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ÉTATS-UNIS

Les défis du syndicalisme

Vendredi 12 septembre 2008, par Alain BARON et Catherine SAUVIAT

Le syndicalisme étasunien est souvent méconnu en Europe. En y consacrant l’un de ses dossiers internationaux annuels, l’Union syndicale Solidaires a donc comblé un vide pour les non-anglophones. Nous en reprenons quelques articles et invitons nos lecteurs et lectrices à consulter les autres contributions, tout aussi intéressantes, sur le site http://pagesperso-orange.fr/orta/solidint/. L’Union syndicale Solidaires regroupe les syndicats SUD (rail, PTT, etc.) en France.

L’importance du syndicalisme dans le cœur de la première puissance mondiale n’est pas à souligner : rien de grand et de fort ne se produira aux Etats-Unis sans lui. Mais ses limites doivent aussitôt être mises en évidence, en particulier la réduction - voulue ou subie - de son action à la négociation collective au niveau de l’entreprise. Sans parler du soutien renouvelé apporté au Parti Démocrate, piètre pis-aller en l’absence d’une véritable organisation politique des salarié-e-s. Actuellement dans une phase d’affaiblissement marquée par rapport aux années 60, particulièrement dans le secteur privé, où il est passé d’un taux de syndicalisation de 35% à moins de 8%, le syndicalisme étasunien est placé devant l’évidente nécessité de renouveler ses pratiques et ses perspectives. (réd. de solidaritéS)

Pour des raisons historiques, la faiblesse du syndicalisme américain et son incapacité à représenter la classe ouvrière dans son ensemble ont conduit les syndicats à privilégier la négociation collective et à développer, de fait, des pratiques gestionnaires et bureaucratiques, au bénéfice exclusif de leurs membres. Les Etats-Unis sont de tous les grands pays industrialisés, celui où la « prime syndicale » est la plus forte. [1]

Un syndicalisme focalisé sur la négociation collective

Cette stratégie s’est consolidée au détriment de pratiques et d’actions situées à un niveau plus directement politique et du développement de liens tissés avec la société civile et les mouvements sociaux. Il n’y a que les syndicats du secteur public qui fassent exception. Ces derniers affichent en effet un taux de syndicalisation de 35%, lié également au fait que les employeurs publics n’utilisent pas les tactiques antisyndicales ayant cours dans le secteur privé. Ce syndicalisme de « services aux adhérent-e-s » a montré de fait une indifférence, sinon une hostilité aux grands mouvements sociaux des années 1960-70, celui pour les droits civiques et les différents mouvements en faveur des droits des minorités. Cette attitude a d’ailleurs contribué largement au développement d’actions pour la défense et l’affirmation des droits individuels fondés sur l’appartenance ethnique ou sexuelle, en lieu et place des droits collectifs liés au statut de travailleur-euse défendus par les syndicats. Ce choix a conduit également le syndicalisme à configurer et à soutenir un système de protection sociale fondé non pas sur l’« Etat providence » à l’instar de la plupart des grands pays industrialisés, mais sur l’« Entreprise providence ».

Ce syndicalisme puise donc principalement sa force dans l’exercice de la négociation contractuelle. Ce qui explique que les syndicats qui négocient localement en soient les acteurs clés, aux côtés des puissantes fédérations de branche ou de métiers quand les négociations ont lieu à ce niveau. Ces derniers veillent à défendre leurs intérêts et leurs « parts de marché » (y compris en allant chasser des adhérent-e-s sur les terres des autres) et tirent principalement leur pouvoir des avantages contractuels négociés localement pour leurs membres. En contrepartie, les conseils syndicaux centraux (CLC) qui représentent les structures syndicales interprofessionnelles en région ne jouent qu’un rôle de coordination, à l’occasion de grèves ou de campagnes organisées sur les lieux de travail. Ils sont en général dépourvus de pouvoir. Ce qui explique également que la confédération AFL-CIO n’ait jamais eu les pouvoirs et l’influence des grandes centrales françaises. Le niveau confédéral fédère en fait des syndicats jaloux de leur indépendance. [2] Ne vivant que des cotisations reçues de ses membres affiliés, il a peu de prise sur eux.

