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Les ÉTATS-UNIS et le MOYEN-Orient

Les options de l’administration Bush

Entretien avec Gilbert Achcar

Lundi 26 mars 2007

A un moment donné, Condoleezza Rice a parlé du « nouveau Moyen-Orient ». Quel est votre avis sur cette question ?

Condoleezza Rice a utilisé cette malheureuse formulation durant la guerre du Liban. De fait, elle faisait allusion plus précisément aux douleurs d’accouchement d’un nouveau Moyen-Orient. C’est vraiment une manière désastreuse de s’exprimer, de présenter les choses.

Dans cette formulation, l’on trouve même des échos du discours colonial bien connu : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Comme si les êtres humains étaient des œufs.

De même, elle voit les 1500 morts du Liban comme les douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient, alors que celui-ci n’est plus une nouveauté. En 2004 déjà, le gouvernement nord-américain annonçait son projet d’un « grand Moyen-Orient », projet qui a changé d’appellation à plusieurs reprises, mais qui est toujours fondé sur l’idée que les Etats-Unis tentent de remodeler la région, y apporter la démocratie, la civilisation...
C’est un discours typiquement colonialiste, qui de fait ne trompe presque personne, car les gens de la région savent parfaitement qu’il s’agit d’un discours complètement hypocrite. Il est évident que le moteur des Etats-Unis n’est pas la démocratie, car, dans ce cas, ils auraient commencé par démocratiser leurs alliés dans la région, dont plusieurs sont de vrais cas de despotisme, au lieu d’envahir le territoire de tiers. C’est comme si une dictature tentait de parler au nom de la démocratie ; non pas que les Etats-Unis soient une dictature, mais leurs alliés dans la région le sont : Arabie Saoudite, Egypte, Jordanie et d’autres.

Les Etats-Unis peuvent-ils se permettre de perdre leur influence dans une région qui a toujours été d’importance vitale pour leurs intérêts ? Ce serait là le principal aiguillon qui les pousse à agir comme ils le font actuellement...
Non seulement ils ne peuvent pas se permettre de perdre de l’influence, mais en plus, ils tentent, depuis quelques années, de prendre le contrôle de la région. C’est une région dont ils ont dû partager le contrôle pendant quelques années, d’abord avec les Français et les Britanniques, et, plus tard, pendant la Guerre Froide, avec l’Union Soviétique. Aujourd’hui ils essayent d’imposer leur contrôle unique. Nous sommes dans un monde "unipolaire", comme on dit, et pour les Etats-Unis, cela passe par le contrôle du Moyen-Orient. C’est bien pour cette raison qu’ils essaient de camoufler leurs objectifs au moyen de fables et de ce discours sur leur mission civilisatrice dont nous parlions tout à l’heure ; c’est le même discours qu’affichait le colonialisme au XIXe siècle.

Vous et Chomsky n’attribuez pas une grande importance à l’influence du « lobby juif » dans l’élaboration de la politique étatsunienne pour ce qui a trait au Proche-Orient, du moins en comparaison avec d’autres intellectuels nord-américains comme James Petras.

Tout d’abord, je refuse le choix du terme « lobby juif ». Il ne s’agit pas d’un « lobby juif », mais d’un lobby pro-israélien. D’ailleurs il existe même un lobby officiel pro-israélien, l’AIPAC (American-Israeli Political Action Committee).
Eux-mêmes se désignent comme « pro-israéliens », et dans ce lobby il y a des Juifs et des non-juifs. Beaucoup de Juifs qui sont opposés à la politique menée par le gouvernement israélien, il est donc incorrect de parler de "lobby juif", c’est là une dénomination ethnique qui dans certaines bouches prend même un caractère antisémite. C’est un terme que je n’utilise donc pas.

Je ne nie évidemment pas qu’il existe un lobby pro-israélien, mais aussi bien Chomsky que moi-même sommes d’avis que ce n’est pas ce lobby pro-israélien qui dicte la politique des Etats-Unis. Cela équivaudrait à dire que c’est la queue qui fait bouger le chien et non l’inverse.

Derrière les politiques des Etats-Unis dans cette région du monde il y a des intérêts qui ont bien davantage de poids, par exemple le lobby des intérêts pétroliers, dont l’importance est énorme.

