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INDE et PAKISTAN

Qui a peur de la paix ?

Dimanche 1er avril 2007, par Siddharth VARADARAJAN

Pour la troisième fois en moins d’un an, à la mi-février, des terroristes ont tenté de faire dérailler le processus de paix entre l’Inde et le Pakistan. La pire chose à faire, selon le quotidien indien The Hindu, serait de leur concéder la victoire.

Le but des auteurs de l’attentat commis le 18 février, à bord du train Samjhauta Express qui relie l’Inde et le Pakistan, ne pouvait pas être plus clair : la cible et le moment choisis pour frapper démontrent que les terroristes voulaient d’abord compromettre le processus de paix entre l’Inde et le Pakistan.

Toutes les familles pauvres qui voyagent à bord du train Samjhauta vous le diront : le trajet entre Delhi et Lahore est interminable, éprouvant, difficile. Et pourtant, le voyage constitue un symbole du voisinage civilisé auquel les Indiens et les Pakistanais ordinaires aspirent désespérément. Mieux, il laisse entrevoir à quoi pourrait ressembler le futur, si seulement la compréhension et le compromis finissaient par prévaloir.

De toute évidence, les terroristes qui ont fait exploser le train n’ont pas envie de voir jusqu’où pourraient mener les négociations actuelles. En tuant pas moins de 67 passagers au moment même où le ministère pakistanais des Affaires étrangères se trouvait en Inde, ils voulaient que le processus de paix s’arrête le plus tôt possible. Ils entendaient provoquer un regain de tensions et d’accusations mutuelles entre Islamabad et New Delhi. À tout le moins, ils espéraient rendre les voyages entre les deux pays suffisamment risqués pour que bien peu de gens veuillent encore subir les difficultés du voyage en train, en autobus ou même en avion.

Après l’explosion simultanée de plusieurs bombes dans les trains de banlieue de Mumbai, le 7 juillet, les terroristes avaient réussi à prendre l’initiative. Cette erreur ne doit pas se reproduire. À l’époque, l’Inde avait reporté une rencontre prévue avec la diplomatie pakistanaise, et l’atmosphère avait rapidement commencé à dégénérer. À Mumbai et à Delhi, des policiers s’étaient mis à parler ouvertement de « preuves » reliant les attentats à l’establishment pakistanais.

Pendant un moment, le processus de paix semblait au bord du précipice. À la fin, pourtant, les fameuses preuves ne se sont jamais matérialisées. Et cela a permis de réaliser que le dialogue et les contacts directs entre les gens servaient fort bien les intérêts du pays. Après une habile prénégociation sur la création d’un mécanisme conjoint pour combattre le terrorisme, l’Inde a finalement repris le dialogue avec le Pakistan.

D’un côté, le pays a raison de critiquer le Pakistan pour son incapacité à agir contre les organisations terroristes et leurs bases d’entraînements sur son territoire. De l’autre, elle a tort de lier l’avenir du processus de paix à un événement dans lequel la complicité éventuelle d’Islamabad ne peut être établie avec certitude.

Sept mois après les attentats, les enquêteurs indiens n’ont toujours pas réussi à prouver la complicité officielle du Pakistan dans les attentats. Au point où cet échec ne manquera pas d’être utilisé par le Pakistan pour remettre en doute la validité des affirmations de l’Inde voulant que des groupes terroristes continuent d’opérer à partir de son territoire.

Une question fondamentale

Au cœur du dilemme de la politique indienne, on retrouve une question fondamentale : est-ce que le gouvernement de Pervez Musharraf a trempé dans la conception, la planification ou même la réalisation des attentats comme ceux de Mumbai, de Malegaon ou du Samjhauta Express ? Certes, l’establishment pakistanais dispose de la capacité de mener ce genre d’opérations sous le manteau. En revanche, les raisons qui pourraient le pousser à agir ainsi apparaissent plutôt confuses. On peut se demander ce qu’il aurait à gagner en provoquant la fin du processus de paix.

À l’opposé, si le gouvernement de Pervez Musharraf n’est pas impliqué dans les attentats, est-ce que cela signifie que des groupes terroristes « indépendants » opèrent sur le territoire pakistanais, y compris en opposition au gouvernement ? Il apparaît évident que cette hypothèse est la bonne.. Il n’y a qu’à voir les nombreux attentats à la bombe commis sur le territoire pakistanais, les attaques suicides visant des soldats et les tentatives d’assassinat contre le président Musharraf. Tout semble suggérer que des groupes terroristes « indépendants » opèrent au Pakistan. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’ils y sont florissants.

Ce qui apparaît moins clair, c’est l’étendue des liens entre les organisations « indépendantes » et celles qui sont traditionnellement associées au pouvoir pakistanais. Islamabad et Washington peuvent toujours prétendre qu’il existe une sorte de muraille de Chine entre le deux. En réalité, il apparaît plus que probable qu’il existe un mélange, une sorte d’osmose entre les deux. Autant du point de vue des hommes que du matériel. C’est pourquoi l’establishment pakistanais constitue à la fois un commanditaire et une victime du terrorisme.

(...) En réévaluant sa politique générale à l’égard du Pakistan, l’Inde sait que l’utilisation de la force ne pourrait résoudre le problème. (...) Elle n’a pas d’autre avenue que la diplomatie. Mais cela ne veut pas dire qu’elle doit renoncer à la lutte contre le terrorisme. Le gouvernement indien devrait continuer à exiger que le Pakistan respecte sa promesse de ne pas permettre que son territoire serve de base arrière à des groupes terroristes visant l’Inde. (...)

Aujourd’hui, l’Inde émet beaucoup plus de visas pour des Pakistanais qu’en 2004. Le commerce est à la hausse. Des nouvelles routes ont été ouvertes au Kashmir, au Penjab et au Rajasthan. Des délégations d’affaires se visitent les unes les autres de manière plus assidue. Certes, on pourra invoquer qu’une trentaine de Pakistanais, qui avaient obtenu un visa pour assister à un match de cricket, ont disparu dans la nature. Mais si ce genre de petits incidents compromet la sécurité nationale, nos agences gouvernementales peuvent sûrement imaginer un meilleur système de vérification pour en minimiser les risques.

À long terme, l’augmentation des voyages, du tourisme et du commerce finira par augmenter le nombre de Pakistanais désirant normaliser les relations avec l’Inde. Cela pourrait même modifier la dynamique politique à l’intérieur du Pakistan.

C’est aussi largement grâce au processus de paix actuel que l’Inde et le Pakistan ont réussi à s’entendre sur un vocabulaire commun pour parler du Kashmir, une chose impensable il y a quelques années encore. (...) C’est précisément la perspective d’une solution pacifique qui a conduit les auteurs des attentats du Samjhauta Express et de Mumbai à passer à l’action. Plus que jamais, le premier ministre indien Manmohan Singh et le président Musharaf doivent conserver l’initiative et ne plus permettre que les terroristes dictent l’allure ou le contenu du processus de paix. Tout retour en arrière apparaît maintenant impossible. Les victimes du Samjhauta Express ne doivent pas être morts pour rien.