qu’Erez par les autorités israéliennes après la « victoire » du Hamas. Ils transitent désormais, mais au compte-gouttes, par Kerem Shalom et Sufa, où des dizaines de camions attendent le feu vert des Israéliens après qu’ils se sont assurés qu’il s’agit bien de transport d’aide alimentaire. Et comme si ces tracasseries ne suffisaient pas, le Djihad islamique s’en mêle, provoquant à coups de roquettes l’interruption de l’acheminement par camions de l’aide alimentaire vers Gaza.
En dépit de l’appel de l’ONU à la réouverture du terminal de Karni, les autorités israéliennes maintiennent sa fermeture. Or la situation risque de s’aggraver. Les échanges entre Israël et Gaza sont réduits au minimum vital. En 2006, Gaza importait pour 600 millions de dollars de marchandises, dont de l’essence, d’Israël et exportait dans l’autre sens 140 millions de dollars de produits, essentiellement agricoles. Et, selon la chambre de commerce franco-israélienne, l’embargo imposé à Gaza s’est traduit par une perte sèche d’environ 5 millions de dollars pour les agriculteurs israéliens. À terme, la bande de Gaza va connaître une situation sociale désespérée. Au gel de l’aide internationale, à la fermeture de la zone industrielle mixte située près du terminal d’Erez (7 000 emplois perdus), consécutive au retrait israélien de Gaza, s’ajoute l’interdiction aux dizaines de milliers de Palestiniens de se rendre en Israël pour y travailler, dans un territoire où le chômage touchait plus de 50 % de la population et où le revenu par habitant a chuté dramatiquement.
Gaza, ceinte d’un mur de sécurité le séparant d’Israël, sous embargo et sous pression militaire israélienne, est désormais coupée du reste de la Palestine et du monde. Même le point de passage de Rafah vers l’Égypte est fermé :
Ziad Medoukh, enseignant à l’université Al-Aqsa de Gaza, témoigne :
« La situation est très difficile à Gaza. Tout s’est passé très vite. Une partie des forces fidèles à Mahmoud Abbas, les brigades d’Al-Aqsa, sont restées neutres au début. Les autres, qui n’avaient pas touché leurs salaires depuis 2006, étaient démotivés. La majorité d’entre eux a refusé de se battre. En revanche, les combattants du Hamas, qui n’ont pas de problème de salaires, étaient plus déterminés. C’est ainsi que s’explique la victoire d’une dizaine de milliers de combattants contre les 30 000 membres des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne », explique Ziad Medoukh, professeur de français à l’université d’Al-Aqsa de Gaza.
« Aujourd’hui, observe-t-il, les gens sont encore sous le choc. Ils sont déboussolés. Ils n’ont pas encore réalisé. Ils ne se sont pas réveillés. Ils subissent la situation, dit-il. Il règne un calme relatif, mais il n’y a plus d’activité. La vie est morte. Les gens hésitent à parler. Ceux du Fatah se cachent. On ne sait pas ce qui se passe. On n’a pas d’information. Sur les 12 chaînes de télé et de radio existantes, il n’y en a plus que trois : Iman, une station religieuse, Al-Aqsa, qui appartient au Hamas, et Al-Qods, propriété du Djihad islamique. Toutes les autres chaînes de radio et de télé ont cessé d’émettre ou ont été fermées. Il n’y a plus qu’un seul son de cloche. C’est cela la réalité à Gaza aujourd’hui. On vit un double enfermement. Israël, en plus d’avoir imposé l’embargo financier, a fermé tous les points de passage. Un exemple : je devais accompagner un groupe d’étudiants à Montpellier en France pour participer à une rencontre sur la situation en Palestine. Tout est tombé à l’eau. Les Israéliens refusent de nous laisser passer par le poste frontière de Rafah pour gagner l’Égypte, ensuite la France. Mes étudiants ont accusé le coup. Le Hamas de son côté a interdit toutes les activités culturelles et la tenue de réunions publiques. On ne débat plus comme avant. La liberté d’expression dont on jouissait est terminée. C’est fini ! » Malgré les erreurs commises par l’Autorité palestinienne, indique l’universitaire, il n’y a jamais eu d’entrave à la liberté d’expression. « Vous savez, les Palestiniens ont été habitués à vivre avec l’existence de plusieurs formations - le Fatah, le FPLP, le FDPLP, les islamistes, les communistes et les laïques. Je pense qu’ils ne vont pas accepter la domination d’un seul groupe politique même au nom de Dieu et de son prophète, et ce y compris par une partie de la base du Hamas. Il ne faut pas oublier que le Hamas c’est 30 % de la population de Gaza. »
Pour autant, Ziad Medoukh et ses collègues de l’université - près de 500 enseignants - n’ont pas abdiqué. Ils ont décidé de poursuivre leur travail, de ne pas abandonner les 13 000 étudiantes et étudiants de l’université de Gaza à leur sort. Elle fonctionne encore. « Au moment où je vous parle, nous faisons passer les examens de fin de semestre aux étudiants. Si les Palestiniens n’ont pas encore d’État, ne sont pas libres, ils tiennent plus que tout à l’éducation et à la formation. C’est leur capital. » Les Palestiniens détiennent le record du nombre d’universitaires diplômés du monde arabe. L’illettrisme et l’analphabétisme ont pratiquement disparu.
« À quoi bon incriminer les uns ou les autres puisque le mal est fait : des Palestiniens ont tué d’autres Palestiniens. Il faut rapidement trouver une solution, poursuit Ziad Medoukh, qui entend demeurer confiant. Les gens vont se réveiller et demander des comptes à tous pas seulement au Hamas. La société civile - elle existe à Gaza - va réagir une fois le choc passé. À cela s’ajoute la pression internationale. Tout cela va pousser le Hamas à trouver une issue, car cette situation est préjudiciable pour tous, y compris pour le Hamas. Cette situation, j’en suis convaincu, ne va pas durer. »
envoyé spécial de l’Humanité à Gaza