|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Un ou deux États ?

PALESTINE

Un ou deux États ?

Lundi 15 octobre 2007, par Remi Kanazi

Un avenir partagé pour les Israéliens et les Palestiniens dans une société démocratique et tolérante, où deux peuples qui se sont battus pendant des décennies conviennent de règles auxquelles ils peuvent souscrire ?

Depuis des années, le conflit israélo-palestinien est embourbé dans une série de négociations de paix ratées, empêtrant les juifs israéliens et les Palestiniens dans une lutte en apparence sans issue. Même 59 ans après la création de l’Etat d’Israël, les juifs n’ont toujours pas obtenu la sécurité qu’ils recherchent ; pour leur part, les Palestiniens - ceux qui ont été spoliés en 1948 et 1967, et les 3,8 millions qui vivent sous occupation israélienne - n’ont pas obtenu de solution juste à un conflit qui a entaché leur histoire et modelé leur identité. La communauté internationale, y compris nombre d’Israéliens et de Palestiniens, continue à souscrire à la solution des deux Etats, seule manière selon eux de résoudre le conflit.

Le nouveau livre d’Ali Abunimah, One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse, dénonce l’impraticabilité de la partition et présente une perspective de rechange qui englobe les deux peuples sur la base de l’égalité des droits. Abunimah parle de la solution d’un seul Etat.

La solution des deux Etats dans l’impasse

One country commence par révéler les différentes strates de l’occupation israélienne et la sinistre réalité de la solution à deux Etats proposée. L’idée reçue aux plans international et palestinien est la solution des deux Etats : les Palestiniens occuperaient 22 pour cent de la Palestine historique, à savoir la Cisjordanie et la Bande de Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale. Les Palestiniens (qui sont dans leur droit en vertu de la résolution 194 des Nations unies) insistent pour retourner dans leur patrie ou pour être dûment dédommagés de leur expulsion. Pourtant, aucun Premier ministre israélien, aucune personnalité de premier plan n’ont jusqu’ici soutenu ce droit et aucun gouvernement israélien n’a proposé le retrait complet de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem-Est.

Abunimah révèle que pendant les entretiens de Camp David en 2000, l’offre la plus « généreuse » faite par Israël aux Palestiniens ne comprenait que 76,6 pour cent de la Cisjordanie (tandis qu’Israël aurait annexé effectivement Jérusalem-Est et les eaux territoriales de la Mer Morte) ; Israël exigeait pour sa part que « 80 pour cent au moins des colons restent sur place ». Abunimah poursuit : « Israël ... a insisté sur un contrôle permanent de l’espace aérien palestinien et sur une longue liste de lourdes dispositions de ‘sécurité’ ; ces dernières enlèveraient toute indépendance réelle à l’Etat palestinien et ouvriraient les portes toutes grandes aux manœuvres dilatoires et aux reculades comme cela s’est passé avec les Accords d’Oslo ».

Israël ne pouvait simplement pas se retirer de toute la Cisjordanie. Pour survivre, il lui fallait reculer ses frontières et augmenter le pourcentage de juifs dans la population. Une fois les colonies intégrées dans le schéma israélien, les différentes administrations états-uniennes l’ont accepté et déclaré - en privé et en public- qu’Israël avait le « droit » de garder des « parties » des colonies dans une solution finale à deux Etats. Le processus de règlement reléguait toutefois les Palestiniens dans des ghettos inaccessibles, dépeçant la terre palestinienne de telle façon qu’un Etat contigu devenait inconcevable. Israël ne s’est jamais écarté de son plan initial qui était d’annexer les colonies dans un Etat élargi. Abunimah affirme a juste titre : « Il n’est pas crédible qu’une société investisse des milliards dans des routes et des logements auxquels elle a vraiment l’intention de renoncer ».

Que ce soit celui de Camp David de 2000 ou une foule d’autres propositions, y compris l’initiative censément pacifiste de Genève (laquelle s’écartait à peine de la proposition de Camp David), aucun plan prévoyant deux Etats séparés n’a pu satisfaire tant les Israéliens que les Palestiniens.

