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Le futur gouvernement de López Obrador : entre virage à droite en Amérique latine et la logique interne de violence

Lundi 6 août 2018, par David Hernandez

L'élection d'Andrés Manuel López Obrador au Mexique constitue un changement important dans un pays marqué par un lourd héritage institutionnel issu d'un siècle de dictature d'un parti unique et caractérisé par une importante violence sociale, particulièrement manifeste au cours de la dernière décennie. Cette élection s'inscrit également dans une période de transition politique, qui s'observe depuis les années 2010, caractérisée par une droitisation qui s'impose dans le sous-continent, après une décennie de gouvernements très marqués à gauche. Cet article mettra en contexte d'abord le succès électoral d'AMLO d'un point de vue local mexicain et, ensuite, d'une perspective régionale, pour décoder ce qui s'envisage et les principaux défis de son gouvernement.

Le contexte local, entre l'héritage du parti unique et le narco-pouvoir

La réalité institutionnelle du Mexique contemporain est en contraste avec la dynamique de violence qui s'est cristallisée dans tout le pays ces dernières années. Pour une première fois dans l'histoire récente du pays, un parti de gauche obtient une majorité au sein du gouvernement fédéral. Bien que les origines des institutions mexicaines et du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) soient historiquement ancrées dans les acquis de la Révolution mexicaine et le contenu social des réformes qu'elle a mises de l'avant [1], c'est ce même parti qui a conçu et exécuté, à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, la vague de réformes néolibérales qui a conduit à la signature de l'ALE avec les États-Unis et le Canada et la vague de privatisations dans tous les secteurs durant les années 1980 et 1990. Le corollaire de ces politiques a été une concentration excessive de la richesse [2], la délocalisation de l'activité industrielle par le développement des «maquiladoras» sur leur territoire, dont l'essor s'explique par le faible coût de la main-d'œuvre associé à l'emploi précaire et une spécialisation de l'économie dans le secteur de l'extraction des matières premières, particulièrement dépendant du pétrole. Il est donc à parier que l'influence d'un cadre institutionnel historiquement sous le contrôle exclusif d'une administration publique dominée par un parti unique [3] sera un lourd fardeau pour le nouveau gouvernement, qui devra réformer le cadre institutionnel, pour affirmer une plus grande ouverture politique du système politique, favorisant l'inclusion des minorités traditionnellement exclues de l'appareil de pouvoir politique, en particulier les minorités autochtones, et assurer une plus grande redistribution des revenus de l'État.

Au contexte de transformation sociale dû à l'application de politiques néolibérales au cours des dernières décennies s'est ajouté l'augmentation généralisée de la violence sociale associée aux conflits territoriaux entre les cartels de la drogue. Ces cartels, engagés dans une compétition de contrôle territorial, rivalisent entre eux pour asseoir leur emprise et assurer leur monopole sur différentes activités illicites (trafic de drogue, trafic d'êtres humains, extorsion, enlèvement). Dans la plupart des cas, les gouvernements locaux et les bases des partis du gouvernement central sont de mèche, voire établissent des alliances de facto avec les trafiquants de drogue qui exercent le monopole de la violence au niveau local. Somme toute, et comme c'est le cas dans d'autres pays latino-américains, la logique institutionnelle et politique du pays semble en dissonance par rapport à la réalité sociale de violence et d'absence d'État. D'une part, le pays réel, celui de la violence et du narco-pouvoir, et d'autre part, le pays institutionnel, celui des partis et des institutions juridico-politiques, semblent opérer selon des logiques diamétralement opposées. La logique institutionnelle qui prévaut dans les centres urbains contraste avec l'état de nature hobbesien des périphéries [4]. La question de la sécurité, la réduction de la violence meurtrière, le respect du droit à la vie et à l'intégrité physique pour les candidats aux élections et, finalement, la restitution du monopole de l'exercice de la violence légitime à l'État face au contrôle des narcotrafiquants est le défi stratégique le plus important auquel le gouvernement d'AMLO sera confronté au niveau local.

C'est précisément dans ce contexte de crise sociale et politique que les promesses de changement politique ont eu un écho. Face à l'affaiblissement des institutions et des partis, López Obrador a su catalyser l'immense ras-le-bol, modérer le discours de ses précédentes campagnes présidentielles pour pouvoir compter sur les appuis de groupes politiquement hétérogènes et se réconcilier avec les milieux d'affaires, et ainsi garantir son triomphe. L'orientation modérée et pragmatique de sa dernière campagne donnera certainement lieu, au moment de gouverner, à un difficile processus de conciliation auprès des élu-e-s de tendances diverses de la coalition MORENA. Nétant pas tout à fait une conjoncture ou un processus révolutionnaire, l'accession au pouvoir de López Obrador impliquera plus précisément la mise en œuvre de politiques réformistes de type social-démocrate et une réinstitutionnalisation du pays qui visera à reprendre le pouvoir des mains des narcos, en particulier dans les provinces du Nord.

Le contexte latino-américain, alors que la région vire à droite, le Mexique semble aller en sens contraire

Dans le contexte latino-américain, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de gauche, à la tête du pays ayant le PIB le plus élevé de la région et au troisième rang pour sa population, a signification importante et semble être une exception considérant la tendance politique régionale.