Les montants les plus importants dans la balance commerciale des Etats-Unis sont ceux réalisés par l’industrie pétrolière. Ce lobby dispose d’un poids de loin supérieur dans la politique américaine – surtout dans une optique matérialiste – qu’un lobby fondé sur des alliances et des loyautés « ethniques », politiques ou idéologiques.

En outre, si l’on analyse l’évolution historique des rapports entre Israël et les Etats-Unis, on voit clairement qu’il y a eu des hauts et des bas, et que les Etats-Unis n’ont pas toujours eu la même relation privilégiée avec Israël. Il y a même eu des moments de tension entre les deux pays. Ce qui reste déterminant du côté américain, ce sont les intérêts lourds des Etats-Unis.
Bien entendu, il y a des administrations qui se montrent plus ou moins enclines à favoriser Israël, et cette administration-ci, pour diverses raisons qui n’excluent pas l’idéologie, la présence des néoconservateurs, etc., s’est montrée particulièrement favorable, notamment à Sharon.

Mais si nous observons comment cela se passe du même côté et dans la même famille, par exemple pour les deux présidents Bush, nous voyons que Bush père a eu une période de véritable tension avec Israël, pendant laquelle il a exercé une réelle pression sur cet Etat. C’est à partir de notre connaissance historique des rapports entre Israël et les Etats-Unis que nous arrivons à la conclusion que l’explication de la politique de cette puissance par le lobby pro-israélien est, d’une part, simpliste et, d’autre part, entraîne l’occultation du jeu véritable des intérêts.

Ce jeu d’intérêts ne se fonde pas sur l’altruisme, sur le soutien à Israël ou ce que représente Israël. Ce sont les intérêts pétroliers et non un petit groupe « ethnique » - les Juifs - qui dictent ces politiques (penser que ce sont les Juifs qui dictent ces politiques correspond à une vision antisémite du monde). Israël n’est devenu un joker important dans la région pour les Etats-Unis qu’à partir des années 1960, quand les ils ont été obligés d’évacuer leurs bases en Arabie Saoudite, transformant Israël en son cerbère privilégié, sans autre mission que celle de défendre leurs intérêts dans la région.

La dernière guerre d’Israël contre le Liban a été pleinement soutenue par Washington, non pas à cause du lobby pro-israélien, mais parce que Washington considère que le principal obstacle à son hégémonie dans la région est l’Iran. Le Hezbollah et le régime syrien sont considérés comme des alliés de Téhéran ; il s’agit donc d’une guerre en étroite relation avec les objectifs américains. Parmi toutes les guerres menées par Israël, c’est probablement celle qui est le plus directement en rapport avec les intérêts américains.

Nous avons également pu observer comment la présente administration a soutenu cette guerre beaucoup plus ouvertement que lors des conflits précédents dans lesquels Israël était impliqué. En résumé, ce type d’analyse, par le biais du « lobby juif », ne me paraît pas consistant.

Le dirigeant du Hezbollah, Nasrallah, a fait, il y a peu, une contribution surprenante à ce débat, lorsqu’il a dit : « Maintenant nous comprenons que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas Israël qui conduit les Etats-Unis, mais que c’est au contraire les Etats-Unis qui dictent la politique dans la région et qui dictent à leurs alliés ce qu’ils doivent faire ». Si même Hassan Nasrallah, qui, au vu de son appartenance à un courant religieux [chiite] pourrait être davantage enclin que d’autres à analyser la question en termes de Juif, de non-Juif, de Musulman, etc., a compris ceci, cela montre bien que la question tourne principalement autour des stratégies étatsuniennes pour exercer le contrôle sur la région.

Etant donné que votre ouvrage – dans sa traduction en langue castillane se lira avant tous dans l’Etat Espagnol – nous aimerions connaître votre avis sur l’« Alliance des Civilisations » proposée par le président Zapatero.

Il en est question dans ma prochaine publication en espagnol El choque de barbarismos. Le concept de civilisation comme quelque chose que l’on peut représenter me paraît en soi absurde. Je ne vois pas qui pourrait représenter une civilisation, cela ne veut rien dire. Quelle civilisation représente Zapatero ? Même si nous osions parler de civilisation espagnole, concept qu’on pourrait sûrement contester, à la vue de la carte ethnique nationale espagnole... de l’Etat Espagnol, comme on dit... Comment parler d’une civilisation européenne, avec tous ses différents pays, et, pire encore, comment parler d’une civilisation occidentale qui engloberait également les Etats-Unis ? Et qui représenterait cet amalgame ? Je trouve aussi absurde de parler d’alliance de civilisations que de parler de choc de civilisations.

