"L’État doit présenter des excuses aux victimes et aux groupes sociaux marginalisés car, même si ces situations étaient connues bien avant les indépendances, elles ont continué à servir les intérêts de tous les pouvoirs, a demandé, en avril, au gouvernement malien Mohamed Ag Akeratane, président de Temedt (placenta, en tamasheq), l’association créée en 2004 par la communauté noire touarègue. Après les excuses, les réparations matérielles et morales permettront de fermer les brèches et de rétablir les dignités lessivées." Cette association est aujourd’hui bien décidée à combattre par tous les moyens légaux cette insupportable discrimination, toujours vivace surtout dans le nord du pays.
C’est seulement dans le Code pénal et dans la Constitution que l’esclavage est condamné au Mali. Un vide juridique que l’association veut combler. En septembre 2007, elle a demandé l’implication personnelle du président de la République, Amadou Toumani Touré, pour qu’une loi criminalisant l’esclavage soit soumise à l’Assemblée nationale.
La justice traîne les pieds
En effet, chaque fois qu’une plainte est déposée par Temedt contre un maître d’esclaves, la justice malienne traîne les pieds, et le plus souvent reste inactive même lorsqu’il s’agit d’un homicide. "C’est, par exemple, le cas de l’affaire dite de Tamtchi, un garçon enlevé à ses parents. Madame Tatché (la mère du garçon, Ndlr) a pu récupérer son enfant après avoir mobilisé les autorités administratives, politiques et religieuses qui ont fini par intercéder en sa faveur", explique Oumar Sidi Traoré, un ressortissant de la zone.
En représailles, le maître a tiré un coup de feu sur un oncle de l’enfant, qui a succombé à ses blessures. La plainte déposée par la mère n’a servi à rien : le coupable est toujours libre. Le juge de Menaka, qui doit instruire le dossier, continue à soutenir qu’aucune plainte n’a été déposée. Généralement, les représentants de l’État demandent à négocier avec les maîtres. "Je pense que c’est la complicité de l’État qu’il faut dénoncer. Les commandants de cercle et les chefs d’arrondissement sont entretenus par les maîtres d’esclaves. C’est pourquoi ils ferment les yeux sur les abus", dénonce Seydou Diakité, un chauffeur de bus qui se rend régulièrement dans la zone.
L’esclavage par ascendance existe au Mali sous deux formes. Au sud du pays, on rencontre une classe d’esclaves qui ne dépendent plus d’aucune couche de la société. Ils n’ont cependant pas le droit d’épouser des nobles. En revanche, au Nord, la pratique est basée sur la propriété du bétail, de la terre et des hommes. Elle consiste à laisser les esclaves hériter de l’exploitation du bétail et des terres que leurs ascendants (jadis esclaves) géraient. Les maîtres viennent de temps en temps prendre ce qu’ils veulent de ces biens, avec ou sans le consentement des exploitants.
Tribus d’esclaves
Ces esclaves sont issus des tribus noires communément appelées Bella (esclave, dans la langue de leurs voisins songhaï), qui sont théoriquement libres depuis la fin de la traite arabe avec l’arrivée des colons français au XIXe siècle. Mais elles-mêmes préfèrent l’appellation touarègue. Elles occupent le bas de l’échelle sociale, ont difficilement accès aux responsabilités politiques et travaillent sans être payées. Ces tribus dépendent toujours de la protection d’une famille ou d’une autre tribu. "J’ai été au Nord et j’y ai remarqué une discrimination inadmissible. On rappelle régulièrement à l’esclave qu’il ne peut jamais diriger une prière quelle que soit son érudition", commente Abdoulaye Cissé, enseignant à Gao.
Les tribus d’esclaves se considèrent elles-mêmes comme telles et exécutent sans murmurer toutes les instructions de leurs maîtres. "Je n’ai jamais été à l’école ni étudié le Coran. Je ne sais que conduire les animaux dans les pâturages. […] J’ai toujours voulu m’enfuir, mais on raconte que si l’esclave ne respecte pas son maître il n’ira pas au paradis après sa mort", raconte Idar Ag Ogazide, le regard quelque peu hagard. Ce jeune homme de 31 ans vient de fuir le servage en quittant la maison de son maître en mars dernier. À ses côtés, son fils Mohamed, âgé de 3 ans. Grâce à Temedt, il a pu obtenir la garde du garçon que son ancien maître avait donné à un noble en cadeau de mariage…
Si les excès se passent surtout en milieu rural, on rencontre des esclaves jusque dans les centres urbains, qui travaillent en se contentant du gîte et du couvert. "Les esclaves accompagnent leurs maîtres partout. À Bamako, dans des familles venues des régions concernées, il y en a. C’est très souvent le grand garçon qui nettoie l’enfant qui va à la selle, fait les travaux domestiques et les courses au marché", ironise Idrissa Maïga, administrateur civil à Bamako.