|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Le retour doux-amer des prisonniers

PALESTINE

Le retour doux-amer des prisonniers

Vendredi 5 octobre 2007, par Joharah Baker

Les 1 et 2 octobre, en signe de « bonne volonté », Israël a libéré 57 prisonniers de Cisjordanie et 29 de Gaza. Pour chaque Palestinien qu’Israël décide, rien n’est comparable à la joie de retrouver un fils, une fille, un père ou un époux sortis des griffes de l’incarcération israélienne. Même dans le monde terriblement déformé de la Palestine, où l’absolu n’existe pas et où chaque acte politique est disséqué, analysé et re-analysé, la libération d’une poignée de prisonniers palestiniens des prisons israéliennes reste un événement heureux.

Tout le monde est ému par les scènes des retrouvailles de ces prisonniers qui avaient le mal de chez eux avec leurs familles, surtout quand l’on sait les conditions dans lesquelles les prisonniers vivent. Les prisons israéliennes sont tristement célèbres pour le traitement particulièrement dur qu’elles réservent aux prisonniers politiques palestiniens, dont des durées d’interrogatoires inhumaines, la torture, la privation de sommeil, la détention au secret et les conditions des visites, sans aucune régularité quand elles ne sont pas tout simplement annulées.

Alors, ne nous trompons pas. Tout Palestinien libéré des geôles israéliennes est un prisonnier de moins derrière les barreaux de l’oppression. Mais l’euphorie de leur retour à la maison n’en est pas moins douloureusement incomplète. Car si ces 86 Palestiniens peuvent enfin retrouver leurs familles autour du repas à la fin d’une longue journée, il y en a environ 11 000 autres qui n’ont pas cette chance.

Une arrestation parmi des dizaines d’autres, juillet 2007, Gaza
La poursuite des arrestations des militants palestiniens par Israël n’est qu’une manifestation du contrôle qu’il continue à imposer aux Palestiniens et qu’il leur signifie ainsi. Même le bonheur de la libération des prisonniers n’a pu s’exprimer sans être ponctué par des mesures israéliennes d’oppression. Ainsi, la libération des prisonniers de Cisjordanie lundi (1 octobre) a été gâchée par les longues heures d’attente aux points de contrôle militaires. Le lendemain des milliers de Gazaouis ont attendu l’arrivée du bus des prisonniers durant des heures au point de passage de Beit Hanoun (Erez), pour se faire finalement tirer dessus par les forces d’occupation israéliennes quand plusieurs personnes ont pénétré dans la zone tampon entre Israël et la bande de Gaza. Un garçon de 14 ans et un journaliste sont parmi les blessés.

En tout cas, comme pour tout dans le conflit israélo- palestinien, ce « geste de bonne volonté » doit être pris avec des pincettes. Il est bien connu qu’Israël, avec les Etats-Unis, fait tout ce qu’il peut pour marginaliser le Hamas dans la bande de Gaza tout en affichant son soutien au président Abbas en Cisjordanie. Sans surprise, l’immense majorité des prisonniers libérés sont affiliés au Fatah, quelques uns étant membres de petits partis de gauche palestiniens. Aucun n’est, même de loin, membre ou sympathisant du Hamas.

En réalité, ces “gestes” mettent les Palestiniens dans une position très inconfortable. Il serait tout à fait contre productif de refuser la libération de prisonniers, mais accepter que si peu de prisonniers soient relâchés à intervalles irréguliers comporte des conséquences. Israël n’a pas relâché ces hommes parce qu’il se préoccupe de leur bien-être, mais afin de faire avancer son agenda politique. Aux yeux du monde, Israël a une image positive- il libère des Palestiniens qui n’ont pas fini de purger leur peine (bien que la plupart soient en fin de peine) alors que leur propre soldat kidnappé, le caporal Shalit, reste détenu quelque part dans la bande de Gaza.

Cependant, et c’est plus important que cette perception de la “générosité” d’Israël et que le soutien à Abbas, un tel acte risque d’être très problématique pour le Hamas. Car si les Palestiniens sont très politisés en général, si la situation l’exige leur vie personnelle l’emporte sur la rhétorique politique ordinaire ou les agendas cachés. Ce qui veut dire que si une mère de prisonnier voit que c’est le président Abbas et non le gouvernement limogé de Ismail Haniyeh qui réussit à faire libérer son fils, il n’est pas difficile de prévoir un changement de loyauté. Si c’est le même gouvernement d’Abbas qui aide à trouver un emploi pour son mari et à mettre de la nourriture sur la table, ce que le Hamas et ses ministres démoralisés ne peuvent faire, il faudra plus que des prêches enflammés le vendredi pour garantir le vote de la population aux prochaines élections. Aussi, si Israël continue à mobiliser du soutien pour Abbas par ces gestes détournés, le Hamas ne peut guère espérer “contrôler » Gaza beaucoup plus longtemps.

Ce scénario comporte cependant une face cachée. Ce à quoi les gens doivent faire très attention, ce n’est pas de tomber dans le piège où on les entraîne. C’est facile de prendre la mentalité du « la sécurité de ma tête à moi » -comme le dit le dicton arabe-, mais le prix à payer est lourd. Que nos concitoyens veuillent soutenir le gouvernement de Abbas ou pas, c’est leur libre choix démocratique. Ce n’est pas ce point qui est en débat. Néanmoins, une fois qu’on a dit ça, les gens ne devraient pas être amenés à soutenir tel ou tel gouvernement parce qu’ils y trouvent des gains personnels, au détriment des aspirations nationales. D’accord, tenir ses promesses au peuple est le devoir élémentaire de tout gouvernement, et ne doit être ni dévalorisé ni négligé. Pourtant il semble que sur la scène palestinienne ces gains sont utilisés comme leviers pour amener les gens à laminer la carte politique du Hamas. Les gens devraient pouvoir choisir librement s’ils veulent être gouvernés par tel ou tel gouvernement, ou aucun d’ailleurs. Leur décision ne doit pas être induite par de la coercition comme la libération d’un fils, ou un colis de nourriture supplémentaire à la fin du ramadan.

C’est une voie très étroite que nous avons ici, et que nous devons emprunter avec prudence. Des libérations de prisonniers, des aides financières ou humanitaires sont positives en elles-mêmes. Mais ce que les Palestiniens - le peuple et la direction- doivent comprendre, c’est que ces « gestes » sont bien loin de nos exigences et aspirations nationales. 86 prisonniers ce n’est pas grand-chose quand 11 000 autres, qui ont aussi servi leur pays, continuent à croupir dans les geôles israéliennes. Permettre l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza ne doit pas être salué comme une « réussite » quand 60 % des Gazaouis vivent sous le seuil de pauvreté, essentiellement parce que Israël a isolé la bande de Gaza du monde extérieur et a imposé un embargo économique sur l’ensemble des territoires palestiniens.

Au niveau humain,nous sommes tous heureux pour les prisonniers qui sont rentrés chez eux. Mais, tant que tous les prisonniers palestiniens ne seront pas libérés des prisons israéliennes, ce retour ne peut être que doux-amer.

Joharah Baker, MIFTAH

traduction et choix de photos (Yahoo) : C Léostic, Afps


Voir en ligne : www.france-palestine.org