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PALESTINE - ISRAEL - ÉTATS-UNIS

Les dessous du lobby pro-israélien

Jeudi 6 septembre 2007

Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine porte sur un sujet profondément tabou aux Etats-Unis, celui de l’influence des groupes de pression israéliens sur la politique étrangère américaine au Proche-Orient et dans les pays arabes. Il est l’oeuvre de deux éminents universitaires américains : John J. Mearsheimer, professeur émérite de Sciences Politiques à l’université de Chicago (auteur entre autres de The Tragedy of Great Power Politics) et Stephen M. Walt, directeur des études et professeur émérite de Relations internationales à la Kennedy School of Government d’Harvard (auteur lui de Taming American Power : The Global Response to US Primacy).

Les deux politologues démontrent dans ce livre précis et extrêmement bien documenté qu’Israël a été le pays au monde qui a le plus bénéficié de l’aide économique, militaire et diplomatique américaine depuis la seconde guerre mondiale. L’État hébreu a systématiquement et largement été favorisé, soutenu et défendu par l’Oncle Sam, même sur des questions sensibles comme par exemple le développement illégal de l’arme nucléaire, la colonisation des territoires palestiniens ou la violation des Droits de l’Homme. De fait, depuis 1972, les États-Unis ont mis leur veto à 42 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU critiquant la politique israélienne, y compris lorsqu’il s’agissait de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre, sans compter les nombreuses autres résolutions affaiblies afin d’éviter la mise en accusation d’Israël, qui de toutes façons multiplie les infractions au Droit international sans être jamais inquiété.

Et chaque année, Israël, pays industriel pourtant désormais aussi riche que l’Espagne, continue de recevoir à lui seul plus d’un cinquième de l’aide économique étrangère des États-Unis (soit environ 500 dollars par an et par Israélien), à laquelle il faut ajouter une très importante fourniture d’armes et d’assistance militaire, le Pentagone et Tsahal collaborant étroitement. Plus radicalement, les auteurs affirment entre autres que George W. Bush est entré en guerre contre l’Irak de Saddam Hussein à la demande d’Ariel Sharon et de ses affidés au Pentagone tels Paul Wolfowitz, même si ce n’est pas l’unique facteur, et qu’Al-Qaïda est à l’origine une émanation conjointe des services secrets israélo-américains. De même pour les conflits comme la récente guerre au Liban ou les menaces de guerre nucléaire avec l’Iran qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme islamique, sont les résultats de la désastreuse politique commune entre israéliens et américains. Enfin les deux chercheurs n’hésitent pas à dénoncer pour leur partialité en faveur d’Israël les grands médias américains, qu’ils soient journaux ou télévisions de tous bords politiques.

Adoptant un point de vue résolument réaliste, Stephen Walt et John Mearsheimer estiment que l’Etat juif est plus un fardeau qu’un atout stratégique car la protection zélée de Washington, qui va jusqu’à compromettre la sécurité de l’ensemble des pays occidentaux, est extrêment dangereuse, politiquement contre-productive, et stratégiquement néfaste tout autant à l’intérêt national américain qu’à celui d’Israël et à la paix dans le monde. Entre parenthèses, il serait intéressant de connaître l’avis du très atlantiste et très pro-israélien Nicolas Sarkozy, nouveau "caniche" européen de George W. Bush, et de son ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, qui viennent tout juste d’aligner sans aucun complexe la politique étrangère de la France précisément sur celle des Etats-Unis.

Le soutien indéfectible et irraisonné des États-Unis à Israël ne peut s’expliquer ni par des intérêts stratégiques communs ni par des impératifs moraux, estiment les deux auteurs. Arguments, chiffres et documents incontestables à l’appui, ils démontrent clairement qu’un puissant lobby pro-israélien — représenté notamment par l’America Israel Public Affairs Committee (AIPAC, 100.000 membres actifs), quelques autres organisations juives de droite et d’influents cercles de réflexion comme entre autres la Brooking Institution — exerce une influence considérable dans tous les secteurs, de l’administration aux médias en passant par l’université, et travaille activement à l’orientation de la politique étrangère américaine. Ce lobby est soutenu par les nombreux néoconservateurs et chrétiens évangéliques fondamentalistes — tels ceux de Chrétiens Unis pour Israël (pour qui la "renaissance" d’Israël s’inscrit dans un dessein biblique) — tous fervents sionistes largement représentés dans l’administration Bush.

Mearsheimer et Walt estiment in fine que, s’il n’en allait de la sacro-sainte sécurité de la Jérusalem juive, l’Amérique de George W. Bush ne serait aujourd’hui pas autant exposée aux menaces terroristes venant de Syrie, d’Irak ou d’Iran. "Israël n’a pas le poids stratégique que les États-Unis mettent en avant. Israël a pu avoir un poids stratégique pendant la guerre froide, mais il est devenu un handicap grandissant maintenant que celle-ci est terminée", écrivent-ils, ajoutant que "Le soutien inconditionnel à Israël a renforcé l’antiaméricanisme dans le monde, a contribué à alimenter le problème de terrorisme pour les États-Unis, et a affaibli les liens avec des alliés en Europe, au Proche-Orient et en Asie". En conclusion, ils prônent un changement radical de politique envers Israël.

