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Un désir de changement qui profite à « AMLO », mais changer la façon de gouverner reste à faire

Lundi 6 août 2018, par Erik Argüello Mothelet

“Pobre México, tan lejos de dios y tan cerca de Estados Unidos”.
Porfirio Díaz, dictateur pendant plus de trente ans jusqu'à la révolution de 1910.

Quasiment sans surprise, Andrés Manuel López Obrador a gagné les dernières élections, loin devant le PRI et le PAN. En plus, il a obtenu une confortable majorité dans les deux chambres parlementaires et d'importantes provinces. Une telle victoire est le résultat d'un complexe contexte politique et entrainera de nouveaux défis, non seulement pour les nouveaux gouvernants, mais aussi pour le peuple mexicain. Nous allons proposer certaines pistes pour comprendre le résultat des élections et les possibles scénarios qui s'ouvrent dans ce pays.

Tous les sondages des mois préalables à l'élection du 1er juillet donnaient un avantage de vingt points et plus en faveur du candidat du Mouvement de régénération nationale (MORENA). Mais l'histoire récente des élections au Mexique n'excluait pas la possibilité d'une fraude électorale, tel qu'en 2006, lorsque López Obrador a été défait par Felipe Calderón par une faible différence. Finalement, après deux tentatives (celles de 2006 et 2012), le quasi-miracle d'une victoire d'un candidat n'appartenant pas au PRI ou au PAN est arrivé. Et cela, malgré une violente et persistante campagne de salissage politique qui mettait de l'avant le péril de la « gauche » au pouvoir. Comment expliquer l'écrasante victoire d'AMLO et de son parti ?

Les décennies perdues de la transition

Premièrement, il faut souligner que les trois derniers gouvernements ont eu des résultats désastreux pour le pays. En effet, le triomphe de Vicente Fox en 2000 mettait fin à une longue dictature présidentielle du PRI et ouvrait la voie à ce qu'on a appelé « la transition vers la démocratie ». Mais le changement de pouvoir a seulement démontré que le programme économique du PRI et celui du PAN étaient identiques. Or, les politiques néolibérales ont continué et le peuple est resté sur sa faim face à la nouvelle démocratie.

En 2006, Calderon est arrivé à la présidence lors d'une élection controversée. Il n'a pas seulement poursuivi les politiques économiques impopulaires visant à favoriser les investissements étrangers, il a aussi lancé la guerre contre le narco. Cette politique a fait tomber le pays dans une ambiance de guerre civile qui persiste encore aujourd'hui. Évidemment, Calderon devait réagir face au fait accompli que les cartels du narco avaient accumulé un pouvoir incontrôlable. Mais la militarisation du pays n'a fait qu'accroitre la répression et protéger (voir blinder) les routes de la drogue du narco. Puis, pendant le sexennat d'Enrique Peña Nieto à partir de 2012, la même politique de « guerre » a continué, renforçant les réformes structurales, soit la privatisation déguisée des ressources énergétiques pour les donner aux entreprises privées nationales et étrangères.

En somme, malgré les apparences de la transition démocratique, les trois derniers gouvernements ont été funestes pour le pays : zéro politiques sociales, une guerre avec plus de deux cent mille morts, des milliers de personnes disparues et de personnes déplacées, la consolidation du narco-pouvoir, l'octroi des ressources naturelles (mines, par exemple) et énergétiques au privé, la contre-réforme éducative, la destruction de la production agricole et l'élimination graduelle du système de santé et de retraites. Le Mexique a perdu toute sa souveraineté alimentaire, économique et politique, pour accroire sa dépendance envers des pays comme les États-Unis et le Canada.

La crise des partis politiques

Deuxièmement, dans une telle situation, le divorce des secteurs populaires d'avec les partis politiques traditionnels était inévitable. En effet, le PRI a connu le pire résultat de son histoire, n'obtenant que 16,4% des votes, et cela malgré qu'il ait tenté à travers la candidature de José Antonio Meade, un candidat non issu des rangs du parti, un peu de fraicheur. Le coup lui a fait perdre aussi la majorité dans les chambres législatives et les provinces où il gouvernait historiquement. Clairement, la mauvaise gestion de Peña Nieto est la cause de la plus grave crise historique du PRI. De l'autre côté, le PAN, parti de la droite, a essayé une alliance avec le centriste PRD (ou les débris qui restent de ce parti après la sortie des militants vers MORENA), ce qui lui a valu une perte de crédibilité aux yeux de son électorat. De plus, Ricardo Anaya, ancien président du parti, a profité de cet atout pour se positionner comme candidat à la présidentielle, chose inédite dans l'histoire paniste. En plus, il a éliminé l'opposition interne d'une façon qui a été perçue comme autoritaire. La crise interne éclatée, Margarita Savala (épouse de Felipe Calderon et candidate indépendante a posteriori) a délaissé les rangs du parti. Et un groupe du parti a porté plainte à l'encontre de Anaya, leur propre candidat, pour une affaire d'enrichissement illicite. Même si la crise du PAN l'a fait paraître comme un parti plein de vices autoritaires et de tricheries, sa débâcle électorale (22 % pour la coalition) s'explique par les sexennats catastrophiques de Fox et Calderon, ainsi que par l'alliance de facto avec le PRI.

De tous les partis, le PRD a été le plus touché. Historiquement, ce parti obtenait en moyenne 18 % des votes au niveau national. Après la rupture d'AMLO, la sortie massive de militant-e-s et son changement vers le centre-droit, le PRD est sur le point de disparaître. Même avec son alliance avec le PAN, perçue comme désespérée, le PRD n'a pas réussi à avoir le 3% qu'exige la loi électorale pour demeurer inscrit dans le registre comme parti national.

