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NÉPAL

Un leader maoiste s’explique

Baburam Bhattarai, idéologue communiste népalais, veut aller "au-delà de Mao" et développer le capitalisme

Dimanche 13 avril 2008, par Frédéric Bobin

Baburam Bhattarai reçoit dans une villa de trois étages aux tuiles rouges, située dans un faubourg de Katmandou où de modestes maisons en dur s’étagent à flanc de ravine. A observer la galerie de portraits de saints rouges qui orne son salon, on se dit que cet homme-là, numéro deux du Parti communiste népalais d’obédience maoïste (PCN-M), doit être un sacré dogmatique. Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao : l’affichage des références est clair. Yeux mi-clos, fine moustache coiffant une lippe sévère, Baburam Bhattarai affecte la sécheresse des anciens guérilleros modelés par la vie dans le maquis.

Et pourtant, l’homme maîtrise avec brio les contorsions de la dialectique. Ce n’est probablement pas un hasard si cet ancien étudiant en architecture, titulaire d’un doctorat à l’université Jawaharlal Nehru (JNU) de New Delhi, grand amateur de jeu d’échecs, passe pour l’idéologue du maoïsme népalais. A 53 ans, il est devenu un personnage-clé, au côté du numéro un du parti, Pushpa Kamal Dahal, alias "Prachenda" (le Terrible), de la recomposition de la vie politique du Népal autour d’un calendrier républicain qu’ils ont su imposer aux partis traditionnels sous la menace des armes.

M. Bhattarai respire la confiance. Il est sûr de son affaire : abolir la monarchie et accéder au pouvoir. Il est même si confiant dans la bonne étoile - rouge - du PCN-M, qu’il peut s’offrir le luxe de polir le jargon révolutionnaire. Puisque le pouvoir, croit-il, est proche et qu’il va encore falloir quelques utiles marchepieds pour s’en saisir, il faut savoir tendre la main, se montrer accommodant. Ainsi, si "l’abolition de la monarchie" et "l’élimination du féodalisme" reviennent comme des leitmotivs dans son discours, il parle assez étrangement peu du "socialisme".

"POLITIQUE TRANSITOIRE"

Certes, l’objectif demeure à "long terme", mais, en attendant, la priorité sera d’initier une "politique transitoire" dominée par la "révolution capitaliste". Ironie suprême, les maoïstes ont donc vocation, si l’on comprend bien M. Bhattarai, à implanter le capitalisme au Népal ! "Nous ne nationaliserons pas la grosse industrie et nous respecterons la libre entreprise", annonce-t-il. L’offensive de charme à l’endroit des patrons a d’ailleurs commencé : les dirigeants du PCN-M viennent de rencontrer le bureau de la Fédération de l’industrie et du commerce. "Nous les avons rassurés, précise-t-il, et ils sont prêts à travailler avec nous." Une telle ouverture n’est-elle pas en flagrante contradiction avec le marxisme-léninisme orthodoxe professé par le PCN-M ? "Absolument pas", proteste M. Bhattarai. "Marx, Engels et Lénine ont déjà écrit sur le sujet, explique-t-il. Entre le féodalisme et le socialisme, il y a le capitalisme. Or il n’y a pas encore de capitalisme au Népal. Il faut donc le développer."

D’ailleurs, l’idéologue du PCN-M se méfie désormais des modèles. S’il vénère toujours Mao - un buste en porcelaine du Grand Timonier trône sur une table du salon -, il dit vouloir "aller au-delà de Mao". "Nous devons élaborer notre propre modèle, souligne-t-il. Le marxisme n’est pas une religion, c’est une science. Nous voulons développer le marxisme." Et ce "marxisme à développer" s’accommodera-t-il de la démocratie ?

M. Bhattarai dit accepter le "système multipartite compétitif". Bien sûr, les maoïstes, critiques d’un système parlementaire de type Westminster, "source d’instabilité", veulent réformer les institutions pour instaurer un "régime présidentiel à la française". Mais M. Bhattarai assure n’avoir rien contre la démocratie. Intoxication ? Conversion sincère ? L’histoire jugera assez rapidement.

Frédéric Bobin
Article paru dans l’édition du 11.04.08.