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Pourquoi j’ai quitté le PT

Lundi 12 juin 2006, par Chico Whitaker

Face à l’actuelle crise du Parti des Travailleurs, beaucoup d’entre vous m’ont demandé si j’étais très déçu et ce que je comptais faire : continuer au P.T. ou le quitter pour m’engager dans un autre parti.

São Paulo, 1er Janvier 2006

Tout d’abord il faut que je vous dise que ce n’est pas le mot déception qui me convient. Il y a déjà longtemps je constatais – avec tristesse bien sûr- la facilité avec laquelle les pratiques et les manières habituelles d’agir en politique au Brésil étaient assimilées par le Parti. Cette tendance – confortée par le sentiment d’impunité qui est également habituel dans notre pays- ne pouvait que s’exacerber avec la conquête de la Présidence de la République.

Deuxièmement je dois vous dire que j’ai beaucoup réfléchi à ce que je devais faire. Je me suis rappelé de beaucoup de moments beaux et émotionnants et de beaucoup de personnes de qualité du temps où, selon l’expression créée par Carlito Maia, nous disions « o PTamos » ( jeu de mot pour dire nous avons fait une oPTion pour le PT). C’est ainsi qu’au début j’ai pensé rester dans le parti et me joindre à tous ceux qui n’étaient pas d’accord – comme moi-même- avec les orientations dominantes et qui pensent aujourd’hui « sauver » le Parti.

Finalement j’ai pris la décision de quitter le P.T. pas tellement à cause de la crise- comme un geste de protestation que beaucoup ont fait- mais à l’occasion de cette crise. Elle fut bien sûr décisive pour ma prise de position actuelle. Déjà en soi la gravité des dévoiements justifiait pleinement de quitter le parti – bien que cela pouvait faire mal de le faire alors que le parti était soumis à un feu serré et enragé. Je suis donc sorti du PT à ce moment pour affirmer la possibilité d’un autre type de pratique politique. Les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés au Brésil rendent très clair pour moi cette nécessité.

En réalité ce que je fais c’est entrer de plein pied dans un espace politique d’un nouveau type des « sans », l’espace des « sans parti ». A cause de la crise actuelle j’ai senti qu’était arrivé le moment pour moi de quitter l’activité partisane pour assumer pleinement la militance dans cet espace ( l’ « e.s.p. » pour ceux qui aiment les sigles…). C’est pour cela que je ne rentre dans aucun autre parti.

Avec la présente lettre je veux mieux expliquer cette option dû au respect pour ceux avec lesquels j’ai partagé l’activité politique au sein du PT et qui, en deux occasions, m’ont élu « vereador » (conseiller municipal) . Cette explication est finalement assez longue- ainsi que l’exigea le temps de réflexion. A l’avance donc je m’en excuse.

Lorsque je suis revenu au Brésil en 1981 après 15 ans d’exil, nous avions la conviction que le peuple devait s’organiser pour faire valoir tous ses droits, et, en conséquence, qu’il était nécessaire de créer un parti qui permette la participation institutionnelle, dans la vie politique du pays, des grandes masses oubliées de notre pays.

Le Parti des Travailleurs, créé à cette occasion, de bas en haut, a ouvert cet espace qui faisait défaut. Son objectif était clair : construire une société juste et égalitaire dans la perspective d’un socialisme démocratique – écartant l’usage de la violence pour y arriver. Il annonçait aussi une pratique différente – honnête et transparente -, une nouvelle manière d’aborder la « res publica ». Assumant la démocratie comme regime politique le PT commença aussitôt à participer aux élections, pour arriver un peu plus de vingt ans plus tard à la Présidence de la République.

Cependant, en s’intégrant dans les institutions politiques et participant à la lutte électorale, le parti se déforma peu à peu, ayant vecu une « involution » dramatique. Il fut contaminé par les multiples déformations et les insuffisances de la démocratie représentative brésilienne, ce que l’a fait, dans la pratique, abandonner le projet qui mobilisait ses militants.