La thèse de Stephen Walt et John Mearsheimer ne présente guère d’éléments nouveaux pour les observateurs de la politique étrangère américaine, la réalité des chiffres et des actes étant difficile à nier. Elle n’a cependant pas échappé à une violente vague de réactions hostiles et de commentaires haineux dans les médias, sans parler des "punitions" (Stephen Walt a par exemple été "démissionné" de son poste de doyen). La polémique tient sans doute au fait qu’il ne s’agit pas d’un simple pamphlet anti-israélien mais d’un très sérieux essai politique rédigé par des intellectuels américains réputés et de plus responsables d’études sur ces questions dans des universités prestigieuses.

L’article à l’origine du livre, prévu initialement pour être publié par la revue américaine Atlantic Monthly qui l’avait commandé en 2002, a été refusé par toutes les revues américaines lorsqu’elles ont pris connaissance du propos. Il a pu être publié quelques jours en mars 2006 sur le site web de la Fac de Droit d’Harvard mais a été précipitamment retiré sous la pression des donateurs et sponsors de l’université. C’est la London Review of Books, vénérable revue littéraire et intellectuelle britannique lue par l’intelligentsia libérale éclairée, qui a finalement eu le courage de publier l’article en version abrégée au printemps 2006, (version française), provoquant un énorme tollé.

Pas un éditorialiste américain, du Los Angeles Times au Washington Post en passant par le New York Times ou The New Republic, sans parler du virulent Daniel Pipes qui diffuse dans tous les médias néo-conservateurs sa propagande sioniste, qui n’ait pris position, le plus souvent pour condamner l’essai de façon méprisante et accuser les deux auteurs d’antisémitisme quant ce n’est pas de pure et simple démence. Certains ont été jusqu’à parler d’un nouveau Protocole des sages de Sion, en référence au célèbre faux antisémite. La plupart des commentaires de la presse ne portaient généralement pas sur les questions soulevées par l’article mais sur les "intentions" de Stephen Walt et John Mearsheimer.

Globalement, le ton de la presse a été celui donné par Eliot Cohen dans le Washington Post : "Si, par antisémitisme, on entend des croyances hostiles irrationnelles et obsessionnelles sur les Juifs ; si on les accuse de manque de loyauté, de subversion et de trahison, d’avoir des pouvoirs occultes et de participer à des tractations secrètes pour manipuler les institutions et les autorités gouvernementales ; si quelqu’un liste systématiquement tout ce qu’il y a d’injuste, de laid et de faux chez les Juifs pris individuellement ou collectivement et en même temps exclut systématiquement toute information à leur décharge, alors oui, cet article est antisémite". Le mois dernier encore, alors qu’ils devaient parler devant le Chicago Global Affairs Council, la réunion avec Walt et Mearsheimer a été annulée au dernier moment pour "protéger l’institution". Certains critiques courageux comme David Remnick dans The New Yorker ont toutefois jugé qu’il n’y avait pas lieu de crier à l’anti-sémitisme et qu’un débat sur le sujet était nécessaire, même s’il est très improbable qu’un tel débat ait lieu pendant l’actuelle campagne pour l’élection présidentielle américaine.

En brisant le tabou sur l’alliance israélo-américaine, les deux intellectuels ont pris le risque de voir briser leur carrière et leur réputation par les groupes de pression qu’ils dénoncent. Ils déplorent l’impossibilité de débattre des relations israélo-américaines, un aspect pourtant central des relations extérieures de la première puissance mondiale, sans se voir systématiquement affublé d’une casquette d’antisémite ou de juif renégat. "Nous ne développons pas une position extrémiste. Notre livre ne met pas en question le droit d’Israël à exister et ne dépeint pas les groupes pro-israéliens comme faisant partie d’une espèce de conspiration contrôlant la politique étrangère des Etats-Unis. Au contraire, il décrit ces groupes et ces individus — des juifs et des non-juifs — comme un groupe d’intérêt dont les activités ne sont pas très différentes du lobby des armes, du lobby agricole ou d’autres lobbies ethniques", se défendent-ils.

Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine de John Mearsheimer et Stephen Walt est publié simultanément par les éditions Farrar Strauss & Giroux (États-Unis), Campus (Allemagne), Kodansha (Japon), Atlas (Hollande), Penguin (Royaume-Uni), Mondadori (Italie) et La Découverte (France).

La République des Lettres

"Depuis la publication du Choc des civilisations dans le magazine Foreign Affairs en 1993, aucun essai universitaire n’avait autant défrayé la chronique." (Michael Massing, New York Review of Books)

" Il se pourrait que l’analyse réaliste que Mearsheimer et Walt présentent de façon si pertinente [...] mette en branle un utile changement de paradigme dans la politique américaine au Proche-Orient ". (L. Carl Brown, Foreign Affairs)

John J. Mearsheimer est professeur de sciences politiques à l’université de Chicago et est l’auteur de The Tragedy of Great Power Politics. Consulter le site personnel de John J. Mearsheimer.

Stephen M. Walt est professeur de relations internationales à la Kennedy School of Government d’Harvard. Son dernier livre s’intitule Taming American Power : The Global Response to US Primacy (Traduction française à paraître aux Éditions Demopolis en octobre 2007).