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LA GUERRE SANS FIN

Le retour des réalpolitiks

Mercredi 6 décembre 2006, par Pierre BEAUDET

Le rapport Baker dont les principaux éléments sont connus depuis quelques semaines a été rendu public à Washington. Pour plusieurs, il offre au Président Bush une porte de sortie « honorable » en Irak, et ce dans une situation qu’à peu près tout le monde considère comme désespérée. Entre-temps sur le terrain, la crise continue de s’aggraver.

L’échec des néoconservateurs
La défaite des Républicains aux élections de novembre dernier a mis en évidence ce qui était devenu un lieu commun aux Etats-Unis. Les néoconservateurs, ce groupe restreint qui exerce sur l’administration Bush une grande influence depuis son intronisation en 2000, sont en perte de vitesse. Leur projet de procéder à la « réingénierie » du monde en commençant par le Moyen-Orient a pris l’eau, en partie à cause de la résistance en Irak et dans les pays avoisinants, en partie à case de l’opposition de la plupart des États et des sociétés civiles un peu partout dans le monde. Le départ de Ronald Rusmfeld et avant lui du ministre de la justice John Ashcroft ainsi que de plusieurs éminences grises comme au Paul Wolfowitz et Richard Perle indique que le vent a enfin tourné à Washington.

Comment sortir de la crise ?

Pour une bonne partie de l’establishment états-unien, ce projet néoconservateur avait une saveur aventuriste et apparaissait comme l’initiative d’un groupe d’apprentis sorciers plus ou moins amateurs. Les généraux surtout étaient radicalement contre l’idée que l’occupation militaire permanente de l’Irak allait se passer facilement et sans coûts, comme si les Irakiens allaient accueillir les soldats américains avec des fleurs (c’est ce qu’avait déclaré à l’époque le vice-président Dick Chenny, un des derniers néoconservateurs encore en poste). Avec le plan Baker, on assiste donc au début d’un retour de l’approche « réaliste ». Que dit le rapport Baker ? Ce que tout le monde sait, d’une part, à l’effet que les Etats-Unis ne gagnent pas la guerre actuellement et qu’il faut changer la tactique. En substance, il faut redéployer les troupes américaines, non pas les retirer, mais les repositionner de manière à ce qu’elles soient moins vulnérables. Comment faire cela ? D’une part, en remplaçant les hommes de troupes (fantassins) qui sont sur la ligne de front par des conseillers militaires de haut niveau qui oeuvreront au sein de l’armée irakienne. D’autre part, en confinant le plus possible les militaires américains dans les immenses bases permanentes qui sont en voie d’être finalisées en Irak. Enfin en consolidant la présence militaire états-unienne dans les pays voisins où sont déjà implantées des bases comme au Qatar et en Arabie saoudite.

Des initiatives politiques

En parallèle, Baker propose de rétablir le dialogue avec des pays comme l’Iran et la Syrie. Là encore, le réalisme domine. Pas question, comme le voulaient les néoconservateurs, de déclencher de nouvelles aventures contre ces deux pays qui exercent une influence régionale non négligeable y compris en Irak. Par rapport à l’Irak même, les néoréalistes misent sur des dialogues discrets qui sont en cours avec une partie de l’insurrection irakienne, notamment celle coordonnée par les ex-bathistes. Évidemment, Baker estime que ce virage sera facilité par le fait qu’il se créera entre les Etats-Unis et les autres gros joueurs comme l’Union Européenne et la Russie un nouveau « consensus » qui permettra de remultilatéraliser la gestion du conflit.

Des contradictions multiples

Ce projet qui peut sembler attirant est cependant confronté à plusieurs problèmes. D’abord en Irak même, où les bathistes ne voudraient pas se faire coopter dans un projet qui finalement continue d’approfondir la « balkanisation » de l’Irak en entités communautaires et ethniques (dans le cas du Kurdistan). Les chefs religieux chi’ites, et même le leadership kurde (qui sont pourtant très proches de Washington) ne savent pas exactement sur quelle base reconstruire leur pays qui a été littéralement défiguré depuis l’invasion de 2003. Si la remise en place d’un État central fort semble une mauvaise piste (en plus ça fat trop penser au régime précédent), la séparation du pays pourrait être un prélude à un nouveau désastre, en partie parce que les Irakiens de toute confession ou origine vivent les uns avec les autres, à part quelques enclaves que des milices ont commencées à « purifier » ethniquement.

Un échafaudage régional et international fragile

Dans la région, il n’est pas évident que l’Iran et la Syrie vont accepter de se contenter de petits bonbons comme avoir le « privilège » de parler directement à la Maison Banche. Téhéran par exemple est sûr de sa force et veut des garanties sur la sécurité régionale, sur la possibilité de continuer ses projets nucléaires civils, etc. Enfin pour le reste du monde, on va y penser deux fois avant de s’engouffrer dans le bourbier américain en sachant très bien que les Etats-Unis sont allés dans ce pays pour en prendre le contrôle, et non pour le « libérer« de Saddam Hussein.

Les bonnes vieilles méthodes

Baker dont la feuille de route et les liens avec les élites économiques au plus niveau sont impressionnants a donc un grand défi et certainement que le dépôt de son rapport n’est que la première étape d’une difficile opération de relookage. En fin de compte, les néoréalistes estiment que la domination américaine sur le monde est bien davantage sécurisée en utilisant les anciennes tactiques. Il faut d’abord compter sur des relais locaux, et non se placer sur le devant de la scène. Le contrôle indirect (indirect rule) expérimenté par les Britanniques en Inde et en Afrique s’avère le plus efficace. Il faut cependant être prudent pour faire en sorte que ces « relais » ne s’autonomisent pas trop de leurs maîtres, comme cela a été le cas justement avec Saddam Hussein qui avait pourtant été, pendant plus d’une décennie, le meilleur ami des Etats-Unis dans la région.