De leur coté, l’importance et la gravité des irrégularités qui sont aujourd’hui pratiquées – le parti avait même de l’argent à l’étranger dans le meilleur style des profiteurs de toujours- ont mis en évidence ces deformations, celles-ci étant alors centrées sur le PT, comme si il était le seul à les pratiquer. Le PT a alors exposé tous ses flancs à l’opportunité dont la droite rêvait : tenter de détruire avec l’aide des media qu’elle contrôle, ce parti génant et son préoccupant projet de changement. Il y a peu elle a fait une démonstration de force en cassant les droits politiques de celui qui fut un de ses principaux dirigeants.

Il est même possible d’affirmer que la crise actuelle était presque prévisible. Mais la conséquence en est que le PT d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec le rêve de sa création ; il n’est plus qu’un parti de plus. Malheureusement le rêve s’est écroulé. Un écroulement que beaucoup comparent à la chute d’un nouveau mur de Berlin, telle était l’espérance que « l’expérience » brésilienne avec l’élection de Lula avait fait surgir dans le monde. C’est pourquoi se répand partout un sentiment de perplexité et de déception.

A l’époque de mon retour au Brésil je m’étais engagé dans un travail de formation et d’organisation politique de la société. Cependant je ne me suis inscrit au PT qu’en 1988, étant cette année même élu à la Municipalité de Sao Paulo, puis élu à nouveau en 1992. En 1996 j’ai cependant décidé, à la suite d’une ample consultation auprès de ceux qui m’appuyaient dans cette fonction, de ne pas me représenter à un troisième mandat. J’ai décidé alors de reprendre le travail de formation et d’organisation politique dans la société.

Mais je n’ai pas quitté le Parti à cette occasion, par respect pour son histoire et de tous ceux qui déposaient en lui toute leur espérance. Et parce que je croyais au projet de changement qu’il se proposait de réaliser, je pensais aussi que je devais contribuer comme je pouvais à l’effort que faisait le parti pour amener Lula à la présidence de la République.

Cependant, en m’eloignant de la vie du parti et en participant alors d’initiatives au dessus des partis ou hors parti, j’ai découvert à quel point il était fondamental d’éviter à tout prix que les organisations populaires soient capturées et domestiquées par les partis. Elles pouvaient bien sûr leur apporter leur appui mais devaient, en tant qu’organisations populaires, maintenir leur autonomie et occuper une place centrale dans la société civile.

Or, pour travailler à ce que cela se produise il n’était pas indispensable de continuer membre d’un parti. Peut-être même que ce n’était pas à conseiller, ce qui renforce mon actuelle option de militance.

Je voudrais alors approfondir les raisons de mon retrait de la Chambre Municipale car elles expliquent certaines racines de mon option actuelle.

Certains amis me disent maintenant que j’ai quitté la Municipalité parce que je voulais prendre mes distances de façon anticipée des pratiques qui aujourd’hui nous causent tant de perplexité. Je les remercie de cette preuve de confiance. De fait, déjà à cette époque, j’avais constaté qu’il y avait dans le PT ceux qui acceptaient des comportements personnels et des pratiques politiques déviants qui depuis tant de temps sont propres au système politique brésilien. Je me rappelle avoir eu un premier pressentiment de cela déjà pendant mon premier mandat lorsque, m’opposant à la direction municipale, lors d’une réunion de notre groupe parlementaire, je fut menacé de ne plus pouvoir m’élire au nom du PT pour un second mandat ; menace typique des plus typiques partis traditionnels. Malheureusement il y eut depuis beaucoup d’autres signaux bien plus graves indiquant que nous étions en train de courir des risques sérieux. J’en suis arrivé à réfléchir ouvertement à ces questions et même à adopter des positions publiques face à certaines « flexibilités » qui, y compris, m’amenèrent à des situations d’isolement dans le parti.

Cependant je ne peux pas dire que ce fut la raison principale de ma décision de ne pas me représenter à un troisième mandat. J’avais d’autres raisons, d’un autre ordre, pour quitter la Municipalité.

