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ISRAEL

Nationalité, sionisme et séparation de la religion et de l’Etat

Mercredi 2 janvier 2008, par Michel Warschawski

Pour qu’Israël puisse se transformer en un Etat démocratique, il faut, entre autres choses, qu’il devienne un Etat laïc. Pour préserver l’autonomie de la religion, il faut dissocier la religion des besoins de l’Etat.

On a coutume de dire que le quotidien Ha’aretz est un journal progressiste. Pourtant, en général, on ne voit guère ce qu’il a de progressiste quand Israël part en guerre contre l’un de ses voisins - l’opposition du journal aux deux dernières guerres ne s’est manifestée qu’après qu’il ait apporté son soutien à la politique du gouvernement et à l’armée - ou quand Israël maltraite le peuple palestinien. Par contre, quand il s’agit de traiter des questions de religion, et particulièrement de la haine religieuse, le progressisme de Ha’aretz, de ses rédacteurs et de son lectorat, est incommensurable.

Dans son édito du 27 décembre, ses journalistes s’insurgent contre le « blocage ultra-orthodoxe » qui empêche la conversion de centaines de milliers de nouveaux immigrants venant de l’ex-Union soviétique : « Les rabbins ultra-orthodoxes font pression et menacent le gouvernement, causent délibérément des difficultés aux tribunaux rabbiniques, lesquels agissent sous l’autorité de l’Etat. Les ultra-orthodoxes ne sont vraiment pas intéressés pour que de nouveaux membres rejoignent le peuple élu. »

Cette critique exprime l’opinion courante au sein de ce qu’on appelle « le camp libéral progressiste » en Israël.

Vraiment libéral ? Et vraiment progressiste ?

Ce même camp accepte l’idée que dans un Etat juif, la nationalité pleine et entière n’est possible que pour un Juif. Et pas pour n’importe quel Juif, un Juif selon la définition donnée par l’establishment religieux. Il est difficile de discerner dans cette définition le moindre signe de progrès ou d’évolution. Elle est basée sur la légitimation d’un Etat ethnique - à l’opposé de tout sens civique - notamment dans ce que doivent être les critères de résidence et les rapports à la terre.

En effet, le sens religieux ne s’accorde pas toujours avec les intérêts nationaux, notamment avec le besoin, pour un Etat sioniste, de multiplier autant que possible le nombre de non-Arabes dans le registre de la population. Cette contradiction - entre la dépendance de la religion par rapport à la définition de la nationalité et le besoin national d’augmenter le nombre de résidents répondant à la définition du Juif - contraint les libéraux à se faire les analystes et les réformateurs de la religion. Les membres de la Knesset qui, publiquement, n’observent pas le jour du Shabbat, comme les journaux non religieux, s’appuient sur les structures du modèle religieux pour conforter leur idéologie et les intérêts nationaux ! Il s’agit d’une ingérence inacceptable dans les affaires internes de la religion, typique des régimes totalitaires qui soumettent la religion à leurs besoins. Cela n’a absolument rien à voir avec le progrès et le libéralisme.

Bien sûr, on peut procéder autrement : pour préserver l’autonomie de la religion, il faut dissocier la religion des besoins de l’Etat. Ainsi, on empêche toute immixtion de la religion dans les affaires de l’Etat, mais on garantit en même temps que l’Etat ne s’ingère pas dans les affaires de la religion. Cette séparation protège les citoyens de toute ingérence de la religion dans la vie privée de chacune et de chacun, et renforce la possibilité pour les croyants de pouvoir vivre leur vie comme ils l’entendent. Telle est le sens de la notion de « laïcité », l’un des caractères fondamentaux d’une démocratie moderne.

La rédaction de Ha’aretz et ses amis du camp libéral, cependant, ne sont pas du tout des laïcs. La plupart détestent la population croyante à la haine raciste, mais ils ne reprennent pas pour autant l’idée d’une séparation de l’Etat et de la religion, la religion leur fournissant une justification pour revendiquer la possession exclusive du territoire, ce qui, avec la définition de la nationalité, exclut les Palestiniens de l’ensemble et les laissent, dans le meilleur des cas, dans une position de citoyens de seconde zone.

Pour qu’Israël puisse se transformer en un Etat démocratique, il faut, entre autres choses, qu’il devienne un Etat laïc. C’est-à-dire que la religion a besoin d’être l’affaire privée de chaque citoyenne et de chaque citoyen, sans qu’on essaye de déterminer ce qu’est une « religion raisonnable », une « religion progressiste » ou une « religion moderne ». C’est le droit démocratique de toute citoyenne et de tout citoyen de vivre selon sa religion. Dans un Etat laïc, la religion n’a pas à déterminer qui est un citoyen et qui ne l’est pas, ni quels sont les droits de chacun, et l’Etat n’a pas à déterminer qui peut appartenir à tel ou tel groupe religieux.

Dans un Etat démocratique, la communauté religieuse est un club privé et exclusif, seuls ses membres ont le droit de décider qui appartient et qui n’appartient pas à ce groupe. Essayer de « convaincre » les rabbins de convertir des centaines de milliers d’immigrants venant de l’ex-Union soviétique ne constitue pas seulement un acte raciste à l’encontre des Palestiniens, mais aussi une grave atteinte à l’autonomie religieuse, et fait de la religion un outil au service des objectifs de politique étrangère.


Voir en ligne : www.info-palestine.net