On attend toujours une initiative de la part de la gauche ou de la droite israéliennes qui ne se contente pas de perpétuer les erreurs d’Oslo et les politiques égotistes du« processus de paix ». Abunimah prétend que les plans recommandés par des gens de gauche, tels que Yossi Beilin, « cherchent à faire accepter aux Palestiniens l’annexion israélienne des territoires et le refus israélien de laisser les réfugiés rentrer dans leur pays ». Abunimah ajoute : « les dirigeants de la grande gauche israélienne en sont venus à embrasser un Etat palestinien en théorie tout en le sapant dans la pratique ». L’appropriation de la terre palestinienne et l’expansion des colonies se sont accélérées sous les gouvernements de gauche, brisant le mythe selon lequel seules des administrations « pacifistes » pouvaient faire la paix avec les Palestiniens. Ce qu’il faut à ces derniers, c’est un partenaire viable, prêt à traiter avec leur gouvernement sur une base d’égalité et d’acceptation ; ce partenaire ne se contenterait pas de paroles, mais poserait des actes.

Une nouvelle conception a vu le jour sous le gouvernement d’Ariel Sharon. Le militaire à la poigne de fer, autrefois obsédé par l’annexion de ce qui restait de la Palestine occupée, s’est confronté à la réalité démographique israélienne : Israël ne pouvait pas contrôler indéfiniment les territoires occupés sans assumer finalement la responsabilité de ses habitants. Cette évolution a déclenché un mouvement vers l’unilatéralisme, transformant ironiquement Sharon (aux yeux de la communauté internationale) de foudre de guerre en « homme de paix ». Le « désengagement » unilatéral articulé dans le programme du nouveau parti Kadima de Sharon essayait simplement de garantir à Israël une majorité juive fût-ce au prix d’un réaménagement militariste et territorial. Tout en se « désengageant » de la Bande de Gaza et en déménageant 8500 colons (mais en gardant le plein contrôle des frontières, de l’espace aérien et des ports de Gaza), Sharon installait 14 000 colons supplémentaires en Cisjordanie la même année. La séparation a été jugée vitale pour des raisons démographiques, le but fondamental restant d’annexer autant de territoire et d’installer autant de colons que possible.

L’accaparation continue de terres, le prolongement du mur d’apartheid, et les efforts inlassables faits pour augmenter la population de colons ne font qu’aggraver le conflit ; la leçon qu’en retirent les Palestiniens est qu’un Israël unilatéraliste se désintéresse de la paix. Selon Abunimah, l’unilatéralisme « offre à Israël un Etat juif sioniste au prix d’une perpétuelle effusion de sang, du désespoir croissant des Palestiniens, qui, en dépit de tous les efforts déployés pour les ex murer, priveront les Israéliens de la normalité à laquelle ils aspirent. Ce n’est pas une solution, mais une dangereuse délusion. Abunimah relève : « Même si la plupart des politiciens israéliens ne préconisent pas ouvertement l’expulsion des Palestiniens, il est alarmant de les voir tolérer ceux qui le font ».

Les éléments extrémistes en Israël sont aussi confrontés à une certitude décourageante : l’arrivée de juifs dans l’Etat d’Israël n’augmente pas régulièrement ; il n’est pas possible de garantir démocratiquement une majorité juive étant donné que le taux des naissances palestinien en Israël dépasse de loin celui des juifs. Certains extrémistes ont réclamé l’expulsion pure et simple de la population palestinienne vivant en Israël vers les Etats arabes voisins ; ils vont un pas plus loin que ceux qui veulent garder les Arabes hors du pays et empêcher les Palestiniens de rentrer chez eux. D’autres ont demandé des lois sur la limitation sélective des naissances pour la population arabe ; un journal de langue russe, raconte Abunimah, « a publié un article proposant que les Arabes mâles soient menacés de castration et que les familles arabes « qui ont plus d’un enfant » soient « privées de prestations sociales, renvoyées de leur emploi et soient menacées d’exil ».

Les groupes réclamant l’expulsion des Palestiniens, tels que Yisrael Beytenu et l’Union nationale ne sont pas des factions marginales sans pouvoir. Le dirigeant de Yisrael Beytenu, Avigdor Lieberman, est maintenant Ministre des affaires stratégiques et Vice Premier Ministre tandis qu’Yisrael Beytenu fait partie du gouvernement de coalition dirigé par Kadima depuis octobre 2006. Les craintes devant de telles politiques extrémistes se sont avivées après la guerre de l’été contre le Liban qui a forcé des centaines de milliers de Libanais à fuir leurs maisons. Ces attitudes extrémistes renforcent l’échec du « camp de la paix » israélien et illustrent plus avant l’infaisabilité de la solution des deux Etats.