Un contexte juridique radicalement hostile

Le problème majeur est que la négociation collective s’est toujours exercée dans un face à face inégal avec l’employeur, dont l’Etat a dressé les règles du jeu (loi Wagner en 1935, révisée à la baisse en 1947), mais dans lequel il ne s’immisce guère, une fois ce cadre minimaliste fixé. Institutionnalisée dans l’après-guerre (1949), la négociation se limite en outre le plus souvent au seul champ de l’entreprise et en son sein, aux seuls espaces où les syndicats sont implantés. [3] La négociation d’un « contract » (accord d’entreprise dans la plupart des cas) est en effet subordonnée à l’élection préalable d’un syndicat, lequel doit avoir conquis de haute lutte sa représentativité en obtenant la majorité des votes des salarié-e-s concernés, dans un contexte particulièrement hostile. [4] Une fois élu, un syndicat peut parfois attendre plusieurs années avant d’engager une négociation et conclure un accord avec l’employeur, ce dernier n’hésitant pas à user de toutes les formes possibles de résistances. [5] De ce point de vue, l’adhésion à un syndicat ne relève pas d’un choix individuel comme en France ou en Suisse ; il résulte d’un choix collectif à l’issue d’un vote qui établit la représentativité du syndicat. La désignation de ce dernier est l’expression du choix majoritaire des salariés dans l’entreprise, dont le syndicat devient le représentant exclusif dans l’unité de négociation appropriée. De même, un accord collectif doit toujours être ratifié par les salarié-e-s concernés, à la différence là encore de la France et de la Suisse. Ceci suppose que les représentant-e-s syndicaux locaux soient quelque peu attentifs aux revendications de leur base, au risque d’être contestés et de perdre leur leadership, même si les accords dans les grandes entreprises sont en général négociés par les leaders nationaux. [6]

L’environnement antisyndical peut également se lire à travers les conditions d’exercice de la grève. Son usage est strictement limité au cadre de la négociation collective7 et se veut un moyen de pression économique et non pas l’expression d’un droit fondamental. D’ailleurs, l’employeur peut à tout moment licencier les grévistes et utiliser l’arme du lock-out. Le geste de Ronald Reagan, ordonnant en 1981 le licenciement des 11 000 aiguilleurs-euses du ciel en grève et les remplaçant immédiatement par des travailleurs-euses non grévistes, a non seulement signé le coup d’envoi de la répression antisyndicale, mais a marqué également le début du déclin des grèves. De toutes celles qui se sont produites depuis lors, peu ont connu une issue victorieuse à l’exception toutefois de celle très offensive organisée par le syndicat des camionneurs (Teamsters) en 1997 chez le prestataire privé de services postaux, UPS. Mais elle aura été finalement suivie de peu d’effets en dépit des espoirs qu’elle a pu susciter à l’époque, tant du point de vue des pratiques grévistes que plus largement du renouvellement des pratiques syndicales.

Une perte d’efficacité de la négociation collective liée au déclin des syndicats

La négociation collective a indéniablement permis une amélioration du niveau de vie de la population salariée américaine pendant les Trente Glorieuses. Mais d’une part, elle l’a fait pour une frange limitée de cette population, essentiellement masculine et blanche. D’autre part, force est de constater qu’il n’en est plus de même depuis les années 1980. Le champ d’influence de la négociation collective s’est en effet considérablement rétracté avec le déclin syndical. Le choix d’avoir fait de la négociation collective – de surcroît au niveau de l’entreprise — la pierre angulaire de l’activité syndicale a considérablement fragilisé le syndicalisme américain à partir des années 1980. En effet, celle-ci va se dérouler dans un contexte de plus en plus défavorable aux salarié-e-s. Les entreprises, soumises à une pression concurrentielle redoublée sur des marchés de plus en plus déréglementés et mondialisés, n’ont eu de cesse de chercher à réduire leurs coûts et à faire peser en permanence sur les travailleurs-euses la menace des délocalisations dans les tats du Sud où la législation sociale est la plus faible et, de façon croissante, à l’étranger. Les secteurs de l’industrie manufacturière, davantage exposés à la concurrence mondiale que les activités de services, ont été particulièrement touchés. Mais certaines activités ou fonctions de services, aisément externalisables, grâce au développement des technologies de l’information et des télécommunications, ne sont pas à l’abri du phénomène de délocalisation.