Normalement, nous voyons que les médias libéraux ont une position apparemment critique à l’égard de la politique de Bush, mais, d’un autre côté, la manière dont l’information est présentée transmet un message de « choc de civilisations », de guerre contre le terrorisme... Par exemple, beaucoup de gens croient encore aujourd’hui que la guerre contre l’Afghanistan était juste et nécessaire. Quel est votre avis là-dessus ?

Dans mon livre consacré à cette question du « choc des civilisations », je dis que je ne pense pas que les civilisations puissent être représentées, ou du moins que personne ne peut prétendre représenter une civilisation.
Deuxièmement, des civilisations ne peuvent pas, au sens propre du mot, s’affronter. Nous pouvons parler de relations civilisées, des relations fondées sur le respect de certaines règles. Pour moi, quand il se produit un choc, ce ne sont pas les civilisations qui s’affrontent, mais les barbaries, ou une barbarie au moins d’un côté.

Il y a des déviations barbares ; dans le contexte islamique, Ousama Ben Laden représente une déviation barbare, et dans mon opinion, Georges W. Bush l’est également, dans le contexte de la société occidentale, ou plus précisément du monde occidental.

Plus concrètement sur la guerre en Afghanistan : dans la mesure où elle a été présentée comme une réponse aux attentats du 11 septembre, on a pu faire croire au public qu’il s’agissait d’une guerre légitime, mais contrairement à ce qui a été diffusé, il ne s’agissait pas de l’exercice du droit à la légitime défense. Le droit de légitime défense est valable lorsqu’il s’agit de répondre immédiatement à une attaque subie.

Chomsky a pris cet exemple dans un de ses précédents livres. Il y a une différence entre le fait de se défendre suite à une attaque. d’une part, et le fait, d’autre part, d’être attaqué, puis, un mois plus tard, d’aller tuer la personne qui vous a attaqué. Ici il ne s’agit plus de légitime défense, mais de vendetta, de vengeance. Et c’est ce qui s’est passé à cette occasion.
Les Etats-Unis ont subi l’attentat du 11 septembre, et ce n’est que le 7 octobre 2001 qu’ils ont commencé la guerre contre l’Afghanistan. Cela a été fait en dehors de toute légalité internationale, dans la mesure où, du point de vue de la loi internationale, il ne s’agissait plus d’une légitime défense. Et pour cela, la décision aurait dû passer par les institutions internationales, l’ONU, etc., ce qui n’a évidemment pas été le cas. Ils ont envahi l’Afghanistan de leur propre initiative, tout comme ils ont envahi l’Irak en 2003, ouvertement, sans le consentement du Conseil de Sécurité de l’ONU. Du point de vue du droit international, il ne s’agit donc pas d’une guerre légale.

Mais alors, cette guerre était-elle peut-être juste en ce qui concerne son contenu ? C’est ce que pensent ceux qui acceptent qu’il s’agissait d’une guerre pour abolir le régime taliban. Ce régime était épouvantable, mais ce qu’il y a maintenant en Afghanistan n’est pas mieux ; il y a aussi des intégristes, sous la forme d’une alliance de seigneurs de la guerre qui a donné naissance à une situation effrayante. Et, en dernière instance, le résultat est qu’aujourd’hui les Taliban sont de retour, ils contrôlent de vastes régions en Afghanistan et représentent à nouveau une des principales forces dans le pays. Tout cela montre qu’il ne s’agit pas seulement d’une guerre injuste, mais qu’en outre l’objectif visé quand la guerre a été déclenchée, a subi un échec retentissant.

Je faisais plutôt référence à la manière dont les médias ont utilisé l’information pour influencer l’opinion publique dans le sens que la guerre était nécessaire. Par exemple, la médiatisation de la situation des femmes en Afghanistan pendant le régime des Talibans.

Oui, c’est vrai. Le discours officiel a été fidèlement reflété et illustré par les médias après le 11 septembre. Surtout parce que le 11 septembre avait créé dans les médias américains, et en partie dans les médias européens, un discours de consensus unanime, dont le célèbre éditorial du [quotidien français] Le Monde après le 11 septembre – « Nous sommes tous des Américains » — est un bon exemple.