Abunimah critique globalement la solution des deux Etats en se fondant sur une argumentation que tout lecteur cherchant une nouvelle approche à la solution du conflit jugera essentielle. Abunimah propose :”La création d’un seul Etat pour les juifs israéliens et les Palestiniens pourrait en théorie résoudre les questions les plus inextricables : le sort des colonies israéliennes construites depuis 1967, les droits des réfugiés palestiniens et le statut de Jérusalem ». L’alternative est un conflit perpétuel, le manque de sécurité pour les juifs et les Palestiniens ainsi que des troubles régionaux et la poursuite de la politique étrangère partiale pratiquée par les Etats-Unis ; celle-ci ne profite à personne si ce n’est à quelques privilégiés en Israël, en Amérique et à une poignée de collaborateurs au sein de l’Autorité palestinienne.

Des destins entrelacés

Au fil du temps, la plupart des Israéliens et des Palestiniens se sont rendus compte qu’indépendamment du règlement du conflit, les juifs et les Palestiniens d’Israël continueront à vivre ensemble et les Palestiniens des territoires occupés resteront sur leur terre. Abunimah propose une solution qui répond aux besoins géographiques des deux peuples. Il affirme : « Le principal attrait d’un seul Etat démocratique est qu’il permet aux deux peuples de profiter du pays entier et d’y vivre tout en sauvegardant leurs communautés respectives, compte tenu de leurs besoins spécifiques. Cette formule offre la possibilité de déterritorialiser le conflit tout en neutralisant la démographie et l’ethnicité comme sources de pouvoir et de légitimité politique ».

Abunimah trace un plan de huit principes (basé sur la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’accord de Belfast) pour la solution d’un seul Etat. Les documents et les modèles réputés sur lesquels il se base, donnent à son raisonnement une crédibilité qui manque vraiment à la solution des deux Etats. Bien que l’appel à la solution des deux Etats ait été assorti de slogans et de promesses de paix, on ne s’est guère efforcé de préciser ce que la réalisation de la paix suppose.

Beaucoup de juifs israéliens prétendent que les Palestiniens ne veulent pas faire partie d’une société libre et juste avec les juifs d’Israël. Pourtant, tout comme dans la plupart des sociétés, les gens se retrouvent dans des domaines tels que l’économie et l’éducation, et se séparent dans les conflits et l’oppression.

Abunimah signale : « En Israël, bon nombre d’électeurs arabes ont traditionnellement soutenu le parti travailliste pour des raisons de politique économique et sociale en dépit de son idéologie sioniste qui les rebute. « La route vers la solution d’un seul Etat ne sera pas facile, mais c’est la seule réalisable qui garantisse la sécurité des deux peuples. Abunimah cite souvent le processus démocratique belge « une démocratie moderne pratiquant le suffrage universel... avec des garanties modestes » comme un modèle vers lequel Israéliens et Palestiniens pourraient se tourner. La Belgique poursuit son travail de réforme constitutionnelle qui, dit Abunimah, a fait baisser le séparatisme dans la société belge [concernant l’exemple belge, les avis sont partagés - N.dT].

Nombre de détracteurs d’Abunimah craignent que la formule d’un seul pays pourrait en fait réussir au détriment des idéaux de domination et d’exclusion politiques. La perspicacité d’Abunimah donne des raisons d’espérer. Son approche est profondément sincère ; elle mérite l’admiration et devrait être prise au sérieux. La raison principale pour laquelle la solution d’un seul pays proposée par Abunimah peut réussir tient à ce qu’elle fait avancer les deux peuples sur un pied d’égalité.

Dans un conflit comme celui-ci, l’intention vaut l’action : si deux personnes avancent sur le bon chemin et qu’elles agissent en bonne foi, la crainte de l’autre reculera lentement avec chaque pas positif. [One Country] n’est pas un piège ouvrant aux Palestiniens l’accès à l’ensemble de la Palestine historique. Abunimah s’emploie pendant tout le livre à aborder non seulement les problèmes palestiniens tels que leur droit au retour et leurs droits de propriété ; il discute aussi des droits de propriété des juifs qui ont perdu leur maison après 1948 dans le monde arabe.

