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LIBAN

Les grandes manoeuvres états-uniennes

Mercredi 13 juin 2007, par Nahla CHAHAL

Réagissons vite et fort contre les menaces imminentes qui pèsent sur l’intégrité physique de chaque individu faisant partie de cette population laissée pour compte (celle des camps de réfugiés palestiniens au Liban) [...], contre les menaces d’une nouvelle dispersion, d’un déplacement massif qui les utiliserait comme des outils à disposition dans tel ou tel autre plan criminel, et totalement fou, de remodelage de la région [...] Que faire face à cette folie meurtrière ? Toute contestation de cet état de chose qui se veut une fatalité, et qui n’est en fait que le produit de l’ordre établi et de ses forces, tout refus de soumission, dans tous les domaines, est un soutien direct aux peuples qui résistent. C’est notre part de résistance !

L’occupation américaine de l’Iraq est en difficulté. A la suite des troupes espagnoles et italiennes, les britanniques se retireront dans quelques mois, laissant les soldats américains seuls à confronter une résistance de plus en plus tenace, de plus en plus organisée, et qui acquiert, lentement mais sûrement, un caractère national. C’est aussi le chaos qui règne en Iraq qui pèse sur les américains, parce qu’il rend imprévisibles les événements que connait le pays, et du coup donne une avance considérable à la capacité d’intervention de son grand voisin, l’Iran. Nous avons tous été témoins de cette avance du fait même de la tenue de la réunion américano-iranienne à Bagdad le 28 mai dernier : Bush est obligé de composer avec l’axe du mal ! Que ce soit l’administration américaine qui a elle-même planifié le chaos en Iraq, qu’à cela ne tienne, qui va lui demander des comptes ? Autant pour la situation de décomposition que vit l’Iraq, menaçant son intégrité nationale et créant de toute façon une catastrophe humaine, selon la qualification de l’Agence de l’ONU pour les Refugiés. Des centaines de vies sont quotidiennement perdues (les chiffres estiment à un million le nombre de tués depuis le début de l’occupation, à deux millions celui des blessés et des handicapés et à trois millions celui des exilés). Sans parler des rêves d’un quelconque futur…

Face à cette difficulté, que choisit de faire l’administration américaine ? Evidemment, et en bon stratège, d’ouvrir un nouveau front ! Elémentaire, non ? Sauf qu’il ne s’agit pas, comme dans le bon vieux temps, de terrain vague où se confronteraient des armées. Une frappe militaire sur l’Iran étant trop risquée, du moins dans l’immédiat, M. Bush se tourne vers le Liban, où l’impasse politique qui y sévit facilitera sa tâche. D’ailleurs il vise à faire d’une pierre non pas deux mais plusieurs coups.

En transformant le Liban en un nouveau front contre le « terrorisme », non seulement il détournera l’attention de ce qui se passe en Iraq sur le plan politique, mais il attirera des « terroristes » loin de ses troupes là-bas ! Car l’administration américaine le dit aujourd’hui clairement. Nous sommes allés en Iraq, pas pour les armes de destruction massive, pas pour destituer le dictateur, mais poursuivant un plan qui a élu un foyer propice pour y attirer les terroristes loin du territoire américain et leur y mener la fameuse guerre totale et permanente. Un fixateur quoi ! Idem pour le Liban où les raisons du choix ne manquent pas, dont celle d’atteindre le Hezbollah qui a osé marquer une victoire militaire sur Israël, pas plus loin que l’été dernier, récidivant d’ailleurs là-dessus. Dont contenir la Syrie et la mettre sous pression. Dont démarrer cette fameuse ambition de décomposer-recomposer la carte de la région, en finir avec le découpage de Sykes-Picot et adopter un autre plus malléable, plus gérable, sans Etats-nations, mais plutôt des entités communautaires…à croire que les peuples de cette région, ses sociétés sont des morceaux de lego.

Un pont aérien est vite installé, les armes et les munitions américaines affluent vers le Liban, des projets de bases permanentes sont évoqués, dont notamment une dans un vieil aéroport désaffecté de l’armée libanaise, collé à la frontière avec la Syrie, à quelques kilomètres au nord du camp de refugiés palestinien de Nahr el Bared, théâtre des événements (le hasard, c’est connu, fait bien les choses !). M. Bush félicite le premier ministre libanais, Fouad Siniora, de son adhésion à la guerre contre le terrorisme. Ce dernier tente de temporiser ou de nuancer, en affirmant que le groupe dit « Fateh el Islam » est une émanation syrienne, et qu’il ne faut pas l’affilier à Al-Qaeda. Il n’aurait pas totalement pigé, poursuivant sa propre logique (celle qui consiste à tout renvoyer sur la Syrie). Ce n’est pas grave ! Tout est bon du moment que les choses suivent leur cours, le désordre n’étant pas uniquement celui des événements mais aussi celui des idées, des interprétations et de l’information.