Ce consensus se traduisait dans les médias qui reprenaient le discours officiel des Etats-Unis, les arguments dont nous parlions tout à l’heure : la légitime défense, les femmes, la campagne civilisatrice.

Maintenant ce consensus n’existe plus, au contraire, s’il y a consensus c’est pour critiquer l’administration Bush, qui se trouve isolée, et qui est y compris minoritaire aux Etats-Unis, où elle a perdu les élections [lors du mois de novembre 2006].

Il arrive que des points de vue critiques se frayent un chemin dans les médias, mais dans la période immédiate post-11 septembre, il y avait une sorte d’unanimité dans les médias pour reprendre le discours officiel.
Maintenant, après l’expérience en Irak, qui a démontré que l’administration Bush avait menti, les médias sont beaucoup plus critiques et prudents, contrairement à ce qui se passait après le 11 septembre, lorsqu’ils répétaient assez bêtement la propagande de l’administration, y compris les informations sur les armes de destruction massive : tous les mensonges de l’administration étaient repris par les médias, sans aucun effort critique.
Récemment, dans la grande presse, sont parus des articles importants appelant à la réflexion, à la nécessité de tirer des leçons de tout cela. Il faut être conscient que des journalistes critiques ont renié leurs responsabilités, et jusqu’à la guerre en Irak, ils n’ont pas joué leur rôle, qui devrait être celui de contribuer à une presse critique, démocratique, qui devrait rester en alerte, surveiller le pouvoir, au lieu de servir de courroie de transmission idéologique pour les messages du pouvoir.

Les médias créent une réalité parallèle à celle qui existe, mais il arrive que ce soient les politiques eux-mêmes qui, par leur manière de s’exprimer et par les expressions qu’ils choisissent, faussent la réalité. Dans votre livre, vous critiquez la définition du terrorisme de l’Union Européenne(UE). Comment le langage peut-il influencer la perception de la réalité dans un cas comme celui-ci ?

Pendant la période post-11 septembre, nous avons évidemment assisté à une inflation terrible du terme terroriste, la plupart des gouvernements du monde ont profité de l’opportunité que le 11 septembre leur procurait pour faire ce que l’administration Bush a fait aux USA : restreindre les libertés. Il y a eu une attaque en règle contre les libertés et les droits démocratiques, une extension des droits de la police et de la surveillance des individus. L’espace de la vie privée et les libertés individuelles ont été sérieusement restreints, et tout cela au nom de la lutte contre le terrorisme. Cette même notion de terrorisme a connu une énorme diffusion ; l’Union Européenne en est même arrivée à avaliser une définition du terrorisme tellement large qu’elle pouvait inclure, par exemple, dans le cas français, l’arrachage de cultures OGM ou le saccage d’un McDonald.

L’utilisation de ce terme est très dangereuse, elle réveille des réactions extrêmes dans la population. Si nous l’utilisons pour stigmatiser des courants qui n’ont rien à voir avec le terrorisme – dans le sens où ils n’ont pas d’intentions homicides à l’égard de la population civile ou autres choses du même genre – c’est très grave. Cela revient au plus pur style des médias soviétiques qui caractérisaient de fasciste tous ceux qui ne partageaient pas leur vision politique.

Il s’agit-là d’un terrorisme idéologique, car si nous qualifions des courants entiers avec des étiquettes de ce type, nous sommes en train de nous adonner à une pratique de l’intimidation, et nous créons un climat de terreur.

C’est ainsi qu’a procédé l’administration Bush, en utilisant les craintes du public américain pour faire passer une série de mesures. Maintenant l’opinion publique américaine commence à se reprendre, à se rendre compte de sa précédente aliénation. Il suffit de penser à Guantanamo [le camp de prisonniers, hors du monde légal] et à toutes les autres violations flagrantes des droits humains commises par cette administration pour pouvoir retourner la crêpe et l’accuser, elle, d’être terroriste, de pratiquer des formes de terrorisme, sans parler des attaques contre les populations civiles, des dizaines de milliers de victimes des opérations militaires étatsuniennes, qui équivalent à un type de terrorisme pratiqué à niveau mondial.
Votre collègue, Chomsky, ne pense pas que le gouvernement de son pays attaquera l’Iran dans le court terme. Quel est votre avis là-dessus ?
C’est effectivement ce qu’il disait dans le livre, mais je pense qu’il a eu le temps et l’occasion de changer d’avis avec les événements qui se sont déroulés récemment. Ce qui est sûr, c’est que si l’administration Bush avait les moyens d’attaquer militairement l’Iran, elle n’hésiterait pas une seconde à le faire.

