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Crise

Pour une lutte globale contre les paradis fiscaux ?

Mercredi 29 octobre 2008, par John Christensen et Richard Murphy

Avec la crise économique mondiale, le thème de la régulation financière est enfin devenu d’actualité. Il est à présent largement admis qu’une telle réforme est nécessaire au niveau global. Certains la considèrent impossible dans un monde d’états souverains centrés sur leurs intérêts individuels, mais nous ne sommes pas de cet avis : c’est possible, mais uniquement en tenant compte du contexte dans lequel la régulation s’opère. C’est là que se situe le cœur du problème, qui est presque toujours épargné par les feux des projecteurs – les paradis fiscaux. Le monde offshore a presque entièrement créé les conditions qui ont mené à cette crise, et à moins de s’attaquer au problème des paradis fiscaux, tout effort pour résoudre la crise sera vain.

Que font les paradis fiscaux ? En vérité, le terme est mal choisi et nous préférons celui de "juridictions du secret", car elles n’offrent pas un, mais trois avantages : des taxes minimes ou nulles, de la discrétion et une régulation laxiste. Ainsi, ces juridictions font "concurrence" aux pays en proposant des taxes toujours plus basses et une régulation toujours plus laxiste. Comme nous l’indiquions dans notre proposition au Comité sur le Trésor de la Chambre des Communes en juin dernier, les paradis fiscaux entreprennent délibérément de « saper l’impact des législations votées dans d’autres pays », et de faire apparaître les choses différentes de ce qu’elles sont. Cette activité fait peser une grave menace sur le monde.

Le résultat de ces manœuvres devient visible aujourd’hui avec le contexte de la crise économique actuelle. Le système bancaire a largement cessé de fonctionner parce que les banques ont cessé de faire confiance aux déclarations de leurs pairs à propos de leurs finances, structure et comptabilité. L’opacité est devenue le maître mot dans l’affaire. Et ce sont les "juridictions du secret" qui créent cette opacité, et ce par différents moyens.

Premièrement, elles offrent la discrétion, bien évidemment. Toutes les banques principales en ont tiré avantage, bien assistées par les "Big 4" qui opèrent dans tous les paradis fiscaux importants.

Deuxièmement, elles génèrent de l’incertitude concernant les avoirs de chacun. Les entités offshore étaient souvent utilisées dans le but d’isoler la possession de moyens financiers par leurs « parents onshore », afin d’assurer de meilleures notations financières. Les arrangements sont souvent abusifs. Le résultat a été, par exemple, que, lorsque Northern Rock fut nationalisé, la Chambre des Communes a tenu de longs débats tard dans la nuit pour savoir si cela signifiait également la nationalisation de Granite, une compagnie de l’ombre basée à Jersey. En réalité, personne ne connaissait la réponse. Ces 40£ milliards d’avoirs se trouvaient en apparence dans les limbes d’un monde dont personne ne connaissait les règles. Il arrive souvent que personne ne sache qui va honorer les dettes de ce que sont, légalement parlant, des entités séparées. Toutes les victimes de la crise actuelle : Lehman, Bear Stearns, HBOS, UBS, Saschen LB, et d’autres étaient impliquées étroitement dans ce genre d’opérations offshore.

Troisièmement, ces juridictions génèrent de la complexité, une forme d’opacité. L’opacité profite à la personne qui, comme l’a affirmé le directeur d’Enron en plaisantant, est « la personne la plus intelligente dans la pièce ». Cela a servi, sans aucun doute, à déplacer les risques des grandes institutions financière à la société en général. Des compagnies ont disséminé leurs finances dans le monde, en créant des structures complexes à travers les juridictions afin d’exploiter les failles réglementaires. Une compagnie incorporée sur l’île de Man peut appartenir à un trust à Jersey, avoir son compte bancaire au Luxembourg ; le tout contrôlé en apparence par des directeurs nommés sur les îles Caïmans. Même si les paradis fiscaux étaient "bien régulés", comme ils l’affirment, la régulation d’une telle compagnie glisserait tout de même entre les doigts. En fait, elles ne sont régulées nulle part, car chaque juridiction ne porte la responsabilité que pour ce qui se passe dans son domaine et non pour l’entièreté de son entité. Et cela résulte d’un choix délibéré.

La régulation ne peut pas fonctionner de manière efficace dans un tel cadre. Les banques défaillantes le savaient et en on tiré parti. Dans cette logique, les paradis fiscaux permettront à de nombreux gagnants des années d’exubérance de protéger leurs gains dans des boîtes noires offshore, et ce même si les cours et tribunaux désirent le contraire.

Ces paradis fiscaux ne sont pas uniquement ces îles exotiques bordées de palmiers qui remplissent l’imagination populaire. Ils se trouvent également au cœur de l’économie globale. La City de Londres, en particulier, comporte plusieurs caractéristiques d’une entité "offshore". Lorsque l’on ajoute à cela que la Grande-Bretagne entretient des liens étroits avec de nombreux paradis fiscaux satellites comme les îles de Jersey et Caïman, il devient évident que la Grande-Bretagne devra jouer un rôle central dans la réponse globale à apporter au problème. Gordon Brown et ses prédécesseurs ont ignoré la question jusque ici. Nous pensons qu’ils ont délibérément détourné les yeux afin de permettre aux paradis fiscaux de prospérer. Résultat : ils n’ont pas réussi à protéger le public britannique des désastres comme celui qui a lieu actuellement, et ont permis aux "juridictions de la discrétion" d’infliger de graves dégâts aux populations pauvres d’Afrique et d’ailleurs.

Ceci a été exploité au maximum par les paradis fiscaux – qui ont été au centre de projets néo-conservateurs. Durant des décennies, ces juridictions ont forcé des gouvernements à faire des concessions sans fin dans le domaine de la taxation et de la régulation en faveur des intérêts des puissants, soutenus par des lobbies financés par des organisations néo-conservatrices étasuniennes. Les paradis fiscaux font le "sale travail" silencieusement et de plein gré, au profit de ceux qui veulent voir la richesse et le capital libérés de la taxation et des contraintes réglementaires. Ils ont prouvé qu’ils sont capables de remplir ces objectifs : à moins d’être combattus, ils saboteront tout effort futur pour construire une gouvernance globale et une coopération internationale.

C’est pourquoi nous devons mettre en route un combat global contre les paradis fiscaux. L’affaire du Liechtenstein et le scandale de la taxe UBS, parmi beaucoup d’autres exemples, focalisent les esprits européens et américains ; le Stop Tax Haven Abuse Act aux USA bénéficie d’un soutien multi partisan. Récemment, nous avons également assisté à des protestations d’Africains, de Latino-américains et d’autres.

Cet élan doit avoir plusieurs effets. A long terme, il doit empêcher que la régulation soit empêtrée dans un milieu criblé d’acteurs puissants qui essaient délibérément de la miner. Plus immédiatement, il permettra aux responsables politiques de s’attaquer à la résolution de la crise, en leur rendant le pouvoir de taxer la richesse et le capital et de protéger les perdants. S’attaquer à la tension grandissante entre intégration globale et manque de gouvernance internationale crédible est impossible lorsque les juridictions et les populations financières et criminelles qui les habitent, contrarient nos tentatives de déployer des contrôles démocratiques.

Nous insistons sur le fait que le rôle des "juridictions secrètes" dans tout ceci n’est pas limité à la crise actuelle : il est générique. Saper la transparence démocratique est leur métier.

Les responsables politiques peuvent, et doivent, être plus courageux à présent. Au nom de l’intérêt public.


Voir en ligne : www.cetri.be