Même après les Accords d’Oslo de 1993, Gaza est restée isolée d’Israël, et a été simplement utilisée comme une réservoir de travailleurs à bon marché ; pendant les années 1990, la « paix » a signifié pour Gaza sa transformation progressive en un ghetto. » L’universitaire Ilan Pappe replace les évènements actuels dans leur contexte historique, et rappelle que depuis la première Intifada, la bande de Gaza a peu à peu été transformée en prison isolée du monde, régulièrement visée par des raids de l’armée israélienne qui ont fait trois mille victimes dont plus de 600 enfants depuis l’année 2000.
En 2004, l’armée israélienne a commencé à construire une ville arabe factice dans le désert du Néguev. Elle a la taille d’une vraie ville, avec des rues (chacune portant un nom), des mosquées, des bâtiments publics et des voitures. Construite pour un coût de 45 millions de dollars, cette ville fantôme est devenue un Gaza factice durant l’hiver 2006, après que le Hezbollah ait combattu Israël au nord, pour que l’armée israélienne puissent se préparer à mener « une meilleure guerre » contre le Hamas au sud.
Quand le Chef d’Etat major israélien Dan Halutz a visité le site après la guerre du Liban, il a déclaré à la presse que les soldats « se préparaient au scénario qui se déroulera dans les quartiers densément peuplés de la Ville de Gaza ». Après une semaine de bombardement de Gaza, Ehud Barak a assisté a une répétition de la guerre terrestre. Les équipes étrangères de télévision l’ont filmé pendant qu’il observait l’armée de terre conquérir la ville factice, prendre d’assaut les maisons vides et tuant sans aucun doute les « terroristes » s’y cachant.
« le problème c’est Gaza, » déclarait au mois de juin 1967 Levy Eshkol, alors premier ministre d’Israël. « J’y ai été en 1956 et ai vu des serpents venimeux marcher dans les rues. Nous devrions refouler certains d’entre eux dans le Sinaï, et espérer que les autres immigreront. » Eshkol discutait du sort des territoires récemment occupés : lui et son cabinet voulaient la Bande de Gaza, mais pas les gens qui y habitent.
Les Israéliens se réfèrent souvent à Gaza comme « Me’arat Nachashim » une fosse de serpents. Avant la première Intifada, lorsque le territoire fournissait à Tel Aviv des salariés qui lavaient leurs plats et nettoyaient leurs rues, les Gazaouis ont été décrits plus humainement. La « lune de miel » s’est terminée pendant la première Intifada, après une série d’incidents dans lesquels quelques uns de ces employés ont poignardé leurs employeurs. La ferveur religieuse que l’on disait avoir inspiré ces attentats isolés a produit une vague de sentiment islamophobe en Israël, qui a mené au premier enfermement de Gaza et la construction d’une barrière électrifiée autour du territoire. Même après les Accords d’Oslo de 1993, Gaza est restée isolée d’Israël, et a été simplement utilisée comme réservoir de travailleurs à bon marché ; pendant les années 1990, la « paix » a signifié pour Gaza sa transformation progressive en un ghetto.
En 2000, Doron Almog, alors chef du Commandement militaire sud, a commencé à surveiller les frontières de Gaza : « Nous avons établi des points d’observation équipés avec la meilleure technologie et nos troupes ont été autorisées à faire feu sur quiconque atteignant la clôture, depuis une distance de six kilomètres, » se vantait-il, suggérant qu’une politique similaire devrait être adoptée pour la Cisjordanie. Durant ces deux dernières années, une centaine de Palestiniens ont été tués par les soldats simplement pour s’être trop approchés des clôtures. De 2000 jusqu’au déclenchement de la guerre actuelle, les forces israéliennes ont tué trois mille Palestiniens (dont 634 enfants) dans Gaza.