Le renouvellement des accords collectifs, depuis les années 1980, témoigne ainsi d’une tendance ininterrompue aux concessions salariales (étant souvent supportées par les nouveaux embauchés), facilitée par les stratégies syndicales de coopération avec le management. De sorte que non seulement les salaires réels connaissent une stagnation depuis plusieurs décennies, mais de surcroît, le nombre de salarié-e-s couverts par des dispositifs de protection sociale d’entreprise diminue irréversiblement : ils ne sont plus que 59% en 2005 à être couverts par une assurance-maladie tandis que la proportion de ceux qui bénéficient d’un dispositif traditionnel de retraite complémentaire n’est plus que de 21% (50% si l’on y ajoute les plans d’épargne salariale qui ne sont pas de véritables régimes de retraite). Le secteur automobile et la stratégie développée par le syndicat UAW (United Auto Workers) chez les trois grands de l’automobile américaine (General Motors, Ford et Daimler Chrysler) sont particulièrement révélateurs de cette tendance à la dégradation des normes salariales. Cette situation est aggravée par la Loi sur les faillites qui autorise les employeurs à dénoncer les accords existants et à remettre en cause tous les acquis obtenus par les syndicats pour leurs membres. En outre, les restructurations massives opérées actuellement par ces grandes entreprises laissent les travailleurs-euses syndiqués face à des choix individuels sur lesquels les syndicats se retrouvent sans prise : accepter ou non les indemnités de départ offertes par les employeurs pour se débarrasser d’une main-d’œuvre devenue trop coûteuse dans un contexte de surcapacité productive. Pourtant, la perte occasionnée par ces départs potentiels n’en affaiblira que plus l’UAW.

Une influence politique faible, doublée d’une subordination au Parti Démocrate

Dans le cas américain, cette forte autonomie contractuelle a été acquise aux dépens de l’exercice d’une influence au plan politique. Dans ce pays de tradition libérale où la question sociale ne s’est jamais posée en tant que telle et où les idéologies socialistes ont rencontré peu d’échos, le syndicalisme a toujours peiné à obtenir une législation qui lui soit un tant soit peu favorable. D’une part, il est resté largement en dehors des mouvements sociaux qui ont ponctué certains moments de l’histoire américaine, et qui auraient pu l’aider à dépasser cette culture gestionnaire, à adopter des pratiques plus contestataires et revendicatives, et à militer pour des réformes sociales d’envergure telles que l’adoption d’un système de santé public. D’autre part, il a privilégié les liens avec le Parti Démocrate, ce qui ne l’a guère incité à sortir du bipartisme en vigueur et à créer un parti politique représentatif des intérêts des travailleurs-euses et autonome des deux partis traditionnels. Car l’orientation de plus en plus conservatrice et ouvertement pro business d’une partie des Démocrates n’a pas toujours conduit au vote de réformes législatives en faveur des intérêts des syndicats. Non seulement le président Clinton (au pouvoir entre 1993 et 2000) a été, par exemple, incapable de faire passer la réforme du système de santé au milieu des années 1990, mais il a de plus contribué à l’avènement du Traité de libre-échange nord-américain (Alena) en dépit de l’hostilité des syndicats. Il a, en outre, impulsé une réforme de l’aide sociale en remettant en cause le maigre filet de sécurité qui protégeait les populations les plus fragilisées socialement, notamment les mères célibataires.

La victoire de novembre 2006 des Démocrates au Congrès a néanmoins été saluée par les deux confédérations syndicales issues de la scission de 2005. [7] AFL-CIO et « Change To Win », dé-sormais concurrentes, espèrent toutes deux du nouveau Congrès un infléchissement de l’environnement législatif en faveur des syndicats. L’une des questions cruciales et urgentes est le relèvement du salaire minimum, qui est resté inchangé depuis 1997 [5,15$ dollars de l’heure, soit environ 5,50 francs suisses, réd.] Cette situation est largement responsable du développement des « travailleurs pauvres » aux Etats-Unis, que les campagnes organisées autour de l’exigence d’un salaire décent (Movement for a Living Wage, réd.) tentent de pallier. D’autres enjeux législatifs sont tout aussi importants. L’un d’eux concerne l’« Employee Free Choice Act », proposition législative introduite en 2005, mais n’ayant pas recueilli suffisamment de soutien auprès des membres du précédent Congrès. Elle vise notamment à donner aux syndicats le droit de faire signer librement aux salarié-e-s une demande d’être représentés par un syndicat si la majorité d’entre eux y est favorable, situation qui n’est possible actuellement que si l’employeur est d’accord. Il s’agit d’une procédure plus rapide et plus sûre que celle, longue et incertaine, d’accréditation auprès de l’agence chargée de l’application de la loi Wagner, le National Labor Relations Board (NLRB).