J’ai pris cette décision à partir de ce que je découvrais en vivant l’expérience d’agir en tant qu’élu. C’est dans cette fonction que je me suis aperçu plus clairement des limites de l’action des gouvernants. Ceux-ci peuvent orienter beaucoup de changements et peuvent les réaliser. Leur action est évidemment décisive. Mais elle n’est pas suffisante pour transformer la réalité de manière profonde et durable tel que nous le souhaitions. En effet pour dépasser effectivement l’injustice, l’inégalité, le non respect à la nature, nous devons tous – individuellement et collectivement- nous engager dans des actions pour transformer notre propre réalité concrète, sans attendre des mesures gouvernementales.

D’autre part afin que le gouvernement joue réellement son rôle il est nécessaire que les citoyennes et citoyens participent activement – de façon autonome et sans se laisser manipuler- des décisions politiques des Parlements et des Exécutifs. Mais, pour cette participation il ne suffit pas de la représentation politique dans le cadre des partis. Evidemment il nous faut bien choisir nos représentants et aussi les aider, les contrôler, les pressionner et les amener à agir. Mais en plus il est nécessaire que ce que nous appelons la société civile devienne un protagoniste politique de plein droit et respecté tout autant dans son autonomie d’action par rapport aux gouvernements que dans l’accompagnement de leur action dans le contrôle social de la sphère publique. Autrement dit il est nécessaire que la société civile rompe le monopole des partis politiques dans l’action politique en général.

Cependant le temps nécessaire pour une action transformatrice consciente de la part des citoyens et pour ce nouveau protagonisme de la société civile est encore long. Les gouvernements autant que les partis ne font pas grand-chose pour cela, bien au contraire ils cherchent toujours à instrumentaliser toute force nouvelle qui émerge de la société afin d’augmenter leur propre pouvoir. Il est donc nécessaire de construire une nouvelle culture politique, ce qui exige des transformations personnelles dans les attitudes et les motivations tant des dirigeants politiques que des citoyens eux-mêmes.

J’ai donc quitté la Chambre Municipale parce que j’ai considéré – et je continue encore à le considérer – que le travail dans la société civile vers cette nouvelle culture politique était plus nécessaire et urgent que la représentation et que je mènerait mieux cette tâche en dehors de la Chambre. J’ai aussi considéré que ce travail était bien plus stimulant.

En effet, vivant de l’intérieur la vie parlementaire et partisane –deux expériences nouvelles pour moi- j’ai constaté que, vu la culture politique existante, celles-ci sont extrêmement frustrantes dans la perspective d’atteindre des objectifs de transformation. Dans la façon par laquelle se développent les activités parlementaires au Brésil, l’exercice d’un mandat législatif est peu constructive. Il se perd beaucoup de temps dans des routines, des rituels et des apparences de pouvoir. Un prix élevé se paye pour obtenir des résultats minimes et lents. L’air qui se respire est celui des disputes permanentes, bien éloignée des objectifs de changement social, car l’activité politique finit par se réduire à une lutte pour le pouvoir personnel dans la perspective de projets politiques individuels. Dans ce climat les initiatives proposées sont toujours interprétées comme visant à obtenir quelque avantage personnel ou pour le parti – et, selon l’expression habituelle « personne ne met d’olive dans le pâté de l’autre ».

Il m’a été encore possible d’observer que malheureusement, bien avant donc les problèmes actuels, cette dynamique de réalisation de projets individuels – avec des candidatures définies par des ambitions personnelles – était celle qui conduisait la vie de parti aussi bien au PT, un parti qui pourtant prétendait être différent.

Bien sûr je ne peux pas ne pas me demander maintenant, face à la crise actuelle, si je ne me suis pas trompé en m’éloignant de la vie du parti lorsque j’ai quitté la Chambre. En tant que membre du PT j’ai continué à être co-responsable de ses orientations comme tous ses militants.

