Parmi les 1 400 Palestiniens tués durant l’opération Plomb durci en décembre et janvier derniers, 1 085 l’ont été par les attaques aériennes selon une étude réalisée par le groupe Mezan, organisation pour les droits de l’homme basée à Gaza. Les soldats israéliens ont tué 93 Palestiniens à bout portant d’après cette étude demandée par Ha’aretz.
Même avec une marge d’erreur possible, Mezan est confiant dans ses chiffres qui montrent que 7% des tués ont été touchés par des tirs à bout portant. Du fait qu’il s’agit de gens tués à bout portant, les journalistes s’y intéressent souvent, à partir de points de vue différents. Les opinions des soldats, par exemple, ont été rendues publiques, après débats internes, par des étudiants des cours préparatoires prémilitaires Yitzhak Rabin.
Les Forces de défense israéliennes ont-elles examiné soigneusement chaque cas des tués à bout portant et estimé qu’ils étaient justifiés ? Les soldats, parfois les seuls témoins du meurtre, partagent-ils tous la position de l’armée ?
Raya Abu Hajaj, 65 ans, et sa fille Majeda, 35 ans, étaient parmi les personnes qui fuyaient la zone agricole de Johor Ad-Dik, à quatre ou cinq kilomètres au sud du passage de Karni en Israël. A 6 h 30 du matin, le 4 janvier, premier dimanche de l’offensive terrestre, un des obus qui sont tombés dans le secteur a percuté la façade nord de la maison familiale d’Abu Hajaj ; une jeune fille a été touchée par un éclat d’obus à une main. Selon Salah Abu Hajaj, le fils de Raya, les soldats israéliens ont interrompu les émissions de radio et ordonné aux habitants de quitter leur maison en brandissant des drapeaux blancs. Abu Hajaj et la famille voisine des Safadi - 29 personnes en tout - ont décidé de partir de Gaza ville.
Les adultes marchaient en tête du groupe, portant les petits enfants ; Majeda et Ahmed Safidi agitaient des chiffons blancs. Ils marchaient vers l’ouest, en direction de la route de Salah Ad-Din. Près d’une maison en construction, de la famille Dughmush, à environ 300 mètres de chez les Safadi, ils ont remarqué un groupe de chars d’assaut à l’arrêt. Les deux familles ont poursuivi leur marche. L’un des chars était dans un champ tourné vers le nord, il a commencé à se mouvoir vers l’ouest, parallèlement à eux.
Soudain, le char s’est mis à tirer, apparemment à la mitrailleuse, tout en se déplaçant, provoquant la panique dans le groupe. Les gens ont fait demi-tour en courant, vers l’est. Salah a vu un soldat émerger à demi de la tourelle du char. Le char était alors à une distance de 50 à 100 mètres d’eux. Salah a entendu les tirs. Il a vu sa mère et sa sœur s’écrouler. Leurs corps ont été enlevés deux semaines plus tard de cet endroit.
Un responsable militaire était-il au courant ?
Ha’aretz a envoyé le questionnaire suivant au bureau du porte-parole des FDI, le 19 mai :
« La décision de tirer depuis un char d’assaut sur un groupe de piétons brandissant des drapeaux blancs émane-t-elle d’un soldat isolé ou de plus haut ? S’agit-il d’un officier du char ou d’ailleurs ? Y a-t-il des renseignements indiquant qu’un combattant armé se serait caché parmi ces civils et sur lesquels on aurait fondé les tirs sur les civils dans le respect des règles des FDI ? Ces gens constituaient-ils une menace pour la vie des soldats dans les chars, et comment se fait-il qu’il n’y ait eu aucun tir des chars qui étaient à l’ouest de la route, près de la maison des Dughmush ? Les noms de Rava et de Majeda Abu Hajaj figurent-ils sur la liste FDI des personnes tuées ? »
Réponse du bureau du porte-parole le 21 mai :
« L’information qui nous a été remise par la journaliste a été vérifiée sur une période de plusieurs jours par les unités des FDI en opération dans le secteur. Après examen, il est apparu clairement que l’armée n’avait aucune connaissance de cet incident. Nous souhaiterions que la journaliste nous adresse des informations complémentaires qui pourraient, avec son autorisation, nous être utiles. Il faut noter que durant l’opération Plomb durci, le Hamas s’est cyniquement servi de la population civile comme "bouclier humain" ».
Le 5 janvier, entre 4 et 5 h du soir, des soldats appartenant apparemment à l’unité d’infanterie Golani ont pénétré par effraction dans la maison de Samir Rashid, dans le quartier Izbet Abed Rabbo, dans l’est de Jabalya. Ils ont défoncé le mur ouest de la maison et ont pénétré dans la cage d’escalier. En face de la maison, il y a une mosquée où trois membres des brigades Iz al-Din al-Qassam du Hamas s’étaient retranchés. L’armée a bombardé cette maison entre le 5 et le 6 janvier. Selon plusieurs interviews par Ha’aretz, durant ces heures, les soldats des FDI ont obligé les civils palestiniens à marcher devant eux pour pénétrer dans les maisons et les fouiller.