L’autre mesure concerne l’abrogation de la réglementation introduite par ce même NLRB, qui permet désormais aux employeurs de reclassifier certains salarié-e-s dans la catégorie d’agent de maîtrise, les privant ce faisant du droit de se syndiquer [8] et plus largement le nécessaire renforcement du Wagner Act, la seule loi qui protège les droits des syndicats et de leurs adhérent-e-s. Car les salarié-e-s américains n’ont pas tous le droit de se syndiquer, notamment ceux qui exercent des responsabilités de gestion (l’équivalent des cadres) ou qui sont investis d’un pouvoir de commandement (contremaîtres ou agents de maîtrise).

Un nécessaire élargissement des forces syndicales à de nouvelles alliances

Le Sud des USA est devenu le nouveau cœur industriel du pays, la plupart des constructeurs automobiles y ont par exemple délocalisé leur activité autrefois concentrée dans le Michigan (région des Grands Lacs, près de la frontière canadienne). Leur principale motivation est que les salaires y sont parmi les plus faibles du pays, car les syndicats y sont traditionnellement peu implantés. Les Etats en question (Arizona, Texas, Louisiane, Mississippi, Alabama, Géorgie, etc.) ont en effet voté, après la Deuxième Guerre mondiale, des lois antisyndicales appelées de « droit au travail » qui fragilisent considérablement les syndicats. Elles autorisent notamment les salarié-e-s à bénéficier de la protection de l’accord d’entreprise quand il existe, sans pour autant devoir adhérer au syndicat et payer une cotisation. Depuis les années 50, les syndicats, à l’exception d’Unite, avaient en général renoncé à s’implanter dans cette partie des USA.

Il est donc urgent pour les syndicats de multiplier les campagnes de syndicalisation dans l’ensemble du pays, auprès des travailleurs et travailleuses des secteurs manufacturiers [9], mais aussi de ceux des secteurs des services qui sont parmi les plus faiblement rémunérés (travailleurs et travailleuses des centres d’appel, gardien-ne-s d’immeubles ou chauffeurs-euses de bus scolaires), dont beaucoup sont des travailleurs-euses immigrés, parfois sans-papiers.

Le syndicat des services (SEIU) est particulièrement actif auprès de ces populations, notamment grâce à sa campagne Justice For Janitors lancée au milieu des années 1980, et popularisée par le film Bread and Roses de Ken Loach. Durant les deux dernières décennies, il est parvenu à négocier des conventions collectives pour les gardien-ne-s d’immeuble dans 25 villes américaines. Le SEIU a été à l’origine de l’organisation de la toute récente grève à Houston (Texas), l’un de ces Etats du Sud ayant voté une loi de « droit au travail ». Plus d’un millier de gardien-ne-s d’immeubles, principalement latino-américains, se sont mis en grève pendant un mois (du 23 octobre au 21 novembre 2006) et ont fait plier les employeurs concernés, obtenant des augmentations de salaire et l’accès à une assurance-maladie grâce à l’action du syndicat.

Avec beaucoup de retard, l’AFL-CIO a fini par comprendre les enjeux et a opéré en 2000 un tournant historique vis-à-vis des immigré-e-s, les reconnaissant désormais comme une composante croissante et essentielle de la main-d’œuvre ouvrière (15% aujourd’hui), ainsi qu’une force potentielle pour le syndicalisme américain. L’AFL-CIO et « Change to Win » ont d’ailleurs décidé d’apporter leur soutien à la syndicalisation des travailleuses et travailleurs journaliers de l’agriculture, principalement des immigré-e-s dont la plupart sont en situation irrégulière. Dans ce domaine également, les syndicats ne peuvent compter sur leurs propres forces, de plus en plus limitées. Ils ont tout intérêt, et certains l’ont compris davantage que d’autres, à s’unir à des mouvements sociaux plus larges, à l’instar de Jobs With Justice [10] ou des groupes militants à l’initiative des Workers Centers [11], qui sont précisément organisés pour venir en aide aux populations les plus précarisées et pour défendre leurs droits fondamentaux.