Il ne me manquerait pas un large programme de lutte – qui pourrait aujourd’hui paraître tomber d’une autre planète - pour réaffirmer beaucoup de ce que fut le PT. Afin d’exercer le pouvoir en tant que service à la société et pas seulement lutter pour le conquérir et ensuite le maintenir, le PT devrait canaliser les disputes internes au parti vers des alternatives d’action transformatrice au lieu de compétitions entre ego, ambitions et carrières personnelles. Il devrait chercher à convertir ces disputes en écoute, en construction créative et collective de nouvelles vérités consensuelles afin de vaincre la malédiction des divisions et dissidences répétitives de la gauche. Il devrait établir des relations avec d’autres partis en acceptant réellement la diversité et le pluralisme et bien davantage en évitant de combines et des accords inavouables. Il devrait également renforcer le Parlement en tant que représentant de tous les intérêts de la société au lieu d’être une chambre d’enregistrement de la volonté de l’Exécutif, capable de se laisser « acheter » pour assurer la « gouvernabilité ». Il devrait également, au-delà des objectifs purement électoraux, appuyer l’organisation populaire et la formation de la conscience citoyenne et conquérir des instruments nouveaux et plus efficaces pour faire valoir la volonté populaire. Le Parti devrait également adopter sans hésiter des règles de fonctionnement pour éviter que les mandats électifs se transforment en moyens de vie et soient assumés sans fin de façon « carriériste », tout en combattant frontalement la corruption qui détériore le tissu social.

Cependant tenter de contribuer à ce que ces autres orientations partisanes s’imposent était pour moi un piège. En vérité –selon le type de fonctionnement du PT- pour obtenir que telle ou telle orientation soit adoptée, sans nous réduire à une simple « carte de filiation » à brandir lors des conventions du parti, il fallait « s’engager dans la lutte ». Or ceci exige beaucoup de temps pour participer à toutes les réunions auxquelles bien sûr ne peuvent participer pleinement que ceux qui ont un mandat électif ou sont des « fonctionnaires » du parti. Si j’avais quitré la Chambre pour travailler dans la société, aurait-il un sens de me maintenir prisonnier d’un espace aussi limitatif ?

Si aujourd’hui je renonce à m’engager dans des opérations de sauvetage du parti c’est pour une raison encore plus décisive : ne pas me laisser avaler par une schizophrénie paralysante, en étant amené à agir en même temps selon deux logiques contradictoires, celle des pyramides et celle des réseaux.

De fait nous avons été formés traditionnellement dans le cadre d’organisations partisanes pyramidales, basées sur la représentation et la discipline avec des niveaux de pouvoir super posés. Dans le PT en particulier, qui fait partie d’une gauche qui fut presque religieusement soumise aux préceptes léninistes d’action politique, ce sont des pratiques verticales encore plus exigeantes qui ont fini par dominer.

Or les expériences auxquelles j’ai participé en quittant la Chambre – non partisanes ou au-dessus des partis telle la Loi d’Initiative Populaire contre la corruption électorale ou le Forum Social Mondial – ont raffermi ma conviction du besoin d’agir politiquement dans une logique d’organisation tout à fait différente que celle des partis. Ces expériences se développèrent – avec grand succès- en utilisant des principes non directifs, basés sur l’horizontalité des réseaux. Et leurs résultats politiques etaient, de mon point de vue, meilleurs que ceux des partis. Ce sont en réalité les principes que je suivais avant de m’engager dans le PT et que j’ai même essayé d’utiliser dans mon travail à la Chambre, bien que comme « un vrai poisson hors de l’eau »…

Je préfère donc travailler dans cette logique, en me joignant aux efforts qui se font pour que la société civile en général, de même que les organisations populaires elles mêmes, fonctionnent chaque fois plus en réseau. Ceci peut bien sûr intéresser ceux qui participent des partis. Je suis sûr qu’ils gagneraient beaucoup en transparence, en aération et en démocratie, et même en efficacité, si, au delà des disciplines partisanes, ils stimulaient la formation de réseaux libres d’intercommunication horizontale entre militants.

Les raisons qui m’ont amené à quitter le parti ont également été renforcées par l’identification plus précise des distorsions que le parti a connu et qui ont terni son projet politique.

