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AFRIQUE

Mouvements sociaux et résistances à la mondialisation néolibérale

Jeudi 11 septembre 2008, par Demba Moussa Dembélé

L’intensification des luttes au niveau national et la portée des campagnes continentales - pour la souveraineté alimentaire, contre le libre-échange, la « dette illégitime », la corruption et la militarisation - reflètent la désillusion croissante des opinions africaines à l’égard du modèle néolibéral. Le défi pour les mouvements sociaux est d’accentuer la résistance et de renforcer la recherche d’alternatives, populaires et démocratiques.

En Afrique, la résistance aux politiques néolibérales s’est intensifiée ces derniers temps. La tenue à Nairobi au Kenya de la 7e édition du Forum social mondial (FSM 2007) a contribué à une plus grande prise de conscience des défis posés au continent africain par le paradigme néolibéral.

Contribution du FSM de Nairobi
Le FSM de Nairobi a été l’occasion d’une très grande mobilisation des mouvements sociaux africains venus des cinq sous-régions du continent. Des mouvements qui étaient jusque-là en dehors du processus du FSM ont saisi cette occasion pour se faire connaître et nouer des relations de solidarité avec d’autres organisations. En outre, les syndicats africains étaient venus en force pour débattre des problèmes liés à l’emploi et participer à la campagne internationale pour le « travail décent » lancée par le BIT. Nairobi a aussi permis de renforcer la solidarité entre mouvements du Sud, avec la deuxième rencontre afro-asiatique, organisée en marge du FSM, après celle de Delhi lors du Forum social indien.

Mais Nairobi a surtout permis de revisiter les principaux défis de développement auxquels fait face le continent africain. Les accords de « libre-échange » en cours de négociation avec l’Union européenne, la dette extérieure illégitime et les politiques des institutions financières internationales ; la question de la souveraineté alimentaire ; le thème du sida ; les problèmes de l’éducation ; les questions sécuritaires liées aux conflits et aux interventions étrangères ; les droits humains et la question de la gouvernance démocratique… Bref, toutes les grandes questions qui préoccupent les peuples africains ont donné lieu à d’intenses débats lors du FSM de Nairobi.

Campagnes continentales et internationales
Les principales campagnes africaines, continentales et internationales, portent sur les « Accords de partenariat économique » avec l’Europe, sur la dette extérieure illégitime et les politiques des Institutions financières internationales (IFI), sur la souveraineté alimentaire, sur les migrations et la corruption, et enfin sur les conflits et la sécurité.

Mobilisation contre les APE

La mobilisation contre les APE a été un des temps forts du Forum de Nairobi, avec l’organisation de plusieurs débats et une grande marche dans les rues de la capitale. Après le FSM, les mobilisations se sont intensifiées tout au long de l’année 2007, étant donné l’approche de la date butoir des négociations et les pressions de plus en plus fortes de la Commission européenne (CE). C’est ainsi que plusieurs rencontres ont été organisées dans les sous-régions et dans divers pays. En outre, les Sommets annuels des communautés sous-régionales (CEDEAO, SADC, CEMAC) ont été marqués par des sommets parallèles durant lesquels la question des APE fut au centre des débats. Des marches ont été organisées dans nombre de pays, tels que le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud, le Mali, le Sénégal, etc. Cette mobilisation s’est également traduite par un travail de lobbying auprès des dirigeants et négociateurs africains, au niveau national et sous-régional. La lutte a connu un autre moment fort, le 27 septembre 2007, journée mondiale de mobilisation contre les APE.

La détermination des mouvements sociaux à faire échouer les APE sous leur forme actuelle est à la mesure des graves menaces qu’ils font peser sur les économies africaines. L’ONG britannique Oxfam rapporte cet aveu d’un membre de la CE : « Alors que la libéralisation du commerce pourrait encourager les consommateurs à acheter des produits [à des prix abordables], elle pourrait aussi accélérer l’effondrement du secteur manufacturier moderne de l’Afrique de l’Ouest ».

