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Afghanistan et Pakistan

Vanité des logiques impériales

Samedi 4 avril 2009, par Eric Margolis

L’accent mis sur la lutte contre les talibans, identifiés comme l’ennemi à abattre, méconnait une réalité fondamentale de cette région structurellement instable où les solidarités tribales prévalent sur les appartenances nationales héritées de puissances coloniales qui voulaient à dessein diviser pour régner. Dans ces équilibres fragiles, chaque acteur - Pakistan, Inde, Russie, etc.. pousse ses pions et tente de préserver ses intérêts stratégiques. Faute de comprendre cette réalité, et en particulier d’accepter de prendre en compte les intérêts du Pakistan, les USA s’enferrent dans une stratégie sans issue. Car les talibans, ce sont d’abord et avant tout des pachtounes, ethnie qui compte pour 15% de la population pakistanaise. Exiger du Pakistan qu’il mène une guerre totale contre les talibans c’est non seulement l’humilier en le traitant avec arrogance, mais surtout lui demander d’entrer en guerre contre une partie de son peuple, ce qu’il ne fera évidemment pas. De plus, Islamabad sait fort bien que cette nouvelle aventure néocoloniale, qui tente d’imposer par la force une volonté occidentale sur des peuples qui n’ont rien oublié prendra fin elle aussi un jour prochain. Il lui faudra alors tenter de retrouver un peu de stabilité après le chaos créé par l’occident (cf : l’Irak). Et les militants pachtounes, quel que soit le nom qui leur sera attribué à ce moment là, seront partie prenante. Analyse d’Eric Margolis, journaliste spécialiste des questions géopolitiques.

Le Président Barack Obama a désormais fait entièrement sienne la guerre en Afghanistan. Terminé, le faux-semblant en usage à Washington, prétendant que que cette guerre était menée par une « coalition » occidentale. Abandonné, lui aussi, ce titre de bande dessinée, la « guerre contre le terrorisme", désormais remplacé par un sobriquet digne de George Orwell : « Opérations Contingentes Outre Mer »

L’annonce par Obama la semaine dernière d’un renforcement de l’engagement américain en Afghanistan et au Pakistan - désormais officiellement désignés par le sigle « AfPak » à Washington - a été accompagnée par un bombardement médiatique préliminaire du Pakistan, blâmé pour ne pas être suffisamment actif dans la mise en oeuvre des visées stratégiques américaines.

La semaine dernière, le New York Times a fait paraître en une un article - publication clairement orchestrée par l’administration Obama - accusant le service de renseignement militaire Pakistanais, l’Inter-Service Intelligence (ISI), de venir secrètement en aide aux talibans et à leurs alliés en Afghanistan et au Pakistan .

En 2003, le quotidien avait gravement compromis sa réputation, autrefois excellente, en servant de principal relais pour les mensonges de la propagande de guerre de l’administration Bush sur l’Irak. The Times a lui aussi fait retentir les tambours de guerre, appelant à l’intensification des opérations militaires américaines visant le Pakistan.

En l’occurrence, ces dernières accusations en provenance de Washington contre l’agence de renseignement pakistanaise sonnent juste. Ayant couvert le sujet de l’ISI durant près de 25 ans, et été en contact avec plusieurs directeurs de l’agence, je serais très surpris si l’ISI n’était pas tranquillement en train de travailler avec des talibans afghans ainsi que d’autres mouvements de résistance.

Car c’est la protection des intérêts pakistanais, et non ceux des États-Unis, qui est la mission première de l’ISI.

Selon le général Pervez Musharraf, Washington avait menacé le Pakistan d’entrer en guerre contre lui après le 11 septembre s’il ne coopérait pas pleinement à l’invasion américaine de l’Afghanistan. Les bases militaires et les ports du pays ont été - et restent - indispensables pour la logistique de l’occupation américaine en Afghanistan.

Le Pakistan a été contraint sous la menace à accepter les demandes des États-Unis bien que la majorité de sa population avait soutenu les talibans en tant que combattants de la liberté, nationalistes et anti communistes, et s’opposait à l’invasion américaine. Les talibans, qui sont essentiellement issus des tribus pachtounes, ont été soutenus et armés par le Pakistan.

De nombreux généraux pakistanais et hauts officiers de l’ISI sont des pachtounes, qui représentent de 15 à 18% de la population du pays et forment le deuxième groupe ethnique après les pendjabis. L’ISI s’est souvent servi des taliban et des groupes de militants cachemiris, le Lashkar-i-Toiba et le Jaish-e-Mohammed.