Les partis existent pour disputer le pouvoir politique et cette dynamique les pénètre également. Les courants internes luttent pour le pouvoir à l’intérieur des partis. Celui qui l’emporte s’empare de la machine bureaucratique et concentre le pouvoir. Il devient chaque fois plus difficile de la déloger à cause de la lutte pour la continuité, qui est renforcée par les intérêts personnels des bureaucrates qui en font partie.

Ainsi le courant qui dirige le PT depuis des années – et qui fut celui qui hérita le plus fidèlement de la ligne léniniste dont j’ai parlé- s’est servi d’une main de fer de la discipline partisane pour constituer une fausse unité. Et les bases du parti sont devenus de simples spectateurs des décisions qui se prenaient.

Cette distorsion, qui a donné chaque fois plus d’autonomie et de pouvoir à la direction du parti, l’a séparé des bases et c’est ce qui d’après moi a façonné marqué toutes les autres distorsions. Elle est celle qui rend le plus le PT d’aujourd’hui semblable aux autres partis. Dans le cas du PT cela a une signification spéciale parce que cela nie sa propre nature, étant donné que le PT est né du bas vers le haut.

Les pratiques politiques habituelles du Brésil ont contaminé le PT dans d’autres domaines aussi. Ainsi le Parti a commencé à fonctionner presque exclusivement en fonction des luttes électorales, comme si tous les changements ne dépendaient que du choix de « bons dirigeants ». Un sous-produit peu positif de cette orientation fut la possibilité de « loger » les cadres du parti dans la machine de l’Etat. Un autre sous-produit, complètement négatif, fut celui d’éloigner encore plus le PT du travail de formation politique et d’organisation populaire, y compris par l’absorption de ses militants dans les administrations conquises.

Les disputes electorales, à leur tour, se sont centrées dans la conquête du Pouvoir Exécutif. Lorsque j’étais à la Chambre j’en étais arrivé à penser – et à proposer- que le Parti devrait se donner la priorité de faire élire chaque fois plus d’élus au niveau municipal, au niveau des états ou de la fédération, députés et sénateurs. Ce serait une stratégie plus efficace pour réaliser les changements qu’il se proposait, grâce au pouvoir qu’ont les parlements pour élaborer des lois et contrôler le pouvoir exécutif.

Cependant l’argent disponible, la structure des campagnes, l’utilisation des moyens de communication de masse étaient destinés prioritairement pour élire des Maires, des Gouverneurs et le Président de la République. Les candidats au législatif étaient laissés à eux-mêmes, « chacun pour soi », dans les pratiques de compétition les plus traditionnelles auprès des électeurs. Des uns et des autres se laissaient aller à offrir des « facilités » aux électeurs, celles-ci étant condamnées par une loi dont le propre PT se flattait d’avoir été un important artisan et pour laquelle personnellement je m’étais fortement engagé. Même lors des élections internes réalisées dernièrement – différence importante du PT par rapport aux autres partis- il y eut des cas de ce type de pratique, qui furent d’ailleurs largement diffusés dans la presse, dans le cadre de sa campagne pour nuire à l’image du parti. Tout en arrivant pas à questionner les pratiques par lesquelles le parti avait arrivé à doubler le nombre de ses adhérents….Ces faits auraient été par eux-mêmes suffisants pour m’amener à quitter le parti, dans le cas où j’aurais voulu continuer à poursuivre des activités partisanes.

Cependant, aux yeux des dirigeants, toutes ces contradictions étaient considérées secondaires. C’est ainsi que le PT s’éloigna chaque fois davantage du parti créé par des compagnons enthousiastes.

Laissant alors de coté les propositions politiques, les campagnes electorales furent confiées, progressivement, à des « entreprises de marketing », qui traitent les citoyens en consommateurs. Cette tendance arriva au maximum lors de l’élection de Lula, lorsque la direction du Parti, pratiquement sans critiques internes, a fait un contrat de prestation de services avec le plus « miraculeux » de nos professionnels de la publicité.