Mais il n’est pas certain qu’elle en ait les moyens.

D’une part, ils ont déjà suffisamment de difficultés pour maîtriser la situation en Irak, et l’Iran est un pays encore plus difficile à contrôler, avec une population plus nombreuse. D’ailleurs, une tentative de frappe militaire pourrait présenter des risques énormes pour leurs propres intérêts dans la région.

D’autre part, l’administration Bush est déjà minoritaire, y compris dans la classe dirigeante américaine. Une telle attaque équivaudrait à une fuite en avant, et serait très imprudente. On ne peut totalement exclure une attaque contre l’Iran, puisque cette administration a déjà démontré qu’elle est capable d’agir de manière très irrationnelle, mais du point de vue de sa capacité réelle, je ne crois pas que ce soit à sa portée. L’intention existe, mais ils ont été très affaiblis dernièrement, ce qui modifie beaucoup la situation, et s’ils devaient tout de même projeter une telle attaque, ils devraient réfléchir à deux fois, à cause de leur position de faiblesse.

En ce qui concerne l’opinion publique, le prétexte de la prolifération des armes nucléaires, serait-il suffisant cette fois ?

Ce prétexte n’est plus crédible, ne serait-ce qu’à cause du précédent irakien. C’est un peu comme le conte de Pierre et le Loup... Même à supposer que cette administration pense réellement que l’Iran projette la production d’un armement nucléaire, il y a un tel scepticisme désormais par rapport à ce que cette administration peut raconter, depuis ce qui est arrivé avec l’Irak, que peu de personnes ne croient un mot de ce qu’ils disent. C’est une administration qui est devenue très faible, et il ne leur reste que 18 mois d’existence.

Concernant les mouvements sociaux au Moyen-Orient, pensez-vous qu’ils sont suffisamment consistants pour provoquer un changement positif dans la région ?

Actuellement, au Liban, il n’existe pas de mouvements sociaux solides, ils sont très faibles. Il existe des forces politiques, comme le Hezbollah, qui a un versant confessionnel, et d’autres. Le seul continent où il y a des mouvements sociaux capables d’opérer un changement, c’est en Amérique Latine : là le changement est déjà en marche, grâce à la pression des mouvements sociaux.

Ce n’est pas le cas dans le reste du monde. En Europe il y a des mouvements sociaux qui, parfois, réussissent à changer certaines choses, Si nous prenons l’exemple de la France et des mobilisations contre le Contrat Première Embauche (CPE), celles-ci ont finalement abouti à son retrait. De même pour la campagne autour de la Constitution Européenne, qui a réussi à boycotter la Constitution en dénonçant son caractère néo-libéral. Il existe donc un espace pour les mouvements sociaux, un potentiel.

Mais ce n’est qu’en Amérique Latine qu’on peut aujourd’hui s’attendre à de véritables changements dans le pouvoir. En Europe, il s’agit plutôt de batailles de résistance, mais elles constituent un symbole d’espoir. Au cours de ces dernières années, nous avons pu assister à la renaissance de ces mouvements, y compris sous leurs formes altermondialistes, et à leurs progrès spectaculaires. Je pense que ce qui se passe en Amérique Latine prouve qu’il est encore possible que ces mouvements imposent des changements au niveau mondial. C’est un processus qui est en marche, mais on ne peut anticiper des résultats.

Qu’en est-il de l’attitude des Etats-Unis à l’égard de ces mouvements sociaux ?

Les Etats-Unis défendent les intérêts du grand capital à échelle mondiale, tout comme le font les gouvernements européens et autres. L’administration Bush fait actuellement une tournée dans le continent pour opposer une résistance à l’avancée de Chavez. Cela s’inscrit dans la tendance étatsunienne à combattre les mouvements sociaux latino-américains, et il n’y a rien de nouveau à cela. Simplement, aujourd’hui ils sont obligés de passer à la contre-offensive, car ils voient les énormes avancées de la gauche au cours de ces dernières années, et vont bien entendu tenter de détruire ce processus. (Traduction A l’encontre)

* Gilbert Achcar enseigne les sciences politiques à l’Université de Paris-VIII. Il vient de publier avec Noam Chomsky ’Perilious Power’.