Utilisant des grenades offensives, les soldats sont montés jusqu’au deuxième étage de la maison Rashid où toute la famille s’était regroupée. Samir et Munir Rashid ont ouvert la porte aux soldats, mettant aussitôt leurs mains sur la tête. Les soldats ont ordonné à Munir de leur remettre la clé de la porte d’entrée en fer et de les accompagner pour la fouille des pièces de l’étage supérieur. Quelques minutes plus tard, quand Munir est revenu avec la clé, il a vu les soldats emmenant son frère sur une civière.
Samir était vêtu seulement de son pantalon ; du sang coulait de sa poitrine dénudée. Son cadavre est resté devant le bâtiment jusqu’au 14 janvier. Au vu des taches de sang qui furent découvertes par la suite, on peut conclure que Samir Rashid a été abattu sous le porche orienté sud-est de la maison à quatre étages. Deux semaines plus tard, après la fin de l’agression, on ne trouvait aucune trace de tir sur le mur du porche.
« Ils ont riposté à des tirs de terroristes ».
Questions d’Ha’aretz au bureau du porte-parole des FDI : « Samir Rashid travaillait pour l’Agence de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Selon sa famille, l’agence et les journalistes ont déjà demandé aux FDI pourquoi Samir Rashid avait été abattu. D’après la famille, les FDI ont répondu que Rashid avait tenté de s’échapper. Peut-on en conclure que Samir Rashid a été tué à bout portant ? Les FDI ont-elles examiné les circonstances entourant la mort de Samir Rashid ? »
Réponse du porte-parole : « Après examen, il est apparu clairement que les soldats des FDI avaient tiré au cours de leur mission dans le secteur en question et qu’ils ont riposté à des tirs de terroristes. Lors de l’échange de coups de feu dans une zone de combat, un homme a été blessé. Les allégations de tirs à bout portant sont totalement dénuées de fondement. »
La date à laquelle Jamila Da’ur, 61 ans, et son fils Mohammed, 32 ans, ont été tués n’est pas connue. Le 18 janvier, leurs corps ont été trouvés à l’entrée de leur maison dans le quartier Atatra. Quelqu’un avait recouvert le corps de la femme avec une couverture, apparemment quelques jours après sa mort car il n’y avait aucune trace de sang sur la couverture. Mohammed a été retrouvé avec ses mains qui avaient commencer à remonter sa chemise.
La nuit du 3 janvier, un samedi, quand les explosions et les bombardements se sont intensifiés, la famille Da’ur a voulu fuir son domicile. Mais fuir était tout aussi dangereux ; des bombes tombaient tout autour, une roquette a blessé l’un d’eux et des morceaux de verre tombaient sur la tête des gens au loin. La famille Da’ur n’a pas été plus loin qu’une centaine de mètre de sa maison, elle a passé la nuit totalement en éveil et effrayée chez un voisin.
Le lendemain, Jamila et Mohammed ont réussi on ne sait comment à revenir dans leur maison, apparemment pour y chercher des documents et quelques objets de valeur. Dans l’après-midi, les FDI ont lancé des obus au phosphore blanc sur le secteur, tuant cinq membres de la famille Abu Halima. La dernière communication téléphonique avec Jamila et Mohammed Da’ur a eu lieu le dimanche soir. Deux matelas et un cendrier rempli de mégots ont été découverts dans un couloir le dernier jour des combats, et la famille en a conclu que tous les deux étaient encore vivants le lundi matin. Leur téléphone portable et leurs cartes d’identité avaient disparu.
Questions d’Ha’aretz au bureau du porte-parole des FDI : « Les deux personnes ont-elles été tués parce qu’elles étaient dans un secteur que l’on avait demandé aux habitants d’évacuer ? Ont-elles été tuées parce qu’elles étaient soupçonnées de porter des armes, ou parce que des gens armés étaient proches d’elles ? »
Réponse du bureau : « Il y a eu enquête et nous n’avons rien trouvé. En surface, il semble que la journaliste est arrivée à des conclusions en se basant sur des suppositions et sur des renseignements. Le porte-parole de l’armé nie toute déclaration selon laquelle des soldats des FDI auraient tiré intentionnellement, sans raison, sur des Palestiniens non impliqués (dans les combats). Les soldats des FDI et leurs officiers sont formés et ont agi en conformité avec les règles du droit international de la guerre, et un gros effort a été accompli pour réduire le nombre de blessés parmi la population civile, en dépit de la scandaleuse utilisation des civils par le Hamas. »