En dépit de son affaiblissement et de cinquante années de pratiques gestionnaires et clientélistes qui ont réduit certains syndicats au statut de compagnie d’assurance agissant pour la protection des salaires et des avantages sociaux de leurs membres, le syndicalisme américain reste néanmoins la seule institution capable de contrecarrer le pouvoir exorbitant des employeurs et de lutter contre les inégalités économiques et sociales. Sa revitalisation suppose l’élargissement et la remobilisation de la base syndicale ainsi qu’une revivification du fonctionnement démocratique interne aux syndicats. Elle passe également par le développement d’alliances élargies avec les mouvements sociaux les plus dynamiques et les plus progressistes, ceux qui luttent pour le droit des femmes et des minorités, ou pour le respect de l’environnement.

Catherine Sauviat


Dossier USA : présentation
Février 2007

Alain Baron (SUD-PTT)

Présentation du dossier ’Etats-Unis« publié dans la revue »Solidaires International"

Nous avons souvent en France des idées caricaturales sur les États-unis. Cette situation s’est un peu améliorée avec le succès rencontré par les films de Michael Moore, et plus anciennement par Bred and roses de Ken Loach. Mais il reste beaucoup à faire et ce dossier cherche à y contribuer.

Au-delà d’histoires profondément différentes, on retrouve en fait, des deux côtés de l’Atlantique, des militant(e)s qui luttent au niveau syndical et associatif pour les mêmes valeurs concernant l’exploitation capitaliste, la remise en cause des services publics, le sexisme, le racisme, les sans-papiers, les mal logés, la guerre, la mondialisation néo-libérale, etc. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, et c’est même une nécessité absolue, car les USA dominent le monde économiquement, politiquement, militairement…et souvent culturellement.

Même si elle est très minoritaire, il existe aux États-unis toute une tradition de gauche radicale anarcho-syndicaliste ou trotskyste. On trouve également un petit PC et un parti Vert nettement plus à gauche que leurs homologues européens. Un courant maoïste a même été très présent dans les années 1965-1975.

Il n’est pas rare de rencontrer parmi les animateurs des structures syndicales ou associatives les plus dynamiques des militant(e)s issus de ces différentes traditions.

Il ne s’agissait pas pour nous dans ce dossier de faire du coupé-collé d’ouvrages et d’articles disponibles en français. Nous nous sommes contentés de les indiquer à la fin du dossier.

Il s’agissait au contraire de proposer quelques clés pour mieux comprendre ce pays à première vue déroutant. Nous avons pour cela fait appel à des militant(e)s américains rencontrés dans les Forums sociaux, lors d’échanges entre syndicats du même secteur d’activité, mais d’abord et avant tout dans les conférences organisées par le réseau américain Labor Notes. A quatre reprises, des militants de SUD-PTT ont en effet participé à de telles conférences. Ils y ont notamment animé des débats sur l’altermondialisme, la poste et les télécoms, la coordination des luttes au sein des multinationales, et en mai 2006 sur le mouvement anti-CPE.

Une chercheuse française qui travaille notamment sur le mouvement ouvrier américain a accepté d’écrire un article introductif.

Comme cela a été signalé dans l’éditorial de ce numéro, les articles doivent pouvoir être consultés indépendamment les uns des autres. Il en résulte d’inévitables répétitions que le lecteur voudra bien excuser.

Voir aussi :

USA : Jobs with Justice

D’autres contribrutions contenues dans ce dossier seront ultérireument mis en ligne sur ESSF. Se reporter à la revue (lien en bas de page).


Bref rappel chronologique
1869

Fondation des « Chevaliers du Travail » (Knights of Labor) qui, à la différence des syndicats de métier existants, sont organisés par branche d’industrie ; composés majoritairement de salarié-e-s non qualifiés,ils sont ouverts aux femmes puis aux noir-e-s.

1880-1890

Grèves et insurrections ouvrières, mouvement populiste paysan. Grève générale le 1er mai 1886 pour obtenir la journée de 8 heures suivie à Chicago de heurts violents avec la police, puis de la pendaison de 4 militants anarchistes l’année suivante. C’est à la suite de ces évènements que le 1er Mai est devenu la journée internationale des travailleurs-euses.

Déclin rapide des « Chevaliers du Travail » après 1886 au profit de l’American Federation of Labor (AFL), basée sur les salariés qualifiés masculins blancs, et organisés par métier.