Justement, les informations soulignent la présence de combattants saoudiens, tués ou capturés. Elles reprennent des rumeurs soutenues sur les aides financières et les approvisionnements en matériel militaire que ce groupe aurait reçu, des mois durant, du Courant du Futur, parti de M. Hariri (comme c’est le cas, d’ailleurs, pour les 4 autres groupes armées, beaucoup plus structurés et anciens que le groupe du camp de Bared, mais tout autant « islamistes » que lui, qui font régner la pluie et le beau temps dans le camp de refugiés palestiniens de Ain el Heloué, le plus grand du pays). Cette aide était destinée à mettre sur pied des milices communautaires (sunnites) qui équilibreraient la force du Hezbollah, dépeint comme une milice chiite. Voila comment s’effectue la construction des guerres civiles, matrices du chaos.

Nous sommes en fait devant un phénomène assez étrange, qui consiste à mettre en place - et à activer- les éléments d`un certain processus, quitte à les inventer de toute pièce ou à exacerber leur impact grâce à des montages dans lesquels la propagande médiatique joue un rôle important, puis à les traiter comme des donnes objectives qui exigent une contre-offensive. La politique devient virtuelle, comme le capitalisme de l’ère néolibérale ! Ce qui ne veut pas dire inoffensive, bien au contraire.

Qui paye le prix fort ? Évidemment les plus faibles. La majorité écrasante des individus de ce groupuscule de Fateh el Islam né de nulle part, est libanaise, le reste est constitué de nationalités arabes diverses et variées, dont très peu de palestiniens. Mais les camps de refugiés palestiniens au Liban, îlots de misère sans nom et objet d’une négligence têtue, offrent des lieux propices à toute sorte de manipulations. Des 35 000 refugiés de ce deuxième grand camp du pays qu’est Nahr el Bared, presque 30 000 sont sortis sans autre bagage que les habits qu’ils avaient sur leurs épaules, se sont entassés dans les autres camps déjà asphyxiés par le nombre de leurs habitants. Le nombre d’habitants du camp de Badawi, le plus proche, a ainsi triplé en 24 heures. Durant leur fuite, certains de ces exilés/refugiés (encore une fois, une de plus !) ont perdu leur carte de refugiés, preuve ténue de leur existence. Des familles sont dispersées. Derrière eux, leur camp vers lequel ils réclament maintenant un « droit de retour » ( !) est pratiquement détruit. Ils ont besoin de notre soutien, de notre solidarité morale, politique et matérielle (voir la conférence de presse du directeur de l’UNRWA au Liban et l’appel vibrant au secours qu’il lance). Réagissons vite et fort contre les menaces imminentes qui pèsent sur l’intégrité physique de chaque individu faisant partie de cette population laissée pour compte, et réagissons vite et fort, avec la plus grande colère, contre les menaces d’une nouvelle dispersion, d’un déplacement massif qui les utiliserait comme des outils à disposition dans tel ou tel autre plan criminel, et totalement fou, de remodelage de la région.

M. Siniora, le premier ministre libanais et le nouvel allié de M. Bush dans sa guerre totale et permanente contre le terrorisme, compte continuer à gérer tout seul une situation aussi complexe et explosive. La fracture politique qui divise le pays en deux ne le gêne pas. Pourtant, le Liban a toujours été gouverné selon la règle du consensus. Son existence même relève de consensus. Le Pacte National de 1943 est fondateur du Liban, il fut renouvelé par les accords de Taëf qui soulignent la fin de la guerre civile de 1975-1989. Mille autres exemples, s’il faut, démontrent la pertinence et la persistance de cette règle. Son effraction est la recette la plus sûre pour déclencher la violence.

Il semblerait que l’administration américaine s’oppose à toute tentative en cours pour dépasser la division politique, la dernière en date étant une énième initiative saoudo-iranienne pour arriver à un accord qui permettrait de constituer un gouvernement d’unité nationale, devenu une urgence absolue au vu de la situation.

Que perdent les américains tout au cours de leurs expérimentations ? Plutôt très peu. Mais ils s’assurent que leur guerre totale et permanente, qui leur est si chère, est bien vivante.

Que faire face à cette folie meurtrière ? Toute contestation de cet état de chose qui se veut une fatalité, et qui n’est en fait que le produit de l’ordre établi et de ses forces, tout refus de soumission, dans tous les domaines, est un soutien direct aux peuples qui résistent. C’est notre part de résistance !

*Nahla Chahal est coordinatrice de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP)


Voir en ligne : www.protection-palestine.org