C’est conscients de ces dangers que les représentants du secteur privé de l’Afrique de l’Ouest, réunis à Cotonou du 4 au 6 juin 2007, ont exigé des gouvernements de la sous-région des mesures appropriées pour sauvegarder les industries locales : « Prenant en compte les menaces réelles qui pèsent sur certains secteurs de l’économie, l’atelier recommande que des mécanismes de défense commerciale efficaces soient mis en place. … pour la survie de la production locale. »

Contre la dette illégitime et les politiques des IFI

La dette illégitime du continent et son corollaire, l’ingérence inacceptable de la Banque mondiale et du FMI, ont également été au cœur des mobilisations tant à Nairobi que durant le reste de l’année 2007. A Nairobi, les mouvements africains et leurs homologues des autres pays du Sud ont décidé d’intensifier la campagne contre la dette illégitime de leurs pays. A cet effet, deux ateliers de formation ont eu lieu à Nairobi et à Dakar, entre fin juillet et la mi-août 2007. Des représentants des mouvements sociaux de plus de 30 pays y ont pris part. Ces ateliers ont participé de la préparation de l’assemblée générale de Jubilé Afrique, tenue en novembre 2007 au Ghana, pour honorer la mémoire du président Kwame Nkrumah, figure de proue du panafricanisme et de l’unité africaine.

Les participants à ces ateliers ont réaffirmé leur détermination à intensifier la campagne pour l’annulation inconditionnelle de la dette de tous les pays africains. Pour appuyer cette campagne, des audits officiels et citoyens ont été proposés dans plusieurs pays. En outre, ils ont décidé de renforcer leurs luttes contre les politiques de la Banque mondiale et du FMI. A cet effet, des audits de ces institutions ont été proposés conjointement avec des partenaires du Nord et une semaine mondiale de mobilisation contre la dette et ces institutions a eu lieu du 14 au 21 octobre 2007.

Pour la souveraineté alimentaire

Si les organisations de producteurs agricoles jouent un rôle de premier plan dans la mobilisation contre les APE, cela s’explique par la grave menace que représenteraient ces accords pour l’agriculture africaine, surtout pour la souveraineté alimentaire du continent. En effet, pour les producteurs africains, l’Afrique a les moyens de se nourrir elle-même. Cependant les politiques néolibérales imposées par les IFI ont non seulement empêché la réalisation de cet objectif, mais rendu l’Afrique encore plus dépendante sur le plan alimentaire.

C’est pour éviter d’aggraver cette dépendance que les organisations de producteurs demandent aux gouvernements africains de ne pas signer les APE sous leur forme actuelle. En Afrique de l’Ouest, ces organisations préconisent « l’élaboration et la mise en œuvre d’une Charte sous-régionale de souveraineté alimentaire [ainsi que]…la définition et la mise en œuvre d’une politique commerciale et des mesures de protection conformes aux objectifs de la Charte de la souveraineté alimentaire. » La même préoccupation était au centre du premier Forum mondial sur la souveraineté alimentaire, organisé à Nyéléni au Mali en février 2007.

Migrations internationales et… corruption

Ni les drames en haute mer, ni l’extension du dispositif de surveillance européen « Frontex » à des pays comme le Sénégal, n’ont mis fin à l’émigration « clandestine ». Ce n’est pas le goût de l’aventure qui anime les jeunes qui risquent ainsi leur vie, mais plutôt la fuite de la misère, comme l’illustre cette réponse de jeunes refoulés d’Espagne : « Nous préférons mourir que de vivre dans la misère. Tout ce qu’on veut c’est d’avoir les moyens de gagner dignement notre vie. Rien n’est plus beau que de rester à côté de sa famille…tout en gagnant sa vie ».