En outre, Abunimah comprend l’importance du retour en Israël des juifs de la diaspora. Feu Edward Said partageait cette opinion : le peuple palestinien ne peut pas avancer en marginalisant la population juive ; le but est plutôt de raffermir les deux communautés qui entreprendraient le chemin ensemble.

Abunimah aborde des questions controversées telles que le système éducatif israélien, la disparité de financement entre juifs et Palestiniens pratiquée par la société israélienne et il présente « une suggestion pour un avenir partagé par les Israéliens et les Palestiniens dans une société démocratique et tolérante, où deux peuples qui se sont battus pendant des décennies conviennent de règles auxquelles ils peuvent souscrire ».

Néanmoins, il est difficile d’imaginer comment Israéliens et Palestiniens peuvent faire l’inimaginable et forger un avenir commun après tant d’années de conflit. Les uns et les autres ont beaucoup à apprendre du modèle sud africain et de la chute de l’apartheid. Abunimah rappelle que la paix et la réconciliation semblaient impossibles aux Afrikaners blancs et à la population noire autochtone. La domination blanche de l’Afrique du Sud avait duré 400 ans ; les deux ethnies racontaient leur histoire à leur façon. Une solution pacifique au conflit semblait inconcevable et pourtant c’est ce qui est arrivé.

Abunimah signale les similarités évidentes entre la narration sioniste de l’histoire et celle des Afrikaner blancs toutes deux « modelées par des souvenirs d’expulsions, de persécution, de rédemption et de résurrection et inspirées par la recherche obstinée de la survie nationale ». Les deux groupes ont établi leur revendication sur le mythe de populations autochtones non civilisées qui rejetaient par haine la domination des nouveaux venus. A en croire les sionistes et les Afrikaners, ils apportaient à leurs populations non civilisées respectives une meilleure vie et de nouveaux progrès technologiques. Ils prétendaient que la population autochtone aurait dû apprécier leur arrivée.

Il n’est pas surprenant que le gouvernement israélien ait été un partisan affirmé du gouvernement d’apartheid, même après le revirement de la communauté internationale et l’institution de sanctions. Abunimah : « Les arguments des sionistes et des pionniers afrikaners plaçaient Palestiniens et Africains devant un choix implacable : se soumettre ou disparaître ». La population afrikaner était aussi persuadée que si elle devait lâcher le contrôle et donner des droits à la barbare population africaine, celle-ci utiliserait ce nouveau pouvoir pour chercher à la détruire. Les sionistes suivent le même raisonnement : remettre le contrôle à la population palestinienne équivaudrait à faire rejeter les juifs à la mer. La chute de l’apartheid et le processus de réconciliation opéré en Afrique du Sud ont détruit le mythe selon lequel la population noire marginalisée et opprimée chercherait à se venger. Selon Abunimah, une fois que les blancs ont été forcés de surmonter leur peur de la suprématie et de la vengeance noires, il est devenu beaucoup plus facile de mettre en oeuvre une solution juste et d’engager la réconciliation.

Il explique que la réconciliation a été principalement le fait de Nelson Mandela : « Mandela encouragea les Sud Africains à embrasser tout Afrikaner qui abandonnerait l’apartheid, moyennant quoi les Afrikaners ont acquis leur légitimité aux yeux des autres Sud Africains, légitimité qu’ils avaient été incapables d’arracher pendant les siècles de leur domination. Cette manœuvre, incroyablement simple et puissante, a pourtant échappé jusqu’ici à la plupart des Israéliens et des Palestiniens ».

Abunimah dit que les Palestiniens doivent s’inspirer de l’ANC (Congrès national africain) de Mandela et de sa Charte de la liberté, qui inciterait les Palestiniens à tendre la main au peuple israélien. Malheureusement, ce sont habituellement les opprimés qui doivent faire preuve de leur désir de paix et d’espoir et qui doivent engager une campagne interne et globale pour faire lever les mesures injustes qui leur sont imposées. Les Palestiniens ne sont pas encore arrivés à ce modèle parce que, dit Abunimah, leurs blessures sont récentes, tandis que les Sud Africains noirs avaient subi la domination blanche depuis plus de 400 ans. Il dit que c’est la raison pour laquelle le principe de l’égalité calmera les peurs des deux peuples. « Dès qu’Israéliens et Palestiniens s’engageront à une égalité complète, rien ne justifiera des Etats séparés.