Cependant le pragmatisme existant avançait toujours davantage et de façon chaque fois plus équivoque. Puisque pour exercer le pouvoir il est nécessaire de gagner les élections, pour gagner les élections il y a besoin de beaucoup d’argent. Si l’éthique est seulement une tactique – en fut-il ainsi dès le début du parti ?- l’on ne se préoccupe pas d’où vient l’argent. Encore moins de la part de ceux qui pensent que la fin justifie les moyens. C’est ainsi que lorsque l’on contrôle l’administration publique les tentations se multiplient. Et c’est avec effroi que nous constatons aujourd’hui que même l’argent public pouvait être approprié pour des objectifs partisans. C’est ainsi que fut vite oubliée la vieille tradition du PT de compter, pour couvrir ses dépenses de campagne et remplir les rues, sur l’initiative, la créativité, la générosité et la militance de ses membres.

Je pense que la grande majorité des parlementaires, chefs et membres de l’Exécutif et dirigeants du PT n’ont pas profité personnellement de la proximité des caisses publiques ou de leur pouvoir d’influence. Mais s’il y en eut qui sont tombés dans ce type de corruption –autre distorsion habituelle du monde politique- cela se saura un jour.

Ainsi à se laisser profondément contaminer par toutes ces maladies du monde politique, le PT actuel a mené à l’échec le parti de type nouveau que nous avions essayé de construire. Aujourd’hui ce parti n’est plus à l’écoute des injustices dont souffre cette société pour essayer de répondre à ses attentes. Ses instances dirigeantes, séparées du peuple, ont definitivement oublié les innovations que le parti lui-même avait créé pour la participation populaire.

C’est ainsi que l’on peut dire en toutes lettres que la direction du parti qui s’est constituée au long de ce processus a trahi, dans la pratique, l’histoire du Parti. Et cette trahison représente de fait un grand manque de respect envers l’énorme quantité de militants qui ont continué et continuent encore à croire au projet d’origine, en donnant de leur mieux pour travailler sérieusement là où le parti a assumé des responsabilités dans tout le pays, depuis le niveau municipal jusqu’au fédéral.

Il est évident que toutes ces distorsions n’ont pu que démolir aussi le projet de changement dont Lula était porteur comme candidat à la présidence de la République. Il était déjà extrêmement difficile de rompre avec le modèle économique et de s’affronter à la plaie de l’inégalité économique scandaleuse qui caractérise notre pays, comme il l’avait promis pendant la campagne électorale. Or le gouvernement du PT n’arriva pas à se libérer d’ alliances électorales inacceptables –qui avaient été assumées par la direction du PT pour gagner l’élection – ni du système économique néolibéral.

Nous savons tous que Lula a dû pondérer son discours électoral et assurer qu’il honorerait tous les engagements du Brésil envers le capital. Et que, une fois élu, il aurait été destitué de Brasilia s’il ne l’avait pas fait. C’est ainsi qu’il n’a pu que maintenir la même politique économique que celle du gouvernement précédent et même une partie de l’équipe qui conduisait cette politique et qui ne voit la réalité nationale que par le prisme des fameux fondamentaux du système néolibéral.

Lula vit aussi la difficulté d’être un ouvrier-Président. Les privilégiés du pays n’ont jamais accepté ce fait et maintiennent un manque de confiance permanent en ce qui concerne ses véritables projets. Il est un « étranger dans le nid ».

Fragilisé et de façon permanente sur la défensive, il doit aller plus loin que ses prédécesseurs pour répondre à l’appétit insatiable du capital. Les dettes financières sont ainsi passées avant les dettes sociales, des banques ayant réalisé des gains comme jamais auparavant. Si son gouvernement a réalisé les « réformes » exigées par le pouvoir réèl dans le néolibéralisme, il n’a pas réalisé, parmi les promesses décisives qu’il avait faites, la réforme agraire si nécessaire et a même permis que les transgéniques pénètrent tout le pays – avec des possibles répercussions irréparables sur l’environnement. Assumant comme objectifs prioritaires la sacro sainte thèse du combat contre l’inflation et le payement inconditionnel – en maintenant, pour payer la dette, une inacceptable et exagérée difference positive entre les recettes et les depenses – il a maintenu l’économie nationale à un rythme extremement bas de croissance, éliminant toute possibilité d’un développement économique plus juste socialement, c’est-à-dire avec une véritable distribution des ressources. Lula dit aujourd’hui en toutes lettres qu’il est prêt à tout changer sauf la politique économique.