Le Pakistan a été rendu furieux lorsque ses ennemis afghans traditionnels, l’Alliance du Nord des Tadjiks et des Ouzbeks, dominée par les communistes [1], ont été mis au pouvoir par les Américains. L’Alliance du Nord avait été fortement soutenue par l’Inde, l’Iran, la Russie et l’Asie centrale post-communiste.

Le Pakistan a toujours considéré l’Afghanistan comme son « arrière-pays stratégique » et sa zone d’influence naturelle. Le 30 millions de pachtounes vivent à cheval sur la frontière artificielle qui sépare le Pakistan et l’Afghanistan, connue sous le nom de la ligne Durand, qui fut tracée par l’empire britannique, en appliquant là son habituelle stratégie du « diviser pour régner. »

Le Pakistan appuie les pachtounes afghans, qui ont été exclus du pouvoir en Afghanistan avec l’occupation américaine. Mais le Pakistan craint également les tendances séparatistes au sein de ses propres pachtounes. Le spectre d’un état indépendant, un « Pachtounistan », réunissant les pachtounes d’Afghanistan et du Pakistan a été longtemps l’un des pires cauchemars d’Islamabad.

Les Pakistanais sont indignés par les raids aériens des États-Unis visant sur leur sol la rébellion de tribus pachtounes dans les zones tribales frontalières. La plupart sont également fermement opposés à la « location » accordée à Washington des 130.000 soldats pakistanais et de l’aviation du pays pour attaquer les pro-talibans dans les tribus pachtounes. Une majorité de la population estime que le gouvernement du président Asif Zardari, de plus en plus impopulaire et isolé, sert les intérêts des États-Unis plutôt que ceux du Pakistan.

Le Pakistan est en aujourd’hui en faillite et ne survit désormais que grâce aux subsides de l’Amérique.

Ses deux derniers gouvernements ont été obligés de faire appel à Washington bien que la plupart des Pakistanais soient opposés à cette politique.

Les États-Unis n’ont pas tenu compte de l’intensification des efforts déployés par l’Inde, l’Iran et la Russie afin d’étendre leur influence en Afghanistan. L’Inde, en particulier, fournit en armes et en approvisionnements les ennemis du Pakistan en Afghanistan.

Washington ne voit le Pakistan que comme un moyen pour faire avancer ses propres intérêts en Afghanistan, et non pas comme un ancien allié fidèle. C’est une obéissance, et non pas une coopération, qui est requise d’Islamabad.

Le Président Barack Obama a annoncé un renforcement de la présence militaire et civile en Afghanistan, et des milliards supplémentaires seront consacrés à poursuivre une guerre contre la résistance nationale, qui est largement le fait des pachtounes, en Afghanistan et au Pakistan.

Rien de tout cela ne bénéficiera au Pakistan. De fait, en s’impliquant encore plus en « Afpak », les Etats-Unis renforcent la menace d’une instabilité et d’une violence accrue, voire la rupture de facto d’un Pakistan fragile, comme cela a été le cas en Irak.

C’est la mission de l’ISI que de faire face à ces dangers, de rester en contact étroit avec les pachtounes des deux côtés de la frontière, et de lutter contre les machinations des autres puissances étrangères en Afghanistan et dans les zones tribales Pakistanaises.

Beaucoup de Pakistanais savent aussi qu’un jour les États-Unis et leurs alliés vont quitter l’Afghanistan, laissant un sanglant gâchis derrière eux. L’ISI devra alors ramasser les morceaux et faire face au chaos qui s’en suivra. Les intérêts stratégiques et politiques du Pakistan sont très différents de ceux de Washington. Mais ils sont bien peu à Washington, à sembler s’en soucier.

L’ISI ne joue pas un double jeu, comme l’en accuse Washington, mais il tente simplement de préserver les intérêts stratégiques et politiques du Pakistan dans la région. L’administration Obama commet une erreur historique en traitant le Pakistan avec une arrogance impériale et en ignorant les préoccupations et les désirs de son peuple. Il semble que nous n’ayons rien appris de la révolution iranienne.

[1] Margolis fait référence à la fraction Junbish-I Milli-yi Afghanistan de l’Alliance, rassemblant les Ouzbèques ex communistes et dirigée par Rachid Dostum qui a combattu au côté des soviétiques avant de changer de camp plusieurs fois, à l’image de nombreux chefs de guerre du pays. (ndlr)