Le drame de la migration est une illustration tragique de la faillite des politiques néolibérales qu’on a voulu imposer aux pays africains par l’intermédiaire de la Banque mondiale et du FMI. Ce drame traduit également l’incurie des dirigeants africains, dont la plupart ont contribué au pillage de leurs pays par la corruption et les détournements de deniers publics. Donc la solution à ce drame passe par la lutte contre les politiques actuelles et les régimes corrompus qui les appliquent. C’était l’une des conclusions des deux premières éditions du Forum thématique sur les migrations, organisé à Bamako en octobre 2006 et en décembre 2007.

Sécurité : le danger du militarisme états-unien

L’instabilité liée aux conflits en Afrique contribue à fragiliser le continent et à faciliter sa domination et le pillage de ses ressources. Les Etats-Unis cherchent à exploiter cette instabilité pour s’implanter militairement sur le sol africain. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’annonce par George W. Bush le 6 février 2007 de la création d’un Commandement militaire africain (Africom). Et cela, sous prétexte d’aider les pays africains à combattre des groupes liés à Al-Qaida. Pis encore, les Etats-Unis veulent installer Africom sur le sol africain ! Il y a de gros risques que sous prétexte d’aider à « lutter contre le terrorisme », Africom devienne un instrument d’exportation de la politique d’agression des Etats-Unis en Afrique, comme cela se passe déjà en Somalie.

C’est pourquoi depuis cette annonce, les mouvements sociaux, tout comme certains gouvernements, se mobilisent pour faire échec à ce projet. Les pays membres de la SADC, sous la houlette de l’Afrique du Sud, ont publié un communiqué récusant l’installation d’une base nord-américaine sur le sol africain. En Afrique de l’Ouest, le Nigeria a affiché son hostilité à un tel projet. En fait, le vrai objectif des Etats-Unis n’est pas « la sécurité » du continent africain mais la sécurité de leurs approvisionnements en pétrole, car selon diverses sources , d’ici 2015, les Etats-Unis pourraient importer 25% ou plus de leurs besoins en pétrole de l’Afrique, notamment de la région du Golfe de Guinée, dont fait partie le Nigeria.

Intensification des luttes au niveau national
Certaines des campagnes évoquées plus haut, comme celles portant sur les migrations ou la dette extérieure, ont un lien étroit avec la gestion catastrophique des Etats africains. C’est pourquoi dans plusieurs pays, notamment en Guinée et au Niger, les mouvements sociaux ont intensifié la résistance aux politiques appliquées par leurs gouvernements.

En Guinée, le courage et les énormes sacrifices consentis par les mouvements sociaux sous la direction des syndicats ont obligé le vieux dictateur Conté à limoger toute l’ancienne équipe corrompue et à choisir un nouveau premier ministre. La lutte a permis de mettre à nu l’ampleur de la corruption et l’incurie du régime Conté. Elle a surtout renforcé la crédibilité du mouvement social guinéen comme force incontournable dans les débats sur l’avenir du pays.

Au Niger, les mouvements sociaux ont contribué à la chute de l’ancien premier ministre mêlé dans un grand scandale de corruption. Au Sénégal, les mouvements sociaux, notamment les syndicats, ont obligé le gouvernement à reculer sur plusieurs fronts (éducation, santé, prix des produits de grande consommation, etc.). En Afrique du Sud, au Zimbabwe et en Zambie, les syndicats ouvriers ont engagé des luttes très dures pour exiger de meilleures conditions de travail et la revalorisation de leurs salaires. En outre, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal, les luttes contre les politiques de libéralisation se sont intensifiées, obligeant les gouvernements à prendre des mesures pour protéger certaines filières contre les importations des pays du Nord.

Ces luttes et les campagnes évoquées plus haut reflètent la désillusion croissante à l’égard du modèle néolibéral, de plus en plus militarisé. Le défi pour les mouvements sociaux africains est d’accentuer la résistance à ce modèle et de renforcer la recherche de politiques alternatives, populaires et démocratiques. La réalisation d’un tel objectif passe par la jonction entre les mouvements sociaux et les forces politiques progressistes, à l’instar de ce qui se passe en Amérique latine. Ce sera l’un des sujets de débat lors du prochain Forum social africain prévu en 2008.


Voir en ligne : www.cetri.be