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CRISE AU MOYEN-ORIENT

Militarisme made in Israel

Mercredi 20 septembre 2006, par Yagil Levy

Pendant quelques années, l’institution militaire israélienne semblait perdre de l’influence au sein de la société, surtout au moment des accords d’Oslo. Depuis le début de l’Intifada Al-Aqsa cependant, le processus s’est inversé. Les militaires sont revenus au premier plan de la gestion de la question palestinienne pour l’État israélien.

Dans la logique de l’État d’Israël vu comme une forteresse assiégée, le statut des militaires s’est inscrit naturellement dans le psyché national. Mais depuis toujours, plusieurs s’interrogent sur l’omniprésence des militaires sur la scène politique, sur la coopération entre les divers niveaux où se prennent les décisions, sur la mobilité des officiers retraités dans les positions de pouvoir au sein du gouvernement. En fait, les militaires ont seulement le pouvoir que les élites civiles leur accordent. Puisque les militaires se conforment en théorie du moins au principe de la subordination aux autorités politiques, il faut analyser les mécanismes informels qui donnent à l’armée un tel pouvoir dans la société israélienne. La mise en place d’un l’État en 1948 sur la base d’une inégalité ethnique et d’une société de classe est le point d’origine. Par des moyens militaires, les Palestiniens ont été marginalisés. Les Juifs occidentaux (Ashkenazi) ont pu dominer les Juifs orientaux (Mizrahi) venus des pays musulmans et installés en périphérie du pays, sur des terres arides, sans emploi ni infrastructure et face à un système de patronage et d’idéologie légitimisant les rapports inégaux de pouvoir. Depuis, cette structure s’est reproduite malgré l’avancement de certains Mizrahi et l’incorporation de nouveaux immigrants de l’ex Union soviétique et d’Éthiopie.

Le rôle changeant de l’armée dans le maintien de l’ordre social

Les militaires ont été impliqués dans le maintien de cet ordre social de plusieurs façons. Ils ont d’abord conquis les terres en 1948 qu’ils ont pu distribuer aux nouveaux arrivants sans provoquer de conflits qui auraient découlé d’expropriations de terres privées en temps normal. Après 1967, l’occupation de nouveaux territoires palestiniens a contribué à la croissance économique, notamment à cause de l’afflux de fonds des États-Unis et de l’absorption de la main d’œuvre palestinienne à bon marché. Également la construction des colonies de peuplement grâce à des subventions de l’État a permis la mobilité sociale des Mizrahi. Par la suite quand l’État a décidé de mettre fin au Welfare State à l’intérieur de la ligne verte (les frontières de 1967), cette situation a permis d’absorber le choc. Parallèlement, l’armée a solidifié l’ordre social par la politique de la conscription. Cette armée « populaire a favorisé la mobilité sociale, à forger l’identité collective. En fait, l’armée israélienne a fonctionné non seulement comme une organisation militaire professionnelle, mais aussi comme un moyen pour les groupes dominants de perpétuer leur contrôle. A partir de la guerre d’octobre 1973 toutefois, le statut des militaires a commencé à évoluer. La composition sociale de l’armée a également changé. L’institution militaire qui avait garanti la mobilité de plusieurs groupes est devenue moins opérationnelle dans ce genre. Des groupes exclus de l’armée comme les Juifs ultra orthodoxes, les citoyens israéliens palestiniens et les femmes s’en sont mieux sortis même en étant à l’écart de l’armée. La guerre au Liban a aggravé cette situation en démontrant le côté morbide du conflit, ce qui a par la suite été intensifié par la première Intifada. Pour la classe moyenne israélienne, l’armée était de plus en plus perçue comme un obstacle vers la voie de leur insertion dans le capitalisme mondial. De cela est apparue une crise dite des motivations dans les années 1990. La situation s’est par la suite rétablie pour l’armée au début des années 2000.

Le renouvellement du militarisme

Plusieurs facteurs jouent en ce moment dans le renouvellement du militarisme. La coalition ethnico-nationaliste au pouvoir vit de et reproduit en même temps un discours ethnico-national. Le pays est présenté comme une extension de la communauté juive. La citoyenneté n’est plus l’acceptation d’un certain nombre de droits et d’obligations, mais l’appartenance au collectif juif qu’il faut donc défendre contre tous ses ennemis « extérieurs ». L’Intifada et les accords d’Oslo ont renforcé cette identité ethnique juive. La « paix » d’Oslo était présentée comme une création « ashkenazi » laissant derrière les autres groupes sociaux. Depuis, une nouvelle coalition s’est mise en place avec les sionistes religieux, les ultra-orthodoxes et les communautés Mzrahi et russes pour ralentir et même bloquer le processus d’Oslo qui semblait menacer les symboles juifs et le rôle périphérique des Palestiniens. Entre-temps, cette coalition a accentué sa présence dans l’institution militaire. Pendant que l’élite occidentalisante s’est éloignée de l’armée, ces groupes en ont profité, notamment dans les unités de combat.

Depuis le début de la seconde Intifada, le commandement militaire a compris que la confrontation avec les Palestiniens était une opportunité pour effacer l’image négative associée aux échecs du passé, notamment les accords d’Oslo et le retrait du Liban. La nouvelle composition de l’armée s’est également traduite par un changement du comportement, plus ouvertement hostile aux Palestiniens. Une partie de l’ancienne élite militaire s’est insurgée contre cette évolution, jusqu’à condamner des actions de répression contre des civils.

* Yagil Levy enseigne à l’Université Ben-Gurion et collabore avec le Alternative Information Center de Jérusalem. Article traduit et abrégé de l’original publié dans News from Within, Vol. XXII, No. 6, juillet 2006.