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Manifestations, plaintes, procès, accusations et menaces, c’est ainsi que la campagne s’est annoncée cette semaine avec l’ouverture des candidatures aux postes de membres des conseils des syndicats. Les plaintes portent essentiellement sur les procédures de candidature, jugées trop compliquées. En effet, un candidat, quel que soit son lieu de résidence, Le Caire, Alexandrie ou Assouan, est obligé de se rendre au Caire pour retirer son dossier de candidature auprès de l’Union générale des syndicats ouvriers, pour ensuite le présenter, dans les 24 heures, au bureau local de son syndicat, dans le gouvernorat où il vit. Ensuite, les candidats ne disposent que d’une semaine pour faire campagne.
Samedi dernier, les Frères musulmans et les militants de la gauche ont organisé de vastes manifestations, place Tahrir, au centre du Caire, pour dénoncer « un complot ourdi par l’Etat » qui veut leur interdire la participation à ces élections pour pouvoir « s’emparer de l’union ».
Saber Aboul-Fotouh, député islamiste et responsable du dossier des élections ouvrières au sein de la Confrérie, affirme s’être personnellement heurté à maintes difficultés et harcèlements sécuritaires avant de pouvoir obtenir ses papiers de candidature. « Pour les empêcher de participer aux élections, le gouvernement a refusé de délivrer les certificats nécessaires à 520 membres de la confrérie pour prouver leur statut de syndiqués. Parallèlement, une campagne d’arrestation menée dans plusieurs gouvernorats d’Egypte a visé plus de 200 candidats potentiels issus de la confrérie », souligne-t-il. Et d’ajouter : « La présence sécuritaire injustifiée dans les bureaux administratifs est un phénomène extraordinaire. Ce sont les agents de la Sûreté de l’Etat qui reçoivent les demandes et attribuent les pièces de candidature. Aussi, le refus de placer ces élections sous contrôle judiciaire dévoile-t-il l’intention de l’Etat de falsifier les résultats pour écarter tous les courants qui s’opposent à ses politiques économiques qui n’ont fait qu’appauvrir le peuple ».
Les candidats affiliés à la Confrérie ont intenté quelque 570 procès devant le Tribunal administratif contre les mesures sécuritaires abusives et l’absence d’un contrôle judiciaire sur les élections. Jeudi, le tribunal leur donnait raison en décidant l’arrêt des élections. Mais le gouvernement a décidé de contester le verdict du tribunal. La Confrérie reconnaît que face à ces pressions, elle a été obligée de revoir à la baisse le nombre de sièges que ses candidats pourraient obtenir. Les prévisions les plus optimistes ne leur laissent plus espérer que 15 % des sièges disputés.
Les Frères ont mis en garde contre les tentatives de truquer les élections, menaçant de procéder à la création d’une union indépendante des syndicats ouvriers, parallèle à l’union dominée par l’Etat. « Nous sommes déterminés cette fois-ci à mener jusqu’au bout cette lutte contre l’impérialisme et le libéralisme sauvage en coopération avec les autres forces politiques. L’Etat a tort de croire que le scénario des élections ouvrières de 2001, qui n’a engendré qu’un conseil pro-gouvernemental, pourra se répéter », indique Aboul-Foutouh.
Kéfaya dénonce
Outre le courant islamiste, le mouvement Kéfaya a diffusé un communiqué semblable à celui des Frères pour dénoncer les campagnes d’arrestations menées contre leurs militants et le refus des autorités de leur délivrer les pièces de candidature. Georges Ishaq, coordinateur du mouvement, est allé jusqu’à déposer une plainte auprès du procureur général. Du Parti nassérien, Saïd Gomaa critique la décision d’interdire l’usage des slogans politiques et religieux pour faire campagne. « Les programmes varient selon la tendance et le courant politique des candidats. Les programmes des candidats de la gauche diffèrent de ceux des libéraux, comment peut-on éviter le recours à des slogans politiques ? Cela ne vise qu’à bannir les islamistes », ajoute Gomaa.
Pour sa part, Mohamad Abdel-Salam, militant de gauche, a déclaré que la gauche était prête à accepter une coalition avec les Frères musulmans pour arrêter cette comédie. Il a également réitéré la menace de créer des syndicats ouvriers indépendants au cas où le gouvernement insistait pour falsifier les élections. « La possibilité de coopérer avec les Frères pour créer une organisation ouvrière parallèle à l’actuelle Union des syndicats dépendra des résultats des élections. On n’acceptera plus une mainmise sur les syndicats ouvriers par les agents du gouvernement qui n’ont jamais œuvré que pour l’intérêt des hommes d’affaires. Les milliers d’ouvriers qui ont été mis à la porte à la suite des privatisations témoignent de l’ampleur de la crise et de l’incapacité de l’Union à protéger leurs droits », lance Al-Badri Farghali, ancien député et président du comité des ouvriers au parti du Rassemblement.
Ahmad Harak, vice-président de l’Union des syndicats ouvriers, rejette en bloc les accusations des uns et des autres. Selon lui, « personne ne peut nier les efforts du conseil sortant qui, au cours des cinq dernières années, a assumé ses responsabilités dans la défense des droits des ouvriers ». Harak explique que le système est le même que lors des élections précédentes, et que si le temps consacré aux formalités administratives et à la campagne électorale a été écourté, c’est uniquement à cause du mois de Ramadan et des fêtes qui ont empêché de commencer un peu plus tôt. « Les Frères musulmans aiment toujours se présenter comme victimes. Je peux assurer qu’il n’existe aucune intervention policière, ni de listes de candidats préparées à l’avance. Mais aussi faut-il rappeler qu’il s’agit d’élections syndicales et que de ce fait, tous les slogans d’ordre politique ou religieux doivent être interdits », insiste-t-il.
« Tous les candidats sont traités sur un pied d’égalité et les affirmations des rapports sécuritaires ne sont que des mensonges. 20 000 candidats se sont présentés aux élections et leurs papiers ont été admis. Le rôle de la police s’est limité à préserver la sécurité et empêcher les actes de violences. Ceux qui protestent ont eu recours à la justice, qu’ils attendent donc les verdicts. Quant au recours aux menaces de créer des syndicats ouvriers parallèles, cela ne leur servira à rien, il n’existe qu’une Union légitime qui regroupe les 23 syndicats ouvriers », rappelle Hussein Mégawer, président de l’Union, comme pour clore l’affaire.
Pour sa part, la ministre de la Main-d’œuvre, Aïcha Abdel-Hadi, affirme que le rôle du ministère se limite à définir les règlements régissant les élections ouvrières et c’est l’Union des syndicats qui se charge de suivre son déroulement. « Les problèmes entre les candidats ne sont pas du ressort du ministère. Toutefois, mon bureau est ouvert à tous et nous ferons de notre mieux pour régler les plaintes qui nous parviennent », a rassuré la ministre.
AL MAGHRABI May
*Article paru dans le journal francophone égyptien Al- Ahram Hebdo, Le Caire, Numéro 635, 8 au 14 novembre 2006.