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Faire la révolution ou se marier, un demi-siècle de luttes LGBT+

Jeudi 4 juillet 2019, par Florian Bardou

À partir de la vague protestataire des années 60, les mouvements homos et trans ont tantôt opté pour la contestation, tantôt joué la carte réformiste.

Article d'abord publié sur le site de Libération

Des donuts, des tasses de café et de la vaisselle en carton lancés sur des policiers pour s'opposer à un contrôle d'identité inopiné et trois arrestations. Un soir de mai 1959, dix ans avant les émeutes de Christopher Street, des femmes trans, des drag-queens et des homos se rebellaient à Los Angeles, échaudés par une énième descente de police dans un lieu de rendez-vous gay, le Cooper's Donut. Cet acte de résistance contre le harcèlement du Los Angeles Police Department n'a pas connu la même postérité que Stonewall, pourtant il augurait la révolte homosexuelle à venir aux États-Unis - où la sodomie était partout illégale sauf dans l'Illinois. Philadelphie, New York, Chicago, San Francisco, Los Angeles : entre 1959 et 1969, dans une Amérique travaillée par les mouvements protestataires soixante-huitards, des manifestations contre la répression policière dans les bars gays agitent ponctuellement les grandes villes.

À New York, le bourgeon contestataire qui vient d'éclore à Stonewall entend secouer le militantisme homosexuel traditionnel (prônant la tolérance) incarné depuis 1950 par l'association Mattachine Society. Derrière la devise « Sortons des bars et descendons dans la rue », de jeunes gays et lesbiennes, réunis dès 1969 dans le très révolutionnaire Gay Liberation Front (GLF), ne veulent plus seulement être respectés pour intégrer la société mais renverser l'ordre hétérosexuel et patriarcal, le militarisme, le colonialisme et le capitalisme. « C'est à ce moment-là que naît le slogan "Gay is good" et que le terme gay, jusque-là stigmatisant, est revendiqué, explique le sociologue Guillaume Marche, de l'université Paris-Est-Créteil. Cette rupture lexicale s'accompagne de l'idée d'une fierté gay, d'un "gay power" et de l'invitation au coming out. »

L'idée d'une marche pour commémorer l'anniversaire de Stonewall, proposée par la militante féministe et bisexuelle Brenda Howard, aboutit le 28 juin 1970 à l'organisation des premières gay pride à New York, Los Angeles, San Francisco et Chicago. Aujourd'hui, ces manifestations festives réunissent chaque année jusqu'à plusieurs millions de personnes dans les rues de São Paulo, Madrid ou Cologne - quand elles ne sont pas interdites, à Istanbul ou Moscou.

« Succès »

À l'époque, rien ne prédisait leur succès (tardif), et encore moins leur dissémination au-delà des frontières nord-américaines. « Cette tendance à l'homogénéité des marches des fiertés s'est amplifiée progressivement à partir de la première worldpride, à Rome en 2000, explique le sociologue italien Massimo Prearo, de l'université de Vérone. C'est le moment où est consacré l'acronyme LGBT et où se construit un projet mémoriel autour de Stonewall. »

Dès 1970, la rhétorique protestataire soixante-huitarde essaime au Royaume-Uni, en Espagne, en Argentine ou en France, mais aussi en Italie avec le Fronte Unitario Omosessuale Rivoluzionario Italiano (Fuori). « Clairement, le GLF américain était une référence et un modèle de militantisme intransigeant et radical pour les mouvements homosexuels révolutionnaires en Europe », soutient Prearo. « C'est à partir de là aussi que commence à émerger le combat pour les droits en Italie. Une partie du Fuori adopte dès les années 70 une ligne réformiste en intégrant le Parti radical tandis qu'un militantisme dissident qui ne se reconnaît pas dans ce projet va, lui, donner naissance aux premiers centres culturels homosexuels à Rome ou à Bologne, organiser les premières journées de la fierté gay et lesbienne et construire un réseau communautaire associatif. »

Le combat pour la reconnaissance juridique de l'homosexualité est aussi ancien que le mouvement de libération gay, mais de part et d'autre de l'Atlantique, les mobilisations homosexuelles des années 70 payent cette fois très vite. « Un des premiers succès, c'est la dépathologisation de l'homosexualité par l'association des psychiatres américains, en 1973 », poursuit Guillaume Marche. « Le mouvement a également fait adopter des législations antidiscriminations, sachant qu'à ce jour il n'y a toujours pas de législation fédérale contre les discriminations en raison de l'orientation sexuelle et l'identité de genre aux États-Unis. »

En décembre 1977, le Québec devient par exemple la première administration nord-américaine à prohiber la discrimination en raison de l'orientation sexuelle dans l'accès au logement ou aux services publics - elle sera aussi la première à autoriser les unions civiles pour les homos en 2002. Mais il ne faut pas oublier que deux mois plus tôt [N.D.L.R. : le 21 octobre 1977], l'arrestation de 150 à 200 personnes après un raid policier dans deux bars gays de Montréal, le Truxx et le Mystique, avait mis 2 000 manifestants dans la rue et dopé les activistes.

« Carotte et bâton »

De plus en plus organisées, les associations de défense des LGBT+ revendiquent désormais des droits au-delà de la simple annulation des lois discriminatoires. C'est le cas en France, où elles obtiennent avec la gauche mitterrandienne l'abrogation de ce qu'il reste des délits d'homosexualité dans le code pénal ; puis se mobilisent dans la douleur pour le pacs en 1999, la pénalisation de l'homophobie puis le mariage pour tous en 2013 - droit désormais acquis dans 28 pays.

Au niveau international, c'est aussi au terme d'une longue campagne de l'International Lesbian and Gay Association (créée en 1978 et regroupant aujourd'hui 1 500 associations dans 152 pays) que l'OMS retire en 1990 l'homosexualité de la liste des maladies mentales. « La politique des droits va faire émerger un engagement professionnalisé : les associations demandent que des délégations soient reçues dans les ministères, ajoute Massimo Prearo. Le militantisme LGBT devient de plus en plus institutionnel et internationalisé. »

Au point d'abandonner toute velléité contestataire ? Zaps médiatiques, action directe non violente, outing : l'urgence, la colère et l'impatience générée par l'hécatombe du sida, puis la persistance des violences homophobes et transphobes aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en France, poussent de nouveaux activistes - séropos, queers, trans et travailleuses du sexe - à renouer avec l'esprit de résistance des origines. « J'ai toujours vu un lien séminal entre Act Up et Stonewall : le vocabulaire, le fait de montrer qu'on n'a pas peur de se faire tabasser en tant que séropo, l'affirmation dans l'espace public », souligne le journaliste et militant gay Didier Lestrade, cofondateur de l'association antisida. « Mais on a aussi joué de la carotte et du bâton avec les institutions : elles attendaient de nous de les bousculer et qu'on négocie avec elles. »

Mais encore faut-il que le contexte politique, culturel et religieux rende envisageable la contestation à visage découvert, pas comme dans les 70 pays où l'homosexualité reste condamnée par de lourdes peines de prison, voire la peine de mort. « La remise en cause des fondements culturels de notre société a désormais tendance à passer au second plan », conclut Guillaume Marche. Finalement, c'est le mouvement trans, avec la contestation de la binarité du féminin et du masculin, qui incarne la radicalité . Ou ceux qui se battent pour le séjour des étrangers LGBT dans les pays du Nord, pour l'asile politique ou pour le regroupement des couples et des familles. » Le nouvel horizon des luttes ?