Les récentes élections en Amérique latine ont laissé place à des gouvernements très marqués à droite. À titre d'exemple, on n'a qu'à penser à la Colombie, où le retour au pouvoir du régime d'Uribe représente un triomphe de néopopopulisme de droite ; au Chili, où Piñera a été élu pour succéder au gouvernement réformiste de Bachelet ; à l'Équateur, où le gouvernement de Lenín Moreno s'éloigne de plus en plus du modèle établi par Correa qui, paradoxalement, l'a mené au pouvoir ; au Brésil, où la droite ultra-conservatrice cherche, par toutes les voies, autant légales qu'illégales, à empêcher le retour au pouvoir de Lula, après avoir orchestré un coup d'État institutionnel contre le Parti des Travailleurs (PT) ; et enfin à l'Argentine, où le gouvernement néolibéral de Macri entre en scène après une décennie de kirchnérisme.

Le spectre de l'échec économique et politique du modèle vénézuélien semble être devenu un cheval bataille médiatique. Derrière les rênes, les vieilles droites latino-américaines promptes à utiliser le castro-chavisme comme rhétorique de peur et propager leur message alarmiste au nord du Rio Grande sur tous les écrans de télévision et ondes radiophoniques. L'étiquette diabolise toute tentative de réforme ou de revendication sociale. Ce populisme de droite, celui qui appelle ses partisans à brûler les drapeaux du PT, pour réclamer le temps des dictatures, à rompre les accords de paix avec les guérillas communistes, est une évocation des fantômes du passé. À l'esprit, des réminiscences des années 1960 et 1970 lorsque dans toute la région la guerre contre le communisme a justifié la rupture de l'ordre constitutionnel, la disparition massive de militant-e-s et la répression militaire. Les messages alarmistes d'aujourd'hui demeurent sourds face aux grandes avancées sociales de la région et à la participation des gouvernements de gauche à ces changements.

Le réformisme chilien, à la suite de la transition, a mis en oeuvre à la fois pragmatisme politique et institutionnalisation des politiques sociales à long terme ; l'Équateur, pour sa part, pendant le mandat de Correa, a agencé une excellente gestion macroéconomique avec institutionnalisation et haut investissement social ; la Bolivie a connu une croissance constante et a investi dans les infrastructures, l'éducation et la santé depuis plus d'une décennie ; et finalement, le Brésil durant les années Lula et le gouvernement Rousseff a vu l'essor de la classe moyenne comme jamais auparavant dans son histoire. Au cours de la dernière décennie, nous avons vu comment les gouvernements progressistes de la région ont eu l'occasion politique de mettre en pratique leur façon de gouverner, de connaître des succès et des échecs, pour apprendre davantage et surtout pour faire accéder le plus grand nombre aux droits citoyens qui leur étaient jusqu'alors refusés. Un «bien vivre», l'inclusion des minorités politiques et ethniques, des programmes d'éducation et de santé universels, l'accès au crédit pour les plus pauvres, la reconnaissance du droit à l'environnement et du droit à l'eau ont permis d'importants changements en Amérique latine, ces dernières années. Comment López Obrador s'inscrit-il dans la perspective de la gauche latino-américaine? Quel sera le rôle que jouera son parti dans la consolidation de ces changements? Ce sont des interrogations qui méritent réflexion pour la région relativement à son arrivée au pouvoir.

Au niveau régional, le gouvernement de López Obrador constitue une nouvelle opportunité pour la reconstruction de la gauche dans la région dans un contexte marqué par la recrudescence du populisme de droite, en particulier celui au nord de la frontière avec lequel il devra conjuguer. Nous devrons certainement suivre de près ses décisions et, en particulier, le rôle qu'il jouera dans l'ensemble de la région. Les contradictions entre les factions au sein de sa coalition, sa dépendance au grand capital, le retour de l'État de droit dans les régions sous le contrôle des narcotrafiquants et la renégociation de l'ALENA avec les États-Unis et le Canada marqueront sans aucun doute son gouvernement et ses décisions politiques. Pour l'heure, tout ce qu'on peut faire, c'est de voir quelles seront les orientations du nouveau gouvernement.

1] La révolution mexicaine précède la révolution russe et sa contribution à la création des droits économiques, sociaux et culturels est très importante, que ce soit la réforme agraire, le droit au travail réglementé par l'État, l'avancement de droits tels que la santé et l'éducation, la nationalisation de la production pétrolière et énergétique, entre autres.

[2] Le personnage le plus représentatif de ce processus de concentration de la richesse est sans doute Carlos Slim, qui, favorisé par le processus de privatisation des communications, a construit un empire financier dans ce secteur, qui en quelques décennies a fait de lui l'un des hommes les plus riches de la planète.

[3] Le gouvernement à parti unique a cédé la place à un autre régime avec l'arrivée du Parti action nationale (PAN) au pouvoir entre 2000 et 2012. Toutefois, le PAN a poursuivi et accéléré le processus de privatisation et la mise en œuvre des politiques néolibérales.

[4] En ce sens, en Amérique latine, comme le dit Boaventura de Sousa (dans l'ouvrage El caleidoscopio de las justicias en Colombia), on retrouve généralement un centre institutionnalisé, où existe formellement et matériellement la primauté du droit, et des des périphéries territoriales où l'état de nature dans le sens hobbesien persiste. Cette coexistence de deux réalités au sein d'un même État implique une double lecture de la réalité : celle du pays national (celle des élites politiques et économiques imbriquées aux logiques globales) et celle du pays réel (celle des périphéries, de conflits territoriaux permanents entre acteurs hégémoniques et contre-hégémoniques, ou pour utiliser les catégories mise de l'avant par les «violentólogos» (on nomme ainsi en Colombie les spécialistes de l'étude de la violence), entre les États et les para-États).