Dans la perception erronée qu’il fait du mieux qu’il peut, la direction du parti non seulement ne dénonce ni ne démonte ces options et ces pièges mais les renforce. Restant sous la dépendance du gouvernement, le parti en est réduit à être un simple instrument pour négocier « la gouvernabilité » définie par les majorités du Congés et maintenir la discipline de ses militants. Dans cette manière pragmatique de se relationner au Législatif et avec les « trois cent bandits » auxquels Lula fit allusion un jour, le parti a rendu le gouvernement du PT égal à tous les autres gouvernements, abusant même de distorsions qu’il combattait auparavant telles que les mesures provisoires. C’est ce qui a contribué à détruire presque complètement la crédibilité du parlement et du monde politique, avec les interminables CPI’s et leurs « pizzas ».

De son côté la société se trouvant démobilisée pour mener une action autonome et ne pouvant compter avec des organisations effectivement indépendantes du gouvernement, a été incapable de réagir devant le non accomplissement des promesses. Et la possibilité de critiques qui s’ouvrait créa un terrain fertile pour les partis qui s’opposent au PT.

L’on ne peut dispenser Lula de ses responsabilités malgré la solidarité que nous ressentons dans la tâche qu’il a voulu assumer. En dehors du Brésil il a assumé des problèmes qui devaient être traités et il a pris de nouvelles orientations dans les rapports entre pays et dans l’affrontement avec l’hégémonie nord américaine. Cependant au Brésil, Lula aurait eu, grâce aux 50 millions de votes qu’il a eu, le pouvoir moral de modifier l’orientation prise par le Parti et le Gouvernement afin d’innover dans beaucoup de terrains de l’action gouvernementale ; ce fut la perte d’une grande opportunité. Il aurait aussi dû faire face aux dénonciations contre le PT avec la fermeté que la gravité de la situation exigeait. Il ne s’agit pas maintenant d’identifier « qui » l’a trahi comme dans un drame shakespearien. De fait c’est la Parti tout entier qui a cessé d’être ce qu’il aurait dû être : le vecteur de la volonté des grandes majorités lors des discussions politiques dans tout le pays.

A cause de tout cela, paradoxalement, les privilégiés du Brésil et dans le monde sont aujourd’hui les secteurs sociaux les plus intéressés à ce que Lula continue comme Président - pour assurer la continuité du modèle néolibéral. Le peuple pauvre, qui avait espéré que son tour était arrivé de recevoir plus justement le fruit de son travail, peut même continuer à avoir confiance en Lula mais sans autres possibilités que celle de se satisfaire des petites aides que le gouvernement lui concède à travers ses politiques compensatoires de caractère d’urgence, maintenant le peuple dans la dépendance de toujours, dans un Brésil qui continue à être inégal et injuste.

Il se peut même que Lula soit réélu et entre dans notre histoire comme un Président assez raisonnable, avec plus de sensibilité sociale que ceux qui l’ont précédé, sans d’autoritarisme tout-puissant et sans répression. L’on pourra même signaler des petits changements promus par son gouvernement dans une série de politiques publiques, de même que de petits appuis qu’il donna à ceux qui luttaient pour les grandes transformations dont le Brésil a besoin. Mais je crains qu’un nouveau gouvernement Lula ne représente malheureusement pas plus qu’un moindre mal. Le PT avec lui n’est pas arrivé à réaliser le rêve qui l’amena sur la scène nationale. L’espérance ne l’a pas emporté.

Continuons cependant. Sans trop espérer de tel ou tel gouvernant et sans enthousiasme majeur pour les élire, je préfère continuer à suivre dans l’horizontalité d’autres et de nouveaux chemins, construits par les marcheurs eux mêmes au fur et à mesure de leur cheminement.