1900-1919

Grèves dans de nombreux secteurs. Création des IWW (Industrial Workers of the World) en 1905, qui s’inspirent partiellement de la tradition des « Chevaliers du travail » : organisation des salarié-e-s non qualifiés, et structuration par secteur d’activité. Opposés à l’AFL, les IWW ont une orientation syndicaliste- révolutionnaire proche de celle de la CGT française de l’époque. Promulgation de lois sociales (Progressive Era). A partir de 1919, répression féroce des grèves et des militants combatifs. Développement dans les années qui suivent du « business unionism » (syndicalisme maison).

1934-1942

Grèves massives à partir de 1934 notamment parmi les camionneurs, les dockers, dans les pneumatiques, l’automobile, le textile, chez les salarié-e-s agricoles du Sud, etc. Le syndicalisme est reconnu pour la première fois par la loi Wagner de juillet 1935. L’aile marchante de l’AFL constitue en novembre 1935 un comité d’organisation, appelé Congress of Industrial Organisations (CIO), en s’appuyant sur des militant-e-s communistes, socialistes de gauche et trotskystes. Il s’inspire en partie de la tradition des IWW et organise les salarié-e-s non pas par métiers, mais par branche d’activité. Le CIO joue un rôle clé dans les grèves et la syndicalisation de masse, notamment parmi les nouveaux immigrant-e-s peu qualifiés.

Les grèves avec occupation se multiplient (48 en 1936 et 447 en 1937), et le patronat accepte finalement le premier accord collectif qui est signé en janvier 1937. Les tensions s’accentuent au sein de l’AFL, et le CIO en est expulsé en mars 1937. Promulgation de lois sociales en 1938 : salaire minimum, restriction du travail des enfants, 40 heures hebdomadaires. En revanche, le projet d’assurance maladie universel ne voit pas le jour.

1946-1947

Point culminant des grèves aux USA. Les entreprises de santé privées et les firmes pharmaceutiques parviennent pour la seconde fois à empêcher l’introduction d’un système d’assurance maladie universel. La loi Taft-Hartley de juin 1947 restreint considérablement les libertés syndicales. Le cadre fixé devient celui de négociations (éventuelles) entreprise par entreprise, avec interdiction de faire grève en dehors de la période de renouvellement de l’accord collectif. La moitié des Etats (notamment dans le Sud) sont même exemptés du respect de l’essentiel de ce qui subsiste de la législation sociale de 1935. Les syndicats (sauf Unite) renoncent à organiser les salarié-e-s du Sud. La voie est ainsi ouverte à des délocalisations d’activité du Nord vers le Sud des USA.

1949-1995

Le CIO expulse en 1949 des militant-e-s appartenant à divers courants de gauche. Fusion en 1955 des confédérations AFL et CIO sous le nom d’AFL-CIO. La nouvelle confédération a une orientation anticommuniste et de collaboration avec le patronat. Elle est parfois surnommée ironiquement AFL-CIA pour son soutien à la politique étrangère des USA. Certains responsables syndicaux sont condamnés pour collusion avec la mafia, dont en 1964 le tristement célèbre Jimmy Hoffa, président du syndicat des Teamsters (camionneurs). Les mouvements sociaux des années 60-70 (droits des Noir-e-s et des femmes, antiguerre, etc.) se développent en général sans le soutien des syndicats, et parfois même en opposition avec eux. A partir du milieu des années 70, déclin important de la syndicalisation dans l’industrie, qui est loin d’être compensé par le renforcement des syndicats dans le secteur public. Licenciement en 1981 de 11 000 contrôleurs aériens pour fait de grève. C’est un tournant décisif dans l’histoire sociale des USA.

1995

Tentative de rénovation de l’AFL-CIO sous la houlette de John Sweeney, le président du syndicat des services (SEIU) qui s’entoure en partie de militants issus des mouvements sociaux des années 1960 et 1970. L’AFL-CIO encourage la fusion des syndicats existants et la création de nouvelles implantations grâce à l’embauche de militant-e-s (organizers) dévolus à cette tâche. Il s’agit souvent d’anciens étudiant-e-s radicalisés.

Simultanément, l’AFL-CIO renforce son lobbying auprès des Démocrates et soutient activement les campagnes présidentielles de Clinton puis Kerry.

