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PALESTINE

Une occasion exceptionnelle qui s’éteint

Jeudi 12 avril 2007, par Gideon Levy

Le moment de vérité est arrivé, et la chose doit être dite : Israël ne veut pas la paix. L’arsenal d’excuses est épuisé, et le chœur des refus israéliens sonne déjà creux. Jusqu’à récemment, il était encore possible d’accepter le refrain israélien selon lequel : « Il n’y a pas de partenaire » pour la paix, et que « ce n’est pas le bon moment » pour traiter avec nos ennemis. Aujourd’hui, la nouvelle réalité qui se présente à nos yeux ne laisse aucun doute, et le refrain éculé qu’ « Israël est favorable à la paix » a été brisé.

Il est difficile de déterminer exactement où se situe le point de rupture. S’est-il produit suite au rejet absolu opposé à l’initiative saoudienne ? Ou au refus de prendre acte de l’initiative syrienne ? Ou aux entretiens à l’occasion de la Pâque du Premier Ministre Ehud Olmert, ? Ou encore à la révulsion suscitée par les déclarations à Damas de Nancy Pelosi, présidente [démocrate] de la Chambre des représentants des Etats-Unis, lorsqu’elle a affirmé qu’Israël était prêt à renouveler des pourparlers avec la Syrie ?

Qui l’aurait cru ? Une responsable étatsunienne de haut rang annonce qu’Israël souhaite la reprise de pourparlers de paix , et, immédiatement, son président nie « avec sévérité » la véracité de ces déclarations. Est-ce qu’Israël entend seulement ces voix ? Sommes-nous en train de digérer la signification de ces voix en faveur de la paix ? Sept millions d’Israéliens apathiques prouvent que ce n’est pas le cas.

Des générations entières ont grandi, ici, nourries d’aveuglement et de doutes concernant la possibilité d’atteindre la paix avec nos voisins. A son époque, David Ben Gourion [chef du gouvernement de 1948 à 1953 et de 1955 à 1963] nous disait que, si nous avions seulement pu rencontrer les leaders arabes, il aurait pu nous apporter la paix.
Israël a toujours exigé, par principe, des négociations directes, et Israël se targue du fait que sa focalisation quotidienne sur la « paix » masque les imposantes ambitions de son Etat.

On nous a dit qu’il n’y avait pas de partenaire pour la paix, et que le but suprême des Arabes était de nous détruire. Nous avons brûlé des portraits « du tyran égyptien » dans nos feux de joie lors Lag ba Omer [1], et nous étions convaincus que c’étaient nos ennemis qui étaient responsables de l’absence de paix.

Après cela il y a eu l’occupation (1967), suivie de la terreur, Yasser Arafat, l’échec du deuxième sommet de Camp David [en 2000 (2)] et la montée en puissance du Hamas [3], et nous étions toujours persuadés que tout cela était de leur faute. Même dans nos rêves les plus fous nous n’aurions pas imaginé que le jour arriverait où tout le monde arabe nous tendrait la main en nous proposant la paix, et qu’Israël rejetterait ce geste. Et cela aurait paru encore plus délirant d’imaginer que ce refus israélien serait imputé à la volonté de ne pas enrager l’opinion publique domestique.

Le monde a été mis à l’envers et c’est Israël qui se tient en tête du « front du refus » [4]. La politique du refus de quelques-uns, une avant-garde de l’extrême, est devenue à présent la politique officielle de Jérusalem. Dans ses entretiens de la Pâque, Olmert nous a expliqué que : « Les Palestiniens sont à la croisée d’une décision historique », mais il y a longtemps qu’il n’est plus pris au sérieux. La décision historique nous appartient, et nous fuyons cette croisée des chemins et de ces initiatives de paix comme si c’était la mort elle-même.