Entre 1967 et 2005, la terre et l’eau de Gaza ont été pillés par les colons juifs de Gush Katif au détriment de la population locale. Le prix à payer pou la paix et de la sécurité pour les Palestiniens vivant là était de se résoudre à l’emprisonnement et à la colonisation. Depuis 2000, les Gazaouis ont choisi au contraire de résister, en plus grand nombre et avec plus de force. Ce n’était pas le type de résistance que l’Occident approuve : elle était Islamique et armée. Elle s’est caractérisée par l’emploi de fusées Qassam rustiques, qui ont d’abord été lancées principalement en direction des colons de Katif. Pour l’armée israélienne la présence des colons rendait cependant difficile de réagir avec la brutalité qu’elle utilise contre les cibles purement palestiniennes. Par conséquent les colons ont été retirés, non pas en tant que partie d’un processus de paix unilatéral comme beaucoup l’ont affirmé a l’époque (au point de suggérer d’attribuer le prix Nobel de la paix à Ariel Sharon), mais plutôt pour faciliter toute action militaire ultérieure contre la Bande de Gaza et consolider le contrôle de la Cisjordanie.
Après le désengagement de Gaza, le Hamas a pris le dessus, tout d’abord par des élections démocratiques, puis ensuite lorsqu’a été mise en échec de façon préemptive une tentative de prise du pouvoir du Fatah soutenue par les Américains. Pendant ce temps, les gardes-frontière israéliens ont continué à tuer quiconque s’approchait de trop près, et un blocus économique a été imposé sur Gaza. Le Hamas a réagi en lançant des missiles vers Sderot, donnant a Israël un prétexte pour utiliser son armée de l’air, son artillerie et ses hélicoptères de combat. Israël a prétendu tirer sur « les aires de lancement de missiles », mais dans la pratique cela signifiait n’importe où et partout dans Gaza. Le nombre de blessés a été élevé : pour la seule année 2007 trois cent personnes ont été tuées dans Gaza, dont des dizaines d’enfants.
Israël justifie son action à Gaza comme faisant partie du combat contre le terrorisme, bien qu’il ait lui-même violé tous les lois internationales de la guerre. Les Palestiniens, semble-t-il, ne peuvent avoir leur place dans la Palestine historique à moins qu’ils n’acceptent de vivre privés des droits civiques et humains essentiels. Ils peuvent être soit des citoyens de seconde classe dans l’état d’Israël, soit des détenus dans les méga-prisons de Cisjordanie et de la bande de Gaza. S’ils résistent ils sont susceptibles d’être emprisonnés sans procès, ou tués. Tel est le message d’Israël.
La résistance en Palestine a toujours été basée dans les villages et les villes ; d’où aurait-elle pu venir d’autre ? C’est pourquoi les villes et les villages palestiniens, factices ou réels, ont été décrits depuis la révolte arabe de 1936 comme des « bases ennemies » dans les plans et les missions militaires. N’importe quelles représailles ou actions punitives ne peuvent que cibler des civils, parmi lesquels il peut y avoir une poignée de gens qui sont impliqués dans la résistance active contre Israël. Haifa a été traitée comme une base ennemie en 1948, comme l’a été Jénine en 2002 ; aujourd’hui Beit Hanoun, Rafah et Gaza sont considérés comme tels. Quand vous avez la puissance de feu, et aucune inhibition morale à massacrer des civils, vous obtenez la situation que nous observons aujourd’hui dans Gaza.
Mais ce n’est pas uniquement dans le discours des militaire que les Palestiniens sont déshumanisés. Un processus similaire est en cours dans la société civile juive en Israël, et il explique le soutien massif qui y existe en faveur du carnage de Gaza. Les Palestiniens ont été tellement déshumanisés par les juifs israéliens - que ce soit par les politiques, les soldats ou les citoyens ordinaires - que leur meurtre vient naturellement, tout comme le fait de les expulser en 1948, ou de les emprisonner dans les Territoires Occupés. La réponse occidentale actuelle indique que ses dirigeants politiques ne voient pas la connexion directe entre la déshumanisation sioniste des Palestiniens et les politiques barbares d’Israël dans Gaza. Il existe un grave danger que, à la conclusion de « l’Opération plomb durci », Gaza elle-même ne ressemble à la ville fantôme du Néguev.
Ilan Pappé enseigne à l’Université d’Exeter. Il est l’un des « nouveaux historiens » qui ont réexaminé de façon critique l’histoire d’Israël et du sionisme.