Il est donc évident que les masses ont abandonné les partis de base du régime de « la transition démocratique ». Ce faisant, il existe une claire remise en question du dit régime, de sa façon de gérer les crises (par exemple, lors du séisme de septembre 2017) et de sa façon d'appliquer le modèle d'accumulation postnéolibéral dans le pays et de répondre à la corruption, l'insécurité, la violence et les difficultés économiques de la majorité de la population.

La modération du discours

Troisièmement, AMLO n'est plus le candidat diabolisé comme antisystème et il est devenu un candidat apte pour l'establishment. C'est vrai que toute l'année précédant l'élection, il y a eu une grande campagne de discrédit envers AMLO, son parti et aussi envers les idées de la gauche en général. Par exemple, cette campagne faisait un parallèle entre le Venezuela et le Mexique, affirmant que la victoire d'AMLO allait jeter le pays dans la même situation que sous le chavisme. Mais finalement le discours d'AMLO a convaincu peu à peu les secteurs les plus récalcitrants, comme les entrepreneurs. En fait, son discours s'est modéré. Sachant qu'il avait un confortable avantage, AMLO a réfuté toute possibilité d'utiliser le pouvoir comme un moyen de vengeance personnelle. Il a assuré à plusieurs reprises qu'il n'allait pas intenté un procès criminel au Président sortant pour les possibles actes illicites qui se seraient déroulés durant son mandat. Cela lui a valu d'être accusé d'avoir négocié en secret avec les priistes. Comme il n'y a encore aucune preuve de cela, force est de constater que le discours d'AMLO est passé d'un antisystémisme plus au moins radical à une position modérée ouvertement réformiste, conciliatrice, et dans le cadre du régime politique actuel.

Le « ça suffit » populaire

Un dernier élément qui, à notre avis, a facilité la victoire d'AMLO est sans doute la répression et violence du régime. Le meilleur exemple est le cas des 43 étudiants disparus à Ayotzinapa. À différents niveaux (l'armée, la police fédérale, celle de la province de Guerrero et celle de la municipalité d'Iguala, tout comme le gouvernement fédéral), les autorités sont impliquées, soit pour être directement les auteurs des disparitions forcées, soit pour entraver le bon déroulement des enquêtes. Le pire est sans doute que tout laisse à croire que la police a remis les étudiants à un cartel local pour les exécuter et faire disparaitre leurs corps. Du moins, telle a été l'explication du gouvernement fédéral. Il reste à savoir si le cartel a joué le rôle de bourreau ou si plutôt les corps policiers ont travaillé sous les ordres du cartel. Il est probable que les faits ne seront jamais éclaircis, car les autorités ont tout fait pour cacher la vérité. Cependant, avec ce cas, nous pouvons constater la réalité frappante du pays, c'est-à-dire le pouvoir inouï des cartels de la drogue, la collaboration des forces de l'ordre avec le narco-pouvoir et la collusion des autorités. Une vague d'indignation a parcouru tout le pays et une grande partie de la population a questionné la crédibilité des autorités.

Déjà, dans certaines provinces comme Michoacán, Guerrero ou Oaxaca, des groupes d'autodéfense ou des polices communautaires sont apparus pour faire face à la violence des cartels. Les populations s'arment et se défendent elles-mêmes parce que la police et l'armée ne font rien pour assurer leur protection. Pire encore, quand la population dénonçait des membres de leur communauté et leurs relations avec les cartels, ni la police ni l'armée ne réagissaient. La conclusion saute aux yeux : les forces de l'ordre protégeaient les narcotrafiquants. Et le gouvernement fédéral, après quelques simulacres de négociation, a démantelé les groupes armés issus de la population, et aussi, réprimé certains de leurs dirigeants. Ces exemples ont considérablement discrédité les partis politiques, qui selon les régions, ont d'étroits liens avec le monde de la drogue.

Les défis d'AMLO ou « AMLO vs AMLO »

Sans aucune doute, le triomphe d'AMLO reflète un désir populaire de changement face à la terrible situation du pays. Il reste à savoir si ce que proposera AMLO correspondra avec ce désir populaire.

Avec sa majorité, AMLO pourrait mettre de l'avant un vrai changement de régime, non seulement en procédant à des changements constitutionnels importants, mais avec l'élaboration d'un nouveau texte constitutionnel. Osera-t-il aller plus loin que les intentions floues d'une « Constitution morale » évoquée durant la campagne ? Osera-t-il appeler à la formation d'une Assemblée constituante ? Ce serait là une belle opportunité pour récupérer la souveraineté (économique, politique, alimentaire) perdue durant les quarante années d'offensive néolibérale. La question à se poser maintenant est : AMLO va-t-il vouloir aller au-delà des règles imposées par les groupes de pouvoir, l'establishment et le contrôle que les États-Unis exercent sur le Mexique ? Également, il sera intéressant de voir si le désir populaire de changement pourrait se manifester dans la formation de nouvelles formes autonomes d'organisation et d'appropriation du devenir politique au lieu de s'en remettre totalement au bon vouloir du Président.

Une dernière question : comment régler le problème du narco-pouvoir ? AMLO a proposé une amnistie qui, bien entendu, signifie de ne pas punir les gens qui sont recrutés et contraints de travailler pour les cartels. C'est une façon d'interpeller les bases sociales du narco, soit de milliers de jeunes qui se sont fait arracher la possibilité de travailler ou d'étudier, avec l'opportunité de se forger un futur. D'accord, mais le problème de fond reste irrésolu. Et il ne faut pas nier non plus les relations de certains militants de MORENA avec le crime organisé. Dans tous les cas, il faudra suivre de près le développement de la situation.