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SOMALIE

Les pirates pollueurs ne sont pas sanctionnés

Mardi 21 avril 2009, par Colette Braekman

Il aura fallu que des navires occidentaux, chargés de pétrole et de containers, soient arraisonnés au large de la Somalie pour que ce pays retrouve soudain une visibilité qu’il avait perdue depuis 18 ans et que l’on se rende compte des conséquences que peut entraîner la faillite d’un Etat.

Dans les premiers temps de son indépendance, la Somalie présentait une homogénéité assez rare en Afrique : culture, langue et religion musulmane unissaient ses huit millions d’habitants et, d’une poigne de fer, le président Mohamed Syiad Barre avait réussi à s’imposer aux cinq grands clans régissant le pays. Il avait aussi proposé une « idéologie nationale » reposant sur l’ambition de réunifier les « cinq branches » de la nation somalienne, se proposant de reprendre un jour Djibouti, alors colonie française, et l’Ogaden dévolue à l’Ethiopie. Les ambitions de Syad Barre s’effondrèrent en même temps que vacillait l’Union soviétique qui avait longtemps soutenu le général-président : alors que l’Ethiopie, sous la férule du colonel Mengistu, (qui avait mis fin au règne de l’empereur Hailé Sélassié), passait dans le camp soviétique, la Somalie, elle, choisissait le « camp américain ». La soudaine occidentalisation du pays qui s’en suivit fut synonyme de corruption tandis que le vieux dictateur, s’accrochant au pouvoir, se repliait de plus en plus sur sa base tribale, jusqu’à son renversement en 1991. Cette année là, les Issaks de l’ancien Somaliland britannique proclamèrent une indépendance que nul ne reconnut et se détachèrent de Mogadiscio livrée à la lutte des clans. En 1992, les Etats Unis tentèrent de rétablir l’ordre, d’enrayer massacres et famines, mais l’opération Restore Hope fit contre elle l’unanimité de ce peuple hostile à toutes les interventions étrangères. Les images du lynchage des Marines firent le tour du monde.

Depuis lors, la Somalie, déchirée par la lutte entre les clans, a poursuivi sa descente aux enfers et l’Union des tribunaux islamiques, arrivés au pouvoir en 2006, tenta brièvement de reprendre le contrôle du pays et d’y rétablir l’ordre.
Mais redoutant l’influence d’Al Qaida, les Occidentaux, Américains en tête, se méfièrent des islamistes somaliens accusés d’avoir enrôlé dans leurs rangs plusieurs milliers de combattants étrangers. Le premier ministre éthiopien, Menes Zenawi, se crut autorisé en 2006 à entrer en guerre contre son voisin. Chassés du pouvoir, les tribunaux islamistes furent remplacés par un gouvernement de transition soutenu par les Occidentaux mais qui, durant longtemps, n’osa pas siéger à Mogadiscio livrée au règne des milices et des chefs de guerre.

Début 2009, les troupe éthiopiennes levèrent le camp, laissant sur le terrain une force de paix dépêchée par l’Union africaine forte de 3400 hommes.
Durant ces années de guerre, les populations, plus que jamais, plongèrent dans l’économie informelle, totalement à l’écart de toute autorité étatique : les nomades du Puntland, qui recevaient les commandes grâce à leurs portables, approvisionnaient en chameaux de boucherie l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, mais sur la côte, l’existence des pêcheurs devenait de plus en plus précaire.

En effet, en l’absence de tout gouvernement fonctionnel, la côte des Somalis fut ouverte aux bateaux-usines de toute origine, des chalutiers qui pratiquant une pêche intensive, appauvrirent les fonds marins. De nombreux pêcheurs choisirent l’exil, se réfugièrent au Kénya ou grossirent les barques de boat people africains partis à l’ assaut de l’Europe. D’autres furent recrutés par les pirates… Dans le magazine californien URB, (repris par le Courrier International) le poète somalien N’Kaan rappelle aussi une autre cause du marasme qui a gagné la côte des Somalis : la contamination de l’environnement. Le tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud Est a provoqué une grave pollution en Afrique de l’Est, car des navires qui transportaient des containers de déchets perdirent leur cargaison et d’innombrables barils échouèrent sur les côtes de Somalie. Mais surtout, depuis le début des années 90, ce pays sans Etat devint la cible d’une véritable « mafia des déchets ». A plusieurs reprises, le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) dénonça un accord passé avec une firme italienne, prévoyant l’envoi, pendant 20 ans, de 500.000 tonnes de déchets toxiques par an vers la Somalie. Malgré les dénonciations de l’ONU, de Greenpeace et d’autres associations, aucune enquête n’a jamais pu être menée sur le terrain, qui aurait permis de mesurer les dégâts provoqués par les cargaisons de déchets nucléaires, toxiques, hospitaliers et autres qui furent déposées sur les rivages somaliens ou immergés au large des côtes.

Ce piratage là, qui a rapporté des dizaines de millions de dollars à ses auteurs, n’a jamais été sanctionné mais c’est aussi la dégradation de leur milieu et l’épuisement des ressources halieutiques qui a poussé les pêcheurs à servir de main d’œuvre aux mafias et aux chefs de clans…