2005

Eclatement de l’AFL-CIO en deux regroupements hétéroclites. L’un conserve le nom d’AFL-CIO, l’autre prend celui de « Change To Win » (Changer pour gagner). www.aflcio.org et www.changetowin.org. L’AFL-CIO regroupe actuellement 10,5 millions de membres, « Change to Win » 6,5 millions.

Alain (SUD-PTT)


Quelques repères : Etats-Unis

Superficie : 9 629 048 km2, soit plus du double de l’Union européenne (et 14 fois la France).

Population (2006) : 300 millions d’habitants, soit 60 % de la population de l’Union européenne (à 27 États), et 5 fois la population française.

L’évolution des rapports de forces entre 1927 et 1970 est mesuré dans les statistiques officielles concernant le pourcentage de grévistes mesuré par le graphique n°1 pour lequel nous donnons un lien.

Source : Mark Brenner (Labor Notes) d’après Historical Statistics of the United States : Colonial Times to 1970.
http://www2.census.gov/prod2/statco...

Alain (SUD PTT)

BARON Alain, SAUVIAT Catherine
Notes
[1] Les travailleurs-euses syndiqués du secteur privé ont obtenu en 2005 des gains hebdomadaires de près d’un quart plus élevés (23,1%) que leurs collègues non syndiqués d’après les statistiques du Ministère du Travail (BLS).

[2] De ce point de vue, le fait que coexistent aujourd’hui deux structures confédérales, l’AFL-CIO créée en 1955 et « Change to Win », issue en 2005 du départ de plusieurs syndicats dissidents, ne change rien à cet état de fait.

[3] En fait, les unités de négociation peuvent être de simples divisions, des établissements ou l’entreprise tout entière. La négociation collective de branche ou à l’échelle d’une région existe aussi, mais elle est moins fréquente que la négociation d’entreprise. En revanche, il n’y a pas de négociation interprofessionnelle, en l’absence d’un patronat structuré au plan national, comme, par exemple, en France

[4] Un rapport de l’American Rights at Work, sur la syndicalisation dans la zone métropolitaine de Chicago, constate que 30% des employeurs confrontés à des campagnes d’organisation ont licencié les travailleurs-euses impliqués dans cette activité et 49% ont menacé de fermer, ou de délocaliser, leur activité si les travailleurs-euses choisissaient de former un syndicat. En outre, le nombre d’élections syndicales gagnées par les syndicats a diminué de moitié depuis les années 1970.

[5] l est ainsi estimé que 45% des syndicats nouvellement implantés échouent à négocier un accord collectif dans les deux années qui suivent leur élection.

[6] Et c’est précisément ce qui s’est produit dans des secteurs en crise comme la sidérurgie, où une remise en cause croissante des élus locaux a pu être observée à la suite des concessions salariales négociées dans les accords, cf. « Local Unions Leaders Bear Brunt Of Workers’Ire Over Givebacks », The Wall Street Journal, June 26, 2006.

[7] A cette occasion, trois des plus importants syndicats affiliés à l’AFL-CIO, le SEIU (Service Employees International Union), les camionneurs (Teamsters) et l’UFCW (United Food and Commercial Workers) avaient décidé de quitter la centrale pour former « Change to Win ». Plus tard, quatre autres syndicats les ont rejoints : le syndicat du textile, hôtels, restaurants et blanchisseries (Unite-HERE), le syndicat des charpentiers (UBCJA) et celui des travailleurs-euses agricoles (UFWA).

[8] Cette décision a été prise par le NLRB en septembre 2006 par un vote de 3 membres (républicains) contre 2 (démocrates). Elle vise notamment le groupe professionnel des infirmières, mais pas seulement.

[9] L’UAW a commencé de s’intéresser de plus près à la syndicalisation des travailleurs de l’automobile dans les Etats du Sud, et a remporté certaines campagnes d’organisation.

[10] Voir l’article de Russ Davis : USA : Jobs with Justice

[11] Ce sont des structures d’aide aux communautés de travailleurs pauvres, apparues à la fin des années 1970, et dont certaines sont spécialisées dans l’aide aux migrant-e-s.

* Paru dans la revue Solidaires international n° 2, mars 2007.
http://pagesperso-orange.fr/orta/solidint/

* Catherine Sauviat est économiste. Son activité de recherche est centrée sur les rapports entre la mondialisation, l’emploi, les rémunérations, et la gouvernance des entreprises. Elle a publié de nombreux articles sur le monde du travail aux USA.
http://www.ires-fr.org/files/ires/equipeires.html