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AFGHANISTAN

Le grand gâchis

Mercredi 20 septembre 2006, par Pierre BEAUDET

Aux Etats-Unis, au Canada et dans la plupart des pays de l’Union européenne, les gouvernements ont décidé de s’investir davantage en Afghanistan. Devant le spectre des Talibans et de leur projet démentiel, on nous dit, « nous n’avons pas le choix, nous devons pratiquer l’« ingérence humanitaire » ? En apparence, ces principes semblent défendables. En pratique, la réalité est toute autre. Loin d’améliorer la situation, l’intervention occidentale actuelle creuse le trou dans lequel le pays est en train de s’enfoncer.

Reconstruire un pays ?

Depuis le renversement du régime taliban en Afghanistan en 2001, les pays occidentaux ont mis le paquet. À Tokyo, puis à Berlin et récemment à Londres, plus de 25 milliards de dollars ont été mis sur la table pour la reconstruction de l’Afghanistan. Parallèlement, l’engagement militaire a été maintenu puis élargi, de 6000 soldats envoyés par l’OTAN au début à plus de 30 000 aujourd’hui, sans compter le contingent américain qui opère à son compte (plus de 15 000 militaires). Un effort réel, en comparaison à d’autres situations de conflits. En pratique toutefois selon la chercheure norvégienne Astri Suhrke, le tout a été mal mené et mal pensé.

S’enfoncer dans la dépendance

Avec tous les argents commis par les pays donateurs, l’aide internationale couvre 90% du budget national du pays. Seulement 10% provient de revenus auto-générés, comme les impôts et les taxes par exemple, qui sont au niveau le plus bas dans l’histoire récente du pays. « Autrement dit affirme Suhrke, le gouvernement afghan n’administre pas grand-chose » bien que le discours des pays occidentaux est qu’il faut « reconstruire un État ». Une véritable administration parallèle, coordonnée par la Banque mondiale, gère les ressources, laissant le plus souvent au gouvernement afghan un rôle de figurant. Certes l’Afghanistan est pauvre, mais en comparaison avec d’autres États dépourvus, « le ratio entre ce qui est généré et contrôlé par les autorités locales et ce qui est commandé de l’extérieur est franchement dérangeant » explique la chercheure norvégienne. Le tout est « organisé« par une véritable armée de consultants extérieurs payés à grand prix, ce qui laisse les Afghans marginalisés et furieux. Selon une étude européenne réalisée en avril 2006, les ministères afghans, dont le Ministère des finances, sont remplis d’étrangers qui absorbent une grande partie des budgets de l’aide. Résultat, une partie considérable des projets n’aboutit pas, ou pire encore, est détournée par des réseaux d’influence et de pouvoir qui ne se gênent même pas pour voler l’aide internationale au su et au vu de tout le monde. Suhrke estime que « l’aide actuelle est dysfonctionnelle à court terme et insoutenable à long terme ».

La diplomatie des B-52

Depuis 2001, les interventions militaires se succèdent. Après le déploiement initial des États-Unis, une force de l’OTAN a été mandatée, l’ISAF. Parallèlement, les Etats-Unis se sont engagés à reconstruire l’armée nationale afghane, qui compte présentement plus de 25 000 hommes. En pratique toutefois, la « vraie guerre » est menée par les contingents étrangers et par l’armée américaine, toujours à la recherche de Bin Ladden. « C’est la diplomatie des B-52, comme le disent les Afghans », affirme Suhrke. Les résultats pour le moment sont peu probants : les Talibans sont en fait en train d’agrandir leur influence et les territoires qu’ils contrôlent. Selon la chercheure de Bergen, c’est en partie à cause des ses « bavures » américaines, comme ces bombardements indiscriminés qui font beaucoup de victimes civiles. Au point où même le Président Karzai, pourtant proche des Américains, a été obligé récemment de demander à Washington de modérer ses ardeurs. Depuis quelques semaines dans le cadre de la campagne contre les Talibans dans le sud du pays, des chasseur- bombardiers américaines jettent des bombes de 250 kilos dans des zones densément peuplées. Et contrairement à la pratique établie, il n’existe pas d’entente formelle entre le gouvernement afghan et les forces étrangères sur le contrôle des opérations militaires ni sur la conduite des troupes. Autrement dit, les forces étrangères ont champ libre. Aux yeux des Afghans,« l’armée apparaît comme une force insignifiante inféodée aux Etats-Unis », explique Suhrke.

Minuit et cinq

Dans le discours officiel à Washington, « les Afghans sont au poste de commande ». « En réalité selon Suhrke, ce qui se passe actuellement a peu à voir avec la mise en place d’un État souverain ». Les Talibans ont beau jeu de surfer sur le rejet de ce qui apparaît comme une occupation brutale et stupide. En fait les intégristes, qui étaient passablement isolés après leur désastreuse gestion de l’État entre 1993 et 2001, sont en train de se refaire une image. « Ils recrutent des tas de gens qui n’ont rien à voir avec leur projet, mais qui sont essentiellement des nationalistes ». Plusieurs observateurs se demandent s’il est encore possible de redresser la situation. Si on veut éviter la débâcle, estime Suhrke, il faut sortir de la logique américaine. « Le problème en Afghanistan est afghan et a peu à voir avec la « guerre globale » de Bush. Il faut redonner aux Afghans la possibilité de reconstruire leur pays, ce qui voudrait sans doute dire leur permettre d’engager un dialogue de réconciliation nationale, y compris avec certains secteurs des Talibans. Il faut arrêter cette militarisation qui ne sert à rien si ce n’est qu’à aggraver la guerre ».