La terreur, qui est invoquée comme l’ultime justification pour le refus israélien, aide seulement Olmert à continuer à réciter ad nauseam : « Si [les Palestiniens] ne changent pas, ne combattent pas le terrorisme et ne remplissent aucune de leurs obligations, ils ne se sortiront jamais de leur chaos sans fin. »

Comme si les Palestiniens n’avaient pas pris des mesures contre le terrorisme, comme si Israël avait le droit de déterminer quelles sont leurs obligations, comme si Israël n’était pas responsable du chaos sans fin dont souffrent les Palestiniens sous l’occupation.

Israël persiste à fixer des préconditions et croit avoir le droit exclusif de le faire. Mais de manière répétée Israël évite la précondition la plus fondamentale pour toute paix juste : la fin de l’occupation.
Parmi toutes les questions qui ont été posées à Olmert au cours de ses entretiens de la Pâque, personne ne s’est donné la peine de lui demander pourquoi il n’avait pas réagi avec enthousiasme aux récentes initiatives arabes, sans préalable. La réponse est : l’immobilier ! Celui des colonies.

Et il n’y a pas que Olmert qui traîne les pieds. Une des figures dirigeantes du parti travailliste disait la semaine passée : « Cela prendra entre cinq et dix ans pour récupérer du traumatisme. » La paix n’est plus qu’une blessure menaçante, alors que personne n’évoque les avantages sociaux massifs que la paix apporterait pour le développement, la sécurité, la liberté de mouvement dans la région et en établissant une société plus juste.

Comme si nous étions une petite Suisse, nous focalisons davantage ces temps sur le taux change du dollar et les allégations de malversation portés contre le Ministère des finances que sur les occasions exceptionnelles qui s’estompent sous nos yeux.

Ce n’est pas tous les jours ni même dans chaque génération, que nous nous trouvons devant une telle occasion. Même s’il n’est pas certain que les initiatives soient complètement solides et crédibles ou si elles sont fondées sur de la tromperie, personne, pour le moment, ne s’est levé pour relever le défi qu’elles présentent, ou même pour les reconnaître.
Lorsqu’Olmert sera un vieux grand-père, que racontera-t-il à ses petits-enfants ? Qu’il a tout fait pour la paix ? Qu’il n’y avait pas d’autre choix ? Et que répondront ses petits-enfants ? (traduction A l’Encontre)

* Gideon Levy, écrivain et journaliste qui contribue régulièrement au quotidien israélien Haaretz.

1. Lag ba’ Omer fait référence, selon le Talmud, à la mort, en peu de jours, de vingt-quatre mille étudiants de Rabbi Akiva, parce qu’ils ne se témoignaient pas mutuellement le respect approprié. Les Sages ont instauré la commémoration de cet épisode, car la cause de ces nombreuses morts leur était intelligible et non pas mystérieuse ; ils ont estimé primordial de souligner ce principe fondamental de la Torah, qui commande d’aimer son prochain comme soi-même. Historiquement cela était une période de semi-deuil. Mariages, musique, etc. étaient évités. Le 33 jour d’Omer est fêté la fin du deuil. Actuellement, en Israël, c’est un jour férié pour les écoles. Et des feux sont allumés partout, entre autres sur les campus ; de nombreux mariages sont célébrés [Réd. A l’encontre]

2. Voir à ce sujet, l’article d’Ammon Kapeliouk, dans Le Monde Diplomatique de février 2002. Il y passe en revue trois ouvrages. Yosi Beilin, Le Manuel d’une colombe blessée (2001, en hébreu), Shlomo Ben-Ami, Quel avenir pour Israël, PUF, Paris, 2001 et Gilad Sher. A portée de mains : les négociations de paix israélo-palestiniennes 1999-2001 (2001, en hébreu – Réd. A l’encontre)

3. Voir au sujet de Hamas, l’article qui lui est consacré dans Etudes Palestiniennes. Hiver 2007 par Khaled Hroub (pp. 6 à 24) – (Réd. A l’Encontre)

4. Formule utilisée pour faire analogie avec « le front du refus » - du moins appelé ainsi – de régimes arabes lors du rapprochement de l’Egypte avec Israël fin des années 1970